Quand nous les regardons de loin, les événements de la vie s’enchaînent si solidement, se tressent et s’enchevêtrent dans un réseau si serré qu’il est malaisé d’y déceler un seuil, de distinguer dans leur compacité un point quelconque qui, en tout état de cause, soit suffisamment significatif pour nous permettre de dire : voilà, c’est là que tout a commencé… Tout aussi imbriquées entre elles se révèlent les circonstances de l’Histoire, dont on parvient à grand-peine à percevoir l’importance au moment de leur genèse, et desquelles les pauvres gens semblent rester à l’écart. Fermement noués entre eux, enfin, sont les épisodes de la vie et de l’Histoire, tant il est vrai qu’on tenterait inutilement d’expliquer l’une sans l’autre. Si l’on ajoute encore à ces événements les créations de l’imagination – dont l’examen, pour peu que l’on s’intéresse à la complexité de la réalité, paraît plus essentiel que plaisant –, on atteint alors des sommets d’embarras.
Et tout pays, à son début, est le résultat d’une volonté de vie, d’une décision, d’un choix, d’un risque que l’on prend sans connaître les difficultés que l’on rencontrera, mais en connaissant sa propre détermination à les affronter. À la frontière d’un pays ou d’une vie, on respire l’atmosphère singulière des ports de mer, un mélange d’espérance et de détresse, de peur aussi ; dans les deux cas, il s’agit d’un pari, ou d’un défi, lancé au destin. Et toujours, fatalement, on s’avance à la frontière de l’un ou de l’autre sans l’expérience nécessaire, sans savoir que faire ni comment faire pour traverser, pour atteindre ce qui n’existe encore pas. Car traverser est une obligation naturelle, s’il est vrai que le temps nous incite à aller de l’avant en toute circonstance…
À douze ans, j’ignorais ce qu’était la vie à la frontière, ou n’en avais qu’une vague idée ; je ne l’imaginais pas telle qu’elle pouvait être réellement, mais telle qu’elle devait être, forcément, parce que c’est moi qui le voulais et parce que dans mon esprit vivait Simon. J’imaginais tout de même une vie difficile, sans pitié ni scrupules, violente, hostile, qui faisait de ses interprètes des héros, une vie peuplée de tous les dangers nécessaires pour devenir quelqu’un d’important.
Si j’avais encore besoin d’apprendre à écrire, lire, calculer et réfléchir, de connaître l’histoire, la géographie et les sciences nouvelles, oncle Mike avait déjà senti l’ultérieure nécessité de réaliser ce qu’il avait appris et pensé, en somme de le mettre en pratique, ou à tout le moins la nécessité d’essayer.
Toute vie à son commencement est un désert, un pays inconnu et dangereux attendant d’être peuplé et animé, dans lequel le paysage et les rencontres sont le fruit de la volonté aussi bien que du hasard, de la raison comme de la fantaisie, des projets comme des illusions.
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