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EAN : 9782382670774
128 pages
Mnémos (23/08/2023)
3.77/5   37 notes
Résumé :
Au décès de son père, un jeune homme revient à la Martinique. Accueilli par son frère, il va découvrir l’envers d’une île que la France abandonne, une île en proie à des bouleversements écologiques et sociaux, une île où tout a définitivement changé… comme lui.

Poursuivi par ses démons hexagonaux et les visions d’une étrange anguille spectrale, Charles va s’engager peu à peu, entre relations fraternelles tendues et amours multiples, aux côtés des indé... >Voir plus
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2037, la Martinique n'est toujours pas indépendante. Elle est pourtant délaissée par la République française qui a exploité ses ressources mais ne résout pas les problèmes que cette exploitation a causé, comme la paupérisation d'une partie de la population, ou encore les problèmes de contamination de l'eau. Une partie des natifs victimes de la situation décident alors de mener leur combat terroriste pour affranchir la Martinique de la main-mise de l'envahisseur blanc.
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Parmi ces solda, Appolon, qui voit débarquer de France son frère métis, Charles. S'il l'accueille dans sa maison du bòdlamè, laquelle mer polluée est le seul moyen de prendre son bain tant la maison semble à l'image du pays : en transition inaboutie, en chantier temporaire devenu permanent, il l'obligera à choisir son camp. Soit il est du côté des blancs, auquel cas ses jours seront comptés, soit du côté des natifs et alors il devra le prouver, en agissant pour leur compte.
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Car retenez bien cette date, 2037 sera l'année de l'indépendance de la Martinique.
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Avec Les Choses immobiles, Michael ROCH nous ramène dans les îles, et retravaille ce thème qui lui est cher des actions de groupuscules terroristes visant à libérer la Matinik du joug des colonisateurs.
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Il utilise cette fois un univers moins futuriste que dans Tè Mawon, qui avait découragé certains lecteurs autant par son côté SF/anticipation que par le langage utilisé pour le récit : mélange de français, d'argots et de créole. Ici il continue de nous immerger en glissant des mots ou des phrases créoles, mais beaucoup plus éparses et isolées que dans Tè Mawon.
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« Les Choses immobiles » semble donc plus accessible. Pourtant, l'histoire ne nous est pas livrée toute cuite. Si nous entrons dans certains livres comme dans un tableau de maître, où le décor achevé nous invite simplement à nous laisser porter par l'ambiance, Michael ROCH me donne plutôt l'impression de travailler l'esquisse. On le voit dessiner le paysage et l'ambiance à coups de traits de crayons par-ci par-là, le bòdlamè, lanvil, tel personnage ou tel autre : des scènes et portraits qu'il nous revient d'animer, en les reliant entre eux par les bribes de pensées du narrateur ; même le point de vue fluctue avec cette narration passant du je au tu comme si, en fait de deux narrateurs liés par une grande tendresse, le personnage principal se parlait en réalité à lui-même.
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Ca donne au récit une oralité, une intimité et une proximité avec le lecteur qui tend vers le poème ou l'incantation ; Ca offre en même temps à Charles et au lecteur le recul nécessaire lorsque le narrateur lui prodigue conseils et encouragements, comme si Charles se parlait à lui-même, s'incitant à réfléchir, pour tenter d'y voir clair parmi les voies qui s'offrent à lui, les choix politiques et familiaux qu'il doit faire, les choix amoureux aussi, tout partagé qu'il est entre une situation insulaire loin de lui paraître idéale, et des idées et procédés qui heurtent encore sa sensibilité. Pourtant, et sans mauvais jeu de mots, Charles n'est pas tout blanc lui non-plus… Un pan de l'histoire familiale va, là-encore, nous être esquissé pour nous le prouver. Il est hanté lui aussi, par un serpent, une anguille qui rend ce retour au bercail et l'air entre les deux frères particulièrement électrique.
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J'ai bien aimé l'immersion linguistique, j'ai aimé voir tout un contexte se dessiner au fur et à mesure sous mes yeux pour me permettre de comprendre la situation et l'histoire en si peu de pages (à peine 100). La touche de réalisme magique est si légère qu'elle passe crème. J'avoue toutefois que je trouve toujours ce mode de narration par esquisses un peu frustrant car j'ai l'impression de ne faire que survoler l'histoire, le sujet et les personnages. Mais à la fin, force est de constater que nous avons une vue d'ensemble, un crayonné en noir et blanc du destin de ce métis. Mission réussie, donc, même si je n'en ressors pas tout à fait rassasiée - ce qui m'arrive souvent avec les romans courts (mais qui n'est pas arrivé à la flopée de lecteurs avant moi qui lui ont mis 5 étoiles !).
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Un grand merci aux éditions Mnémos pour leurs publications de qualité et à Estelle pour ce service presse en particulier.
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Charles quitte la métropole pour rentrer chez lui, à la Martinique. Il laisse derrière lui son père, mort. Il retrouve son frère. Les retrouvailles sont fortes, mais étranges. le temps et les kilomètres ont agrandi la distance entre eux. Charles doit comprendre à nouveau son frère, son île.

