Je ne sais que penser de l'autocollant qui affuble ce dernier tome de And. J'espère que c'est juste un spoil sur la série et non pas l'annonce que nous n'aurons plus de
Mari Okazaki en France car ce serait vraiment cruel...
Qu'on n'aime ou pas And, qui fut une lecture assez particulière, surtout pour les amateurs de romances qui ont peut-être lu cette histoire pour avoir droit à une belle histoire d'amour, on ne peut que reconnaître son talent graphique de conteuse. Dans ce dernier tome, il est magistral ! Dès la couverture, elle se joue de nous avec des trames et un décor qui deviennent le maître mot de l'histoire, le vrai fil conducteur et parfois le vrai héros de l'histoire. J'ai adoré voir cet arrière-plan prendre peu à peu le pouvoir sur ces ultimes chapitres si dur où ce que l'autrice avait à nous conter n'avait rien de simple ou de facile.
Dès le début de la série, on pouvait sentir que ça allait mal finir. Il était encore plus dur d'imaginer un happy end après les derniers événements même si comme moi on adore cela et qu'on croit aux retournements de situation de dernière minute. Mais l'autrice n'a pas voulu tomber dans cette facilité et bravo à elle. A la place, nous avons une chronique sociale des relations entre adultes bien cruelle et réaliste où l'autrice montre que même si on donne tout dans une relation parfois ça ne suffit pas.
J'ai adoré le final inattendu de cette série où effectivement comme le dit l'étiquette sur le tome "
Mari Okazaki nous surprend une dernière fois". Elle revient avec justesse et douleur sur la relation bancale entre Kaori et Yagai. Elle décortique et analyse avec brio ce que chacun voyait et attendait de cette relation, et ceux même si c'est dur, même si ça fait mal, même si c'est sans issue. J'ai beaucoup aimé ce recul où elle nous fait comprendre que c'est normal quand on s'engage dans une relation avec quelqu'un qui a vécu qu'il y ait un passé parfois compliqué. J'ai aimé découvrir celui tellement douloureux du Docteur sur lequel l'autrice, pourtant, n'en fait pas des tonnes. Elle le met divinement bien en parallèle avec les besoins de chacun au cours de la naissance et du développement de leur relation et avec une narration pleine de non-dit elle nous fait également comprendre combien leur manque de communication, à vouloir vivre l'instant présent, les a conduits dans cette impasse.
Alors la narration se veut dramatiquement poétique pour mettre en scène les derniers instants d'une fin annoncée. C'est régression, doux et amer à la fois, mais tellement poignant. On voit bien qu'ils s'aiment pas que ce n'est pas suffisant et j'aime que l'autrice sache lâcher prise et montrer que parfois il vaut mieux renoncer. C'est superbe et ce jusqu'au bout puisqu'on voit chacun continuer à suivre la voie qu'il s'est tracé et tenter d'avancer même des années après. Kaori poursuit son rêve pas à pas. Yagai a su retrouver un second souffle. Et tant pis si l'amour n'est pas présent pour le moment.
Cependant l'autrice ne se contente pas de ce modèle si doux-amer qui pourrait nous laisser sur notre faim, elle nous réenchante avec deux chapitres bonus sur les amies et collègues de Kaoru, nous présentant deux autres formes d'amour et de relations que j'ai beaucoup aimé. Miyuki est toujours avec Akasaka, et avec elle, nous voyons les tourments d'une divorcée qui tente de refaire sa vie dans un Japon toujours corseté où cela peut-être mal vu. C'est un vrai bonheur de voir cette femme qui a l'air si sûre d'elle à l'extérieur hésiter tellement avant de se libérer et la métaphore filée tout du long avec le jeu "Othello" est magnifique ! Puis, il y a l'histoire de l'étrange et singulière Konno, qui apprend avec Kumo, le collègue geek de Shiro, qu'on peut être aimé pour soi et non pour son apparence. C'est un grand classique mais j'ai aimé sa réflexion sur ce qu'elle avait vécu et qu'elle commençait à reproduire en inversant les rôles femme-rôle. C'est très pertinent.
Ce dernier tome est à nouveau une merveille graphique de bout en bout, de sa couverture où l'héroïne semble prise dans une toile dont elle peine à s'éloigner, jusqu'aux ultimes pages de l'histoire principale pleines de mélancolie, nostalgie et espoir, après des passages très sombres aux bords de la dépression. Je le disais plus haut mais le rôle des décors est essentiel ici, entre cette nature qui peu à peu grignote et ligote les héros, les blessant au passage, et ces lumières qui les hypnotisent jusqu'à l'oubli, tel des éclairs zébrant le ciel et ouvrant la voix des enfers, juste avant que le ciel se dégage et s'apaise pour s'ouvrir sur un futur bien plus vide et libre, donc plein de perspectives à construire. C'est puissant.
Mari Okazaki est vraiment une grande dame et si And n'est peut-être pas le titre le plus facile d'accès, il m'aura souvent fait vibrer, que ce soit par ses trouvailles graphiques tellement magnifiques et poétiques ou sa narration qui nous entraîne dans un cruel et amer monde onirique plein de fluide, de fleurs et de chrysalides. C'est enchanteur et merveilleux, dans le sens premier du thème, quand les contes étaient encore si cruel et douloureux. Non, l'amour n'est pas qu'une petit bulle. Non, s'aimer et se connaître n'est pas si facile. Non, s'assumer ce n'est pas naturel.
Mari Okazaki a vraiment mis beaucoup d'elle encore dans cette histoire et me touche peut-être pour cela. Après mes coups de coeur pour ses oneshot, par sa série Complément affectif, je retrouve le même vif plaisir dans cette histoire adulte et âpre. Je croise forts les doigts pour la revoir un jour en France !
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