La biographie de
Wilhelm Reich peut sans doute se lire comme l'histoire de l'ostracisme (et des excommunications multiples) auquel conduisit une tentative audacieuse d'interdisciplinarité entre la sociologie marxiste, la « psychologie des profondeurs » et enfin la biologie. Reich était dans l'ordre : médecin, psychanalyste et l'un des disciples les plus éminents de
Freud, militant communiste jusqu'à l'accession au pouvoir d'Hitler, puis uniquement biologiste. Persuadé que les névroses sont fondamentalement d'origine sexuelle (plus tard il généralisera cette découverte au cancer et à certaines maladies cardio-vasculaires) et que celle-ci à son tour possède des bases sociales dues à la répression, son activité se tourne sur la clinique psychanalytique et sur la prophylaxie par l'instauration de centres de « Sexpol », d'éducation sexuelle et contrôle des naissances dans les quartiers populaires de Vienne et de Berlin.
Cet ouvrage publié pour la première fois en 1953, rassemblant des écrits autobiographiques précédents, relate le cheminement intellectuel de Reich dans les années 1927-1940, caractérisé par ses excommunications du Parti communiste allemand en 1933, de l'Association internationale de Psychanalyse en 1934, ainsi que par ses exils de Vienne à Berlin, puis à Copenhague, puis en Suède, puis en Norvège.
Au cours de cette période, nous assistons à la fois à la chute de la gauche en Autriche et en Allemagne en parallèle avec l'ascension du nazisme, d'une part, et à l'évolution de la pensée sociologique et clinique de l'auteur d'autre part : en particulier à son hostilité à la fois au politique comme horizon d'espoir de liberté et au communisme qu'il appelle « fascisme rouge » dont il perçoit le tournant réactionnaire dès 1934 ; à l'émergence progressive de ses nouvelles théories psychologiques non sans relation avec la douloureuse actualité politique qu'il subit aussi de plein fouet ; enfin à son expulsion de l'Association psychanalytique après une prise de distance par rapport à
Freud qui datait déjà depuis que ce dernier avait « dévié » de sa théorie originaire par l'introduction de la « pulsion de mort » ; son évolution se termine par le tournant décidément médical-microbiologique de ses recherches. Il est curieux que, pour commenter certaines des métamorphoses de sa pensée et de son activité, Reich ajoute des commentaires à ses notes prises sans doute sur le vif en se signant « OS » soit « l'Observateur Silencieux », qui a pris ses distances de « WR »...
Les neuf chapitres qui divisent cet ouvrage sont dictés principalement par des événements marquants, parmi lesquels la faillite des mouvements de gauche suite à une manifestation avortée, en Autriche, les 15 et 16 juillet 1927, jusqu'à son expulsion du congrès de psychanalyse de Lucerne en août 1934 et à ses recherches sur la « biogenèse » en Norvège su prolongeant jusqu'à la moitié des années 1940.
Néanmoins la forme de cet ouvrage, à mon grand regret, n'est pas celle d'un journal de recherches. Ainsi, si le surgissement des idées est énoncé dans le cadre des péripéties tourmentées de l'auteur, ces idées occupent une place moindre, elles sont à peine citées par un renvoi au titre de l'étude relative ; lorsque le cadre historique est inspirant, les anecdotes privées, les activités accomplies dans le quotidien, les attaques personnelles subies et surtout les tentatives de se sortir de situations objectivement critiques prévalent sur l'analyse de la situation et du contexte historique et intellectuel. Mon impression est souvent que, par une sorte de revanche inconsciente contre les injustices subies, l'auteur s'empresse surtout de renier ex post son militantisme marxiste et son adhésion à la plupart des théories psychanalytiques, tout particulièrement à la primauté de la sexualité. Si par moments, avec beaucoup de lucidité, il comprend que ce qui restera des tracas endurés, ce ne sont pas les dénigrements de ses détracteurs mais bien ses propres avancés, il peine à réaliser que celles-ci consistent non pas en la sortie de ses deux paradigmes fondateurs (en excluant sans doute les « bions » avec lesquels il semble s'être enlisé tout comme Franz Mesmer jadis dans sa recherche du « fluide magnétique animal »...) mais précisément dans sa tentative d'en opérer la synthèse.