Une revue itinérante d'enquête et de critique sociale
Un grand format, une belle mise en page, de riches illustrations, des analyses en grand angle qui ne s'arrêtent pas à la surface des choses…
De l'éditorial, je choisis deux paragraphes :
« de mars 2020 à avril 2021, plus d'un an d'incertitudes permanentes, pour la revue comme pour tout le monde. Plus d'un an à jouer avec les règles du gouvernement, à s'écharper sur celles que l'on devrait inventer nous-mêmes, à mettre et enlever nos masques au gré de la dernière discussion en date. Une position bien trop fragile pour prendre parti dans les batailles autour des protocoles sanitaires.
Pour autant, nous ne pensons pas que la pandémie ait subitement réduit les luttes des classes à une question de masques. Alors on s'attaque à cette institution surpeuplée et sous-dotée qu'est l'école publique, en se demandant quels types d'adultes elle façonne. En démontant le mythe persistant de la méritocratie renouvelé par l'obsession de l'évaluation. En cherchant la subversion d'un lieu matrice des inégalités de genre, où la prévention des violences n'existe quasiment pas, où les associations qui permettent aux enfants de libérer leur parole sont chassées par la hiérarchie. En démasquant enfin l'hypocrisie d'une « éducation au développement durable » qui culpabilise les héritiers·ères d'une planète en feu. Et on la défend, à longueur de lignes, parce que les gosses s'y confrontent à l'altérité, y apprennent parfois à réfléchir, y échappent à la famille et à l'entre-soi de certains établissements privés, et parce qu'on peut s'y battre pour en faire un lieu d'émancipation ».
Quelques éléments choisis subjectivement.
« sous un vernis démocratique, la société apprenante cache un projet antiécologique de marchandisation de l'école et de tri social où la responsabilité de la « réussite » scolaire pèse encore plus sur les familles et les individus ». La stratégie de choc et les résistances à la numérisation de l'école, la réalité de l'équipement informatique, l'utilisation privative des données, les écrans de fumée des promesses du numérique, la place que pourrait avoir l'apprentissage du code informatique, les rares fonctions pédagogiques et les effets négatifs de l'utilisation des outils informatique, la détérioration de « la demande d'aide et la coopération », la nécessité de se battre au quotidien contre la numérisation de l'école. A noter que cette exigence devrait être élargie à d'autres domaines de la vie socio-économique colonisés par des outils privés…
Les discours de celleux qui prétendent gouverner et les réalités plus insaisissables, le virus, les contaminant·es et celleux qui ne le seraient pas, les changements de discours sur les masques ou les vaccins, l'organisation de la « contamination » et des « soins »… (En complément possible, Ouvrage collectif – Les furtifs. Coordonné par
Fabienne Orsi : Soigner. Manifeste pour une reconquête de l'hôpital public et du soin)
J'ai notamment été intéressé par l'histoire des rentrées scolaires, la mise en perspective des réformes et des discours, la construction et le modelage de l'école, l'égalité scolaire reléguée au second plan, et aujourd'hui « à contre-courant de tous les acquis des sciences de l'éducation : retour de la morale en lieu et place de la réflexion autonome, vision étriquée des « fondamentaux » au mépris du transdisciplinaire, obsession de l'évaluation en faisant mine d'ignorer qu'elle empêche souvent l'apprentissage… »
L'école, le mouvement de l'éducation nouvelle, l'environnement favorable à l'apprentissage, les méthodes Freinet et la pédagogie active, l'adaptation de l'école aux besoins des enfants, les courants pédagogiques, l'épanouissement individuel, le travail invisible et indicible de certaines au sein de l'école dite maternelle, la division des taches au sein d'un même espace, la critique des évaluations, la lutte contre les fichiers scolaires…
Le chahut des normes, les violences sociales et sexistes, les normes hiérarchisées et hiérachisantes des rapports sociaux de sexe (système de genre), l'attention genrée des enseignant·es, les vêtures imposées ou contrariées, les assignations des femmes-mères, l'inconfort de certain·es, la mixité et l'égalité…
Le genre est une construction sociale, une hiérarchisation – un rapport de pouvoir – entre deux groupe sociaux (hommes et femmes), des comportements sont assignés (ce qui est différent de l'idée du genre « assigné » et d'un inné « féminin » ou « masculin »). Comme je l'ai précédemment écrit dans une autre note, avoir les cheveux courts ou longs, se maquiller, s'habiller de telle ou telle façon, adopter telle ou telle apparence physique, comme l'orientation du désir érotique (vers une personne de sexe différent ou non), ne devraient être considérés que comme des variations des singularités humaines (et donc garantis comme des droits humains). Nul·le ne devrait être enfermé·e·dans des « images » et des constructions sociales arbitraires, dans des rapports de pouvoir…
Lutter depuis l'école contre les violences infligées aux enfants, le non des enfants, « le cri du pouvoir », la confiance en soi et l'autonomie, « Renforcer les capacités d'analyse des enfants quant à ce qu'iels aiment ou n'aiment pas en matière de gestes, de touchers », les dysfonctionnement des chaines d'action pour enrayer les violences faites aux enfants, les moments de non-mixité nécessaires pour « l'éducation à la vie affective et sexuelle », l'accueil des enfants qui ne sont pas dans les normes attendues (mais la « conviction intime » ne saurait suffire à une définition de soi ; sur les apparences, voir plus haut).
Il ne faudrait pas oublier que le soi-disant neutre ou universel masque des normes traduisant la domination masculine sur les filles et les femmes et que la majorité des enfants (des filles) les subissent à l'école comme ailleurs…
Le poids des origines sociales sur les parcours scolaires, les politiques d'« éducation prioritaire », l'abandon des lectures critiques du système scolaire au profit d'approches individualisantes en lien avec le libéralisme, les espaces politiques des quartiers populaires, les organisations collectives pour peser, l'école comme question politique, les utilisations de l'islam pour s'« affirmer » (lire l'interessant entretien avec Samia Langar), l'estime ou la mésestime de soi, « le vécu subjectif de la discrimination est immense et très structurant », les regards sur les corps des filles…
Je souligne l'approche de Manille dans son article : « Vous pensez que vous n'auriez pas été tués sous un régime nazi ? ». L'antisémitisme circule à l'école (comment pourrait-il en être autrement au vu de sa prégnance ancienne et réactualisée dans la société française). le non-traitement du sexisme et du (des)racisme(s) systémique(s) ouvertement à l'école participe de la construction des inégalités…
Je laisse à chacun·e le plaisir de découvrir les autres articles, dont l'autodéfense populaire dans la crise sanitaire et la décolonisation nécessaire des noms de rues…
Si certaines analyses me paraissent discutables, si le vocabulaire peut céder quelques fois à l'air du temps, bien des textes ne se contentent pas d'analyser et de critiquer mais proposent des pistes de réflexions et de débats. Je remercie l'éditeur de m'avoir proposé ce numéro à la lecture. Une belle revue assurément.
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