Robbie Whitcomb, cinq ans, est enlevé sur le parking d'un centre commercial d'Ypsilanti, Michigan. Dans une tentative désespérée pour arrêter la camionnette dans laquelle le ravisseur a embarqué son fils, Dinah, sa mère, se blesse très gravement, et en gardera de lourdes séquelles.
L'homme qui a kidnappé Robbie n'en est pas à son coup d'essai : plusieurs garçons ont déjà été ses victimes, dont il s'est ensuite débarrassé lorsque l'adolescence a sonné le glas de ces charmes enfantins qui l'attirent tant.
Cet individu abrite plusieurs personnages, et arbore selon ses interlocuteurs un visage différent. A l'origine Chester Czeki, il s'est rebaptisé Chet Cash, et c'est sous ce patronyme qu'il officie en tant que prédicateur itinérant pour l'Eglise de l'espoir Éternel, très apprécié pour sa ferveur et sa bienveillance. Aux yeux de ceux qui le fréquentent comme voisins ou membres de la même communauté, c'est un homme charismatique, qui inspire le respect et exerce sur les femmes un certain magnétisme. Pour Robbie, il est "
Daddy Love"... le garçon a lui-même été rebaptisé pour devenir Gideon Cash, Chet se faisant passer pour le père de l'enfant, à qui il a expliqué que ses parents, incapables d'assurer son éducation, l'avaient abandonné.
Le roman dépeint les six années que Robbie va passer avec cet ignoble père de substitution, rythmées par les punitions, les tortures, et les sévices sexuels. "
Daddy Love" alterne les colères froides, culpabilisantes, mettant son imaginative cruauté au service de sa toute puissance, et des manifestations de tendresse qui ne sont pas moins glaçantes que ses accès de rage, par lesquelles il assied une emprise fondée à la fois sur la peur et sur le chantage affectif.
Gideon modèle ses attitudes et ses émotions en fonction de celles de son "père", et c'est bien là le principal propos de "
Daddy Love", que d'évoquer les mécanismes que l'individu développe pour surmonter l'horreur, et les relations complexes et ambivalentes qui finissent par lier victime et bourreau. L'enfant, par un instinct de survie qui lui impose l'adaptation, oscille ainsi entre crainte et reconnaissance, et se positionne dans une quête permanente de la posture qui annihilera les velléités punitives de son tortionnaire. L'interdépendance qui régit les rapports anormalement intimes et artificiellement imposés entre Cash et Gideon génère chez ce dernier une détresse tue mais profonde, ravivée par les quelques bribes de souvenirs de sa vie avec ses véritables parents qui, émergeant parfois, remettent en cause la légitimité de "
Daddy Love".
Pour gérer l'insupportable contradiction que font naître en lui la nécessité d'adaptation et la possibilité d'une autre existence, l'enfant a développé deux personnalités qui s'opposent en lui, et qu'il désigne comme "Fils" et "Gideon", le premier naïf et soumis aux desiderata de son "père", le second méfiant et vouant à ce dernier une haine inextinguible, qui lui sera salutaire...
Nous suivons, en alternance, un autre chemin, lui aussi difficile et douloureux : celui de Whit et Dinah, les parents de Robbie, qui pansent plutôt mal que bien les blessures provoquées par la disparition de leur petit garçon, navigant de manière bancale entre espoir et culpabilité...
J'aime quand
Joyce Carol Oates écrit comme elle le fait dans "
Daddy Love", avec une efficacité percutante, ne laissant la place à aucune digression. L'entame de l'intrigue -l'épisode de l'enlèvement- annonce le ton de l'ensemble, en répétant, par saccades, certains détails dudit épisode, l'imprimant en nous telle une image subliminale qui reviendra nous hanter régulièrement.
Elle ne livre pas, ici, d'analyse. Elle fait se succéder des faits bruts mais significatifs, capte les pensées de ses protagonistes dans une instantanéité qui fait davantage de son texte un thriller glauque qu'un roman psychologique. de nombreuses scènes -celles de pédophilie, notamment- sont plus suggérées que dépeintes, l'auteur préférant évoquer le résultat (pensées et réactions...) de ces événements sur ses héros que leur déroulement. La lecture n'en est pas moins, par moments, à la limite du supportable, cet usage de la suggestion nous laissant libre d'imaginer le pire...
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