Deuxième roman de l'auteure, publié en 1988, c'est la biographie romancée de
Doris Humphrey, danseuse et chorégraphe américaine. Née en 1895, elle a été une des pionnières d'une nouvelle danse, s'écartant du ballet classique, pour donner naissance à une nouvelle forme d'expression, avec par exemple
Martha Graham, avec qui elle a fait son apprentissage à la Denishawn School.
Claude Pujade-Renaud retrace sa vie et sa carrière, les deux étant inséparables. Elle brosse également les portraits d'un certain nombre de personnages, qui ont participé avec Doris à l'aventure de la création de sa compagnie : Charles Weidman, José Limon, Pauline Lawrence etc. Différentes personnalités de l'époque, ayant beaucoup ou moins pratiqué la danse traversent le livre, comme
Louise Brooks.
Le roman s'attache à la fois à présenter la vie, les événements personnels, les sentiments, et suivre le trajet artistique de Doris, décrire, rendre compte des créations, de sa conception de la danse. Cette deuxième perspective est à mon sens la mieux réussie : j'ai vraiment eu la sensation de « voir » les chorégraphies créées par Doris, et visionner celles qui sont encore accessibles actuellement a été au final une confirmation, elles étaient exactement comme je les imaginais à la simple lecture. L'auteure a vraiment réussi à capter le mouvement avec ses mots, dans un beau style, à la hauteur des créations de Doris.
En revanche, j'ai été moins convaincue par les parties consacrées à la vie de Doris. Sa relation avec sa mère, avec ses collègues-compagnon, avec son mari… il y a beaucoup de redites, des évidences, voire de clichés. Pourtant ce trio puis quatuor, dans lequel les relations personnelles se mêlent à la création, avec une force et une violence que l'on devine, avait de quoi donner lieu à des pages intenses, aussi intenses que celles consacrées aux danses. Mais l'auteur donne la sensation de rester quelque peu à l'extérieur, dans le factuel, ne pas arriver à habiter les personnages de l'intérieur. Sauf pendant certains moments, comme dans ces magnifiques lettres que le mari de Doris, Charles, lui écrit. Ou comme ces pages où son fils parle à la première personne, racontant la difficulté extrême d'avoir une mère si occupée par la création et si peu par les contingences de la vie quotidienne. La fin aussi est de toute beauté, au moment où son corps l'abandonne et la danse la quitte, Doris devient presque une personne véritable et sensible sous la plume de
Claude Pujade-Renaud, et non pas cette créature impénétrable, uniquement programmée pour danser. L'auteure trouve à ce moment l'art de rendre vraiment son personnage dans sa complexité. C'est juste dommage que cela viennent si tard.
J'ai la sensation que l'auteure, dont c'est juste le deuxième roman, malgré un beau sujet, n'a pas su complètement doser les divers éléments, et donner tout à fait corps à la femme derrière la danseuse d'exception. C'est d'autant plus dommage, que l'on sent qu'elle n'était pas loin de réussir, il a manqué un je ne sais quoi, pour rendre ce roman vraiment abouti.