Faire du bruit et écorcher le récit hégémonique
« En nommant les oppressions de race, de classe et de genre, on comprend la nécessité de ne pas hiérarchiser les oppressions, de ne pas créer, comme le dit
Angela Davis dans son discours Les femmes noires dans la construction d'une nouvelle utopie, « la primauté d'une oppression sur d'autres ». »
En introduction,
Djamila Ribeiro aborde, entre autres, les scissions créées dans les sociétés inégalitaires, le féminisme noir, des projets et de nouveaux cadres civilisationnels, la production intellectuelle des femmes noires, « en les plaçant dans la condition de sujets et d'êtres actifs qui, historiquement, ont pensé et pensent encore aux résistance et réexistences ».
Un peu d'histoire. Sojourner Truth, Ne suis-je pas une femme, les diverses possibilités d'être femme, la critique de l'universalisation de la catégorie « Femme », les résistances et les productions des femmes noires, « l'acte de restituer des humanités niées » (Giovana Xavier), l'invisibilité des femmes noires, les droits spécifiques des unes et l'effacement d'autres. « La voix de l'activiste n'apporte pas seulement un désaccord concernant l'histoire dominante du féminisme, mais révèle également l'urgence d'exister et l'importance de prouver que les femmes noires, historiquement, ont produit des insurrections contre le modèle dominant et ont contesté les récits officiels. En ce sens, il est nécessaire de penser à partir de nouvelles prémisses pour déstabiliser les vérités ».
Histoire et luttes. Savoirs et hiérarchisation. L'autrice cite Lélia Gonzalez, la hiérarchisation des savoirs comme produit de la classification raciale de la population, le privilège épistémique pour celleux qui possèdent le privilège social, l'eurocentrisme et l'exclusivité, l'effacement et la non-viabilité des autres savoirs…
Il ne suffit pas de prendre en compte les effets du capitalisme et du système de genre, encore ne faut-il pas omettre les oppressions à caractère racial, pour rendre compte des situations « des femmes noires et autochtones », des partages des expériences « basées sur l'esclavage, le racisme et le colonialisme » et des processus de résistances.
bell hooks, la critique de la construction à partir d'une relation au corps et non à la pensée, la qualification d'identitaire ou de communautaire, Linda Alcoff, les « identités » réduites au silence et dés-autorisées, les expériences distinctes, l'importance de la localisation pour la connaissance, les « identités » comme produits historiques et capables de changements dynamiques, le poids de la logique coloniale, les oppressions et les privilèges, les délégitimations et les légitimations, le collectif des individus blancs, « En persistant dans l'idée qu'ils sont universels et qu'ils parlent pour tous, ces individus blancs insistent à parler pour les autres – alors qu'en vérité ils parlent d'eux-mêmes en se jugeant universels »…
La femme noire : l'autre de l'autre. Patricia Hill Collins, le regard colonisateur sur les corps et les savoirs, une lecture critique de Simone de Beauvoir, la construction par le regard des hommes, une place imposée aux femmes, Grada Kilomba, l'« Autre de l'Autre », « Les femmes noires ont ainsi été placées dans divers discours qui altèrent notre propre réalité : un débat sur le racisme où le sujet est l'homme noir ; un discours genré où le sujet est la femme blanche ; et un discours sur la classe où la « race » n'a aucune place » (Grada Kilomba citée par l'autrice), la double carence, l'antithèse « de la blanchité et de la masculinité », une sorte de vide « composé d'oubli et de contradiction », ne pas être soi-même,
Audre Lorde.
Il ne peut y avoir de catégorie universalisante « Femme » ou « Homme » mais bien toujours des sujet·tes inscrit es dans l'histoire. Que pourrait signifier une politique « pour tous » ?, « Mais qui sont ces « tous », ou combien sont inclus dans ce « tous » ? ». Il n'y a par ailleurs jamais de « toust temps »… Il faut donc nommer, se nommer en prenant en compte la fragilité temporelle de cette nomination, briser les mythes et les ritournelles, proposer des nouvelles formes de sociabilité…
« Il est donc fondamental de prendre en considération les hétérogénéités qui entourent cette catégorie pour ne pas la penser de façon fixe et stable ». Il convient aussi de souligner les contradictions engendrées par les rapports sociaux et leur imbrication, ces fissures dans et par lesquelles les individus et les groupes agissent, résistent et construisent des espérances concrètes…
Qu'est-ce que la place de la parole ?
Djamila Ribeiro parle de la structuration des imaginaires, leurs constructions sociales, de l'appauvrissent des concepts dans l'urgence de la circulation sur les réseaux sociaux, du concept de « places de parole », de localisation et de construction des groupes sociaux, du feminist standpoint, des conditions sociales qui permettent ou non d'accéder aux lieux de la citoyenneté, des relations de pouvoir, des conditions sociales maintenant certain·es dans « un espace structurellement réduit au silence », des conséquences des politiques néolibérales (par exemple des retraites) et de leurs effets genrés et racisés, des féminicides. Elle souligne l'invisibilisation de la production des femmes noires.
L'autrice analyse la réduction des expériences à leurs seules dimensions individuelles sans prise en compte des constructions systémiques des places sociales, la perception possible des inscriptions sociales, « La place sociale n'implique pas une conscience discursive de cette place », les processus de racialisation et la pensée de ceux qui se présument universels, les auto-définitions, les productions historiques de savoirs et des insurrections, « Les savoirs produits par les individus de groupes historiquement discriminés s'élèvent contre des discours importants, et sont aussi des espaces de puissance et de configuration du monde par d'autres regards et géographies ». Contre les dénis et les invisibles construits, il me semble important de mettre la focale sur les résistances et les savoirs produits par les opprimé·es, de combattre les récits lissés et sans contradiction de ceux qui écrivent les histoires officielles. L'imposition de « masque de silence » ne suffit jamais à faire taire.
Les dominants retournent les causalités, inversent les réalités, « La déstabilisation de la norme hégémonique est vue comme inappropriée ou agressive, car c'est une confrontation du pouvoir »…
Nous avons tous une place de la parole. Parole et représentativité, les sujet tes du pouvoir, l'interruption des régimes d'autorités, « Tous les individus parlent d'une place, car il s'agit de localisation sociale. Nous avons donc tous une place de la parole », des places et des hiérarchies, les constructions des récits hégémoniques, l'inexistence de la neutralité épistémologique, la nécessité de reconnaître d'autres savoirs et l'importance de les comprendre, « Penser les places de la parole pour ces penseuses, c'est déstabiliser, c'est créer des fissures et des tensions, afin de faire émerger autre chose que des contre-discours – sachant qu'être contre, c'est encore être contre quelque chose »…
Certains énoncés ou vocabulaires me paraissent discutables. La notion d'« identité » ne me semble pas suffisante pour rendre compte des effets sociaux, individualisants ou non, des socialisations dans des rapports de domination. Cela n'enlève rien à la force des analyses de la situation des femmes noires au Brésil ou ailleurs. Toustes sont sujets et acteurs/actrices. Les oppressions et les luttes ne peuvent être hiérarchisées. L'autodétermination des un·es et des autres est aussi la condition de notre autodétermination. Nous avons toustes à apprendre de ces paroles qui remettent en cause cette prétention à l'universel de nos propres paroles ici.
Lien :
https://entreleslignesentrel..