Roger Peyrefitte distille un parfum de souffre .
Mais son arome sulfureux est aujourd'hui aussi faible que celui des champs Phlégréens qui distillent pour leur part de faibles fumerolles à peine perceptibles et à peine visibles , malgré la fabuleuse puissance de leur réserve d'énergie .
Alexandre le grand est un personnage historique incontournable et son épopée a forcément et à juste titre inspirée la littérature et le cinéma .
J'ai mis pas mal de temps à lire cette fresque romancée de la vie du grand conquérant . Non pas à cause de l'arôme de souffre qui nimbait l'oeuvre de Roger Peyrefitte , mais parce que je snobais le roman historique en bloc . C'est la découverte de
M. Yourcenar qui m'a modérément réconcilié avec ce genre littéraire , que j'aborde toujours avec des pincettes et avec une pince à linge sur le nez , je dois l'avouer .
Sur l'auteur je dirais que je n'oublie pas qu'il était ouvertement antisémite , cependant j'ai toujours trouvé intéressante sa problématique .
Je vois en lui un diplomate , qui a reçu une éducation catholique stricte . Un auteur homosexuel brillant qui possède un style agréable qui pétille de vie et de profondeur .
Peyrefitte a souffert intensément de son identité sexuelle , dans la société rejetante qu'était la douce France de l'époque . Ce contexte était une violence larvée et constante , de chaque instant , tendue contre son être intime . Gageons que cela ne l'a pas aidé à se pacifier et à faire la paix avec ses démons intérieurs . On ne l'excusera pas , on ne le dédouanera pas , mais pourra tout de même tenter de le comprendre .
Ses textes sombrent dans l'oublis , et je trouve cela curieux car si beaucoup sont dépassés comme textes d'actualités , un certain nombre n'ont que le torts d'avoir l'auteur pour auteur , et je trouve cela inadmissible . Et certains sont même d'une brulante actualité , à mon misérable et humble avis .
Par ailleurs si aujourd'hui un auteur à la dimension littéraire accomplie venait nous narrer l'aventure amoureuse de deux ados hétérosexuels , j'entends d'ici les gazouillis de la critique littéraire ...
Mais Peyrefitte lui venait lui nous parler des aventures amoureuses de deux garçons ( je ne parle pas de son « Alexandre « ) , et là , force est de constater , que cela ne gazouille plus du tout , et que même on l'enterre . C'est la deuxième chose inadmissible .
En amphithéâtre , en Sorbonne à un cours de licence portant sur le contexte politique macédonien avant l'avènement d'Alexandre , j'entends l'enseignant énoncer allusivement que Philipe roi de Macédoine se fait assassiner , dans le cadre d'une histoire sordide . Apres approfondissement je découvre que ce qui est sordide c'est le jugement de valeur que porte ce professeur sur la bisexualité licite dans l'univers mental
De Grèce classique et hellénistique . Philippe de Macédoine est en effet assassiné par un de ses amants ....
Je jour-là , j'ai appris tout simplement ce qu'était la censure morale et j'ai tout simplement découvert que la recherche historique devait lutter contre ses propres démons : les jugements de valeur et les préjugés . J'ai alors repris les textes que je connaissais et je les ai redécouvert et j'ai découvert aussi plus intimement la posture mentale intime de la Grèce classique . Cela incluait la bisexualité massive de la plus grande partie du monde grec à cette époque , comme la misogynie viscérale de cette civilisation ( qui ne dérange pas grand monde par contre , soulignons-le ) . Et puis j'ai finis aussi par réussir à approcher des bribes d'autres textes qui dorment encore dans des cimetières numériques .
C'est à cet enseignant aux belles oeillères ( pour plagier
Homère ) que je dois finalement la lecture de cette fresque de la vie d'Alexandre par Roger Peyrefitte et je l'en remercie . Je ne suis pas certains qu'il aimait ce texte dont pourtant la lecture ne lui aurait pas fait de mal , mais il l'a peut-être lu sous la couverture avec une lampe électrique .... .
Ce « roman d'Alexandre « de Peyrefitte est un roman envoutant , interminable , infiniment accessible et c'est un des meilleurs roman historique que j'ai jamais lu . La langue est châtiée . La vie est omniprésente dans ce texte aux dialogues accomplis . le narrateur affiche un ton empreint de grandeur et de précision qui est intégralement dépourvu de pathos pathétique et qui n' est pas empreint d'une démarche de racolage .
Au contraire de la mesure et de l'élan . le lecteur est en marche sur les pas d'Alexandre à l'ombre des oliviers , dans les palais dépaysant , dans les déserts brulants , avec des soldats , dans des bibliothèques et il assiste à la tumultueuse naissance d'un monde nouveau ...
Ce texte est superbement évocateur . Il n'est pas pornographique et c'est donc de la fondation du monde hellénistique , dont il nous entretient avec un verbe qui ne ferait pas honte à la prose française du dix-huitième siècle dont l'auteur était l'admirateur fervent et l'adaptateur motivé en français contemporain .
Il y a peu de vaisseaux de ligne capable de nous faire rêver l'aventure d'Alexandre et qui soit susceptible d'être de cette qualité et de ce confort ..
Et il est censuré , par le monde de l'édition alors que c'est un beau voilier toutes voiles au vent , lancé sur les embruns du temps ..
Alors la France pays des droits de l'homme ? oui certes probablement , mais cela dépend lesquels finalement et finalement ni plus ni moins qu'ailleurs finalement . Sur cette question « je suis comme une truie qui doute « pas vous ? ....
En tout cas elle ne l'est pas pour Roger Peyrefitte .