Le texte est court, 80 pages, mais dense, on en a pour son argent. Je laisse le soin aux maniaques du classement de le ranger où il faut entre court roman, nouvelle et, si on aime les appellations fantaisistes, “novella”.
Là, tu vas me demander ce que l'auteur a le temps d'installer en si peu de pages. A la fois peu et beaucoup.
Le Grand Effondrement a bousillé la société telle que nous la connaissons. Seul le Cocon a subsisté, une tour de civilisation au milieu du chaos. Il abrite une société policée jusqu'à l'extrême, où certains comportements et émotions te valent un bannissement à coups de pompe dans l'oignon. A l'extérieur (sur)vivent les Reclus dans un bidonville anarchique et ultraviolent. Ces deux entités que tout oppose ont un point commun : une forme hyper bourrine de roller derby.
Voilà pour les grandes lignes du monde MDXien. Si le texte donne quelques détails supplémentaires, dans l'ensemble, il se montre assez peu disert sur cet univers post-apo. Par exemple, aucune tartine de description du Cocon, de son gouvernement, de la société qui y vit. Je trouve le parti pris intéressant, à rebours des auteurs qui, dès lors qu'ils ont imaginé un univers, se croient obligés de TOUT décrire par le menu, y compris des choses dont le lecteur n'a rien à secouer ou qu'il pourrait déduire tout seul. Les grandes lignes de MDX s'appuyant sur des canons connus du grand public, Roch a bien raison d'y aller à l'économie. Il en dit beaucoup avec très peu, ce qui lui permet d'éviter les clichés et les longueurs.
Roch en donne assez pour tracer le cadre de son monde à lui. Au lecteur ensuite de se baser là-dessus pour combler les blancs, d'aller chercher dans ses références (Rollerball bien sûr, 1984, Brazil, Mad Max, Akira, Gunnm, Running Man, Silo…). Une lecture participative. Donc stimulante. J'adore ce genre de bouquin qui ne te plante pas en spectateur amorphe, où tu dois mettre du tien.
De quoi apporter dix-sept brouettes de grain à moudre dans les débats sur la propriété d'une oeuvre : appartient-elle à l'auteur qui l'a écrite ou au lecteur qui la reçoit ?…
Alors oui, Roch aurait pu écrire un “vrai” roman plein de pages, il ne manque pas de matière ni d'idées. Mais qu'est-ce qu'il aurait raconté de plus ? le Cocon ? On s'en fout, le gros de l'action se passe à l'extérieur. La vie de Molly Pop de A à Z, son enfance, ses joies, ses peines, ses amours ? Pareil, il campe très bien le personnage à travers ses actes. L'époque couettes et soquettes, on s'en balance, elle n'apporterait rien de plus. D'autant que Molly est une sportive, quelqu'un à qui on demande d'être là à l'instant T, pas de se perdre en rêveries et séquences souvenirs. 150 pages de plus, ç'aurait été du baratin, des intrigues secondaires inutiles, des développements superflus, des personnages supplémentaires qui passent juste pour meubler. Bref, du vent.
L'histoire avance donc à un rythme rapide, qui colle très bien au roller derby – discipline peu propice à la glandouille. Toujours plus vite, plus haut, plus fort, comme disait le gars qui faisait d'une pierre deux coubertins.
Dès lors qu'on fait l'effort de s'impliquer dans une lecture constructive, ce bouquin n'a rien de frustrant. On apporte son manger et on se tape un gueuleton virtuel avec l'auteur (ce qui tombe plutôt bien, j'ai cru comprendre qu'il était friand de boustifaille).
Le style se montre à l'image du propos et de la démarche, rythmé et dynamique. Très propre aussi. Dans ces 80 pages, on trouve moins d'adverbes en -ment et de verbes introducteurs que chez certains plumitifs en une dizaine. Une lecture très fluide et agréable, voilà ce qu'on gagne à virer les scories.
Un style inventif aussi, je pense à l'argot de Tob. Et pas avare de notes d'humour dispatchées avec mesure pour ne pas tourner au guignol. de Molly Pop “ne risque pas de partir en sucette” à l'équipe des Conan Dolls, je constate avec plaisir que monsieur aime les jeux de mot à deux ronds. Quant à la dernière phrase du bouquin, je me suis tellement bidonné que j'ai failli faire sous moi.
Depuis un moment déjà, je voulais découvrir Michael Roch écrivain. C'est fait et je n'ai pas perdu mon temps. Il apporte sa pierre à l'édifice du pulp, normal avec un nom pareil (et que tu le prononces roc ou roche, le calembour fonctionne). Je compte bien jeter un oeil au reste de sa biblio, voir comment il se débrouille avec d'autres genres et d'autres formats. En espérant que ce soit aussi excellent, pour le comparer à un auteur majeur.
Alors je pourrai dire qu'à côté de [grand nom de la littérature], Roch voisine.
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