Dès son arrivée, Charles se trouve en situation de passivité totale. Il est conduit par son frère dans une maison isolée, sans confort. Même pas d'eau courante. Et il attend. En se posant des questions. Sur son passé : il est parti de métropole parce que son père, dont il s'occupait, est mort. Mais tout ne semble pas clair de ce côté-là. Sur son frère : comment vit-il ? Pourquoi ces mystères dont il s'entoure ? Et surtout, pourquoi le soumet-il, lui, à plusieurs épreuves ? Pas comme dans Koh-Lanta ou ce genre d'émissions. Mais une vérification de sa loyauté, de sa fermeté. Il doit, par exemple, assister à la lapidation de traîtres.

Traîtres à quoi ? À la lutte pour la Martinique. Car la colère gronde sur cette île maltraitée, exploitée par les colons. Qui n'en sont plus officiellement, mais se comportent encore comme tels. Et le frère de Charles et d'autres sont lassés de cet état de fait qui perdure. Et n'est plus tenable : « notre lutte commune, c'est l'indépendance ». Alors on se compte et on se prépare à agir. Pour faire bouger les lignes. Pour que la société soit obligée de changer. Que ceux qui accumulent les privilèges et ne les partagent pas soient forcés de les abandonner. de renoncer à leur vie facile alors que d'autres crèvent littéralement. Juste à côté d'eux.

Le groupes s'organisent et préparent des opérations, violentes parfois. Un attentat. Avec explosifs. Mais rien n'est facile. Et d'abord, il faut convaincre Charles. Car son frère le veut avec lui, de son côté, de leur côté : « Il faut que tu sois avec nous, fratè ». Lors de la lapidation, il veut le voir participer. Prendre une pierre et la lancer. Sortir de son côté spectateur et devenir acteur de la cause. Et pendant tout le roman, il le pousse, tente de le convaincre, de le faire bouger.

Et il n'est pas le seul. Charles rencontre des femmes. Une, qui vient le voir, s'occupe de lui, lui coiffe les cheveux. Maitresse et mère à la fois. Mais aussi l'amie de son frère. Elle l'attire, évidemment, irrésistiblement. Duel fratricide en vue. Comme dans un bon polar glauque, planté dans des lieux sordides, avec des sentiments forts et violents. Les deux sont pleines de séduction, un concentré. Auquel Charles cède. Mais il cède à tout. Même quand cette séduction est dangereuse, même quand elle risque de l'entraîner vers la violence.

Je disais maîtresse et mère : Tanya et Gloria sont deux personnages forts. Même si l'une semble davantage indolente, on s'aperçoit rapidement que ce n'est pas le cas. Et qu'elle sait prendre des décisions quand il le faut, à la différence de son partenaire. Et la première décide. C'est d'ailleurs ce qui gène beaucoup d'hommes qui l'entourent, patriarcat oblige. On en sort difficilement.

Leur figure est contrebalancée, sortie du classique schéma, par l'irruption de Jidé, un jeune homme rencontré par Charles et aussitôt désiré. Parenthèse de passion forte, voire brutale. D'action de Charles qui ne reste pas passif, comme souvent. Qui ne se contente pas cette fois de gratter, ses cheveux, sa peau, comme il en a l'habitude. Comme s'il recherchait sous la surface la réalité des choses. Comme s'il revenait toujours sur la même plaie, les mêmes tiraillements, les mêmes blessures. Contribuant ainsi au sentiment de malaise qui nous gagne.

Dès les premières lignes, on se sent pris à la gorge. Entre les tensions qui lient les personnages, la passivité de Charles. Et, en arrière-plan, la présence de l'île et de son passé. Les lieux sont importants : la terre semble en déliquescence. Et les structures construites par l'homme inadaptées. Elles sont soit abandonnées, ou quasiment, comme le premier logement de Charles, sans porte, sans électricité, sans eau. Soit hideuses et symboles d'enfermement. D'ailleurs, Charles passe son temps à regarder par les fenêtres. Il paraît ne voir le voir le monde qu'à travers ces ouvertures, seules possibilités de lumière, d'évasion.

Et la magie omniprésente en arrière-plan, avec les traditions de la Martinique (qui m'ont rappelé celles que je découvre en partie à la lecture des Confessions d'une séancière de Ketty Stewart) : ses croyances, ses rituels, ses peurs, ses personnages symboliques. Tel le ougan, qui dirige les cérémonies (vaudou, j'imagine). Ce côté n'apparaît qu'en filigrane, par courts moments. Il est présent, mais pas au premier plan. Cependant, il est capital.

Ce qui frappe aussi à la lecture des Choses immobiles, c'est la structure. le récit est divisé en parties, sans titre, sans numéro. Elles-mêmes divisées en courts paragraphes séparés par des dièses. Comme une façon de montrer, de façon visuelle, matérielle, l'éclatement du récit lui-même. J'ai déjà évoqué ce type de déstructuration de la narration, récemment, avec les deux romans d'Emily St. John Mandel critiqués voici quelques jours (L'Hôtel de verre et La Mer de la Tranquillité). Là aussi, les personnages sont particulièrement perdus, en recherche d'un sens à leur existence, mais sans savoir dans quelle direction aller. Ils ont tendance à se laisser porter par le courant, par les vagues. Comme Charles. Et la forme en est une parfaite illustration, qui nous plonge presque physiquement dans leur ballottement d'un côté à l'autre, sans gouvernail.

On peut ajouter à ce lien entre le fond et la forme l'absence de guillemets. Alors Michael Roch ne nous laisse pas complètement démunis devant son texte et ses particularismes. Quand le frère de Charles parle, ses phrases commencent sans majuscule. C'est un indice. Et l'auteur en sème d'autres afin que nous nous y retrouvions. Mais cela demande un léger effort. Vite récompensé. Si vous me lisez régulièrement, vous savez que j'aime bien, aussi, les lectures qui m'obligent à faire travailler un peu mon cerveau, qui me sortent de mes habitudes de lecture, voire de pensée. Les choses immobiles ne pouvaient que me convenir.

Avec Les choses immobiles, Michael Roch signe un superbe récit, qui allie la force des sentiments, des doutes, des peurs, à l'exigence d'une écriture réfléchie, travaillée, mais néanmoins fluide et accessible. le résultat est puissant, comme ce mouvement qui tente de soulever la Martinique, de la réveiller. le texte est beau et nous attache à lui, inextricablement.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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« Entre les vagues, la terre et le sel ». Michael Roch
Le piédestal de la littérature !
Haut les coeurs !
« Les Choses immobiles » et l'admirable écriture de Michael Roch, dont chacune des phrases est langue humaine, irradiante et spéculative. L'acuité verbale innée. Elle nous attire, nous retient, élève notre regard. L'éminente littérature, efficace, poétique, qui, dès la première majuscule, vibre en nous.
Magnétique, engagé, c'est un chef-d'oeuvre intranquille, poignant, d'une beauté inouïe.
« Faudrait-il que j'émerge au monde, à chaque jalon, construit hors de ma volonté. Non. Me voir émerger au monde, dans le lieu bleu de la mémoire, me construire en épopée, en puissance, me dire que si j'existe, c'est du cosmos, si j'existe, c'est de la seule force de l'homme – que le reste du monde meurt, ouais, peut-être, mais que je grandis sans lui, dans sa faille ».
Un homme revient. de dos, nous le voyons. La tête baissée, les épaules lourdes et courbées, franchir avec force et courage, la Martinique. Fouler la terre-père, lave de volcan en son coeur, fragile et sublime. Il revoit son frère. L'hospitalité comme la pierre angulaire. Ce dernier est un combat, un homme qui creuse de ses mains l'île. Réfute les disparités, les inégalités, les troubles comme des algues qui chevillent ses élans. Indépendantiste, le bandeau noir sur le front dans cette invisibilité qui renforce. La parabole des mouvances intestines d'une île abandonnée aux astres sombres.
« «Il est temps que le bordel s'arrête. Que la colonisation s'arrête. Qu'on arrête de foutre la poussière sous le tapis ».
La sensualité superbe et assumée, les convictions comme le chant marin dans un coquillage, les frères sont des cris dans la nuit noire. Des retrouvailles fraternelles où se lovent les frustrations. Les existences murailles et bordures d'une île assoiffée de justice et d'équité.
Le revenant, Charles, accueilli dans cette concorde à laquelle il devra rendre des comptes.
Lui, le torturé, le tourmenté, des démons sur sa langue et son ventre, l'anguille spectrale emblématique.
Viril, solaire, le livre est étonnamment manichéen. Entre la trame surdouée et ce que Michael Roch dévoile le finement politique. On reste dans cette latitude d'une histoire essentielle qui est un langage de ténacité, de douleur de de persévérance.
« Tout se passe dans le geste, le geste qui ouvre, qui encercle aussi, qui creuse l'espace où se raconte chaque chose ».
« Une histoire commence par son incarnation dans le corps de celui qui ouvre la ronde des paroles, des danses, des rythmes aussi, des tambours du cosmos. Qui a dit ça ? Qui a écrit ça ? Tomber en possession ? ».
Charles reste cloîtré entre ses désespoirs, ses cauchemars, ses craintes et le poison lent qui diffuse les frustrations et sa vulnérabilité. Il va être embrigadé. Volontaire au