Dans une relation fusionnelle, l’homme et la femme font conjointement don de leur personne à l’autre, mais ils ne se donnent pas uniquement, ils livrent aussi leur esprit, ouvrent leur cœur et offrent parfois leur âme. J’avais été nourri de romantisme par mes lectures, et ces maîtres de la littérature que sont Gautier, Nerval, Balzac, Poe, Zweig et quelques autres, m’avaient tant donné qu’il m’était impossible à présent de me satisfaire d’une relation qui ne m’emporterait pas aussi loin que sur les rivages impossibles de la fascination et de la perdition amoureuse. Peut-être sans le savoir arrivais-je à la conclusion de ma vie affective et le temps avait dans ce cas effacé tout désir tant il me faisait savoir que les tourmentes amoureuses sont rares et parfois uniques dans la vie d’un homme.
J’en étais à ce stade de mes douloureuses pensées quand je perçus sur les côtés, tout près de moi, l’ombre d’un pied. Je tournai machinalement la tête et l’observai, il était à la fois délicat et volontaire, solitaire et sensuel, ses ongles peints avec un parfait sens du détail d’un rouge écarlate annonçaient son triomphe. Sa plastique et son équilibre me troublèrent instantanément. Je relevai donc lentement la tête pour en connaître la propriétaire. Et là, sous mes yeux ébahis s’offrit à mon regard le corps d’une déesse. Les jambes dans une parfaite harmonie semblaient le prolongement naturel de ces pieds qui m’avaient envoûté. Mon regard remonta jusqu’au buste de cette femme inconnue, elle était vêtue d’un maillot de bain noir une pièce qui affinait encore, si besoin en était un corps svelte et élancé. Enfin je découvris son visage, elle me souriait avec l’aplomb et les certitudes que donne la beauté à toute femme qui trouble un homme. L’espace d’un court instant, je fus gêné, comme pris en faute. Il convenait de parler et rapidement, or aucun son ne parvenait à sortir de ma bouche. J’étais tétanisé et seul un flot inintelligible de mots se bousculait en mon cerveau sans qu’il me soit possible d’en faire une phrase. La belle inconnue dut s’en apercevoir et elle me vint en aide.
— Bonjour, vous êtes arrivé tôt ce matin ? Vous sembliez absorbé, comme dans vos pensées et pourtant vos yeux parcouraient mon corps, dit-elle sur un léger ton de réprobation.
— La mer est comme les femmes, lui dis-je en contemplant l’horizon.
— Tiens donc ? me répondit-elle amusée. Sans doute encore une de vos extravagantes théories.
— Oui la mer est à la fois douce, dangereuse, capricieuse, caressante, changeante, et à trop vouloir la comprendre on peut s’y perdre.
Un bateau passait au loin sur le fil de l’horizon, Aurore le désigna du regard.
— Il symbolise le temps qui s’efface lentement de nos vies, il apparaît en un point sur la gauche de l’horizon et à peine avons-nous eu le temps d’en parler et de prendre conscience de sa beauté et de la chance que nous avions de le contempler, que déjà il s’efface et disparaît.
J’eus envie sur cette phrase de lui prendre la main, de l’embrasser et de la chérir comme si elle avait été mienne depuis les premiers jours de l’éternité, mais je ne fis rien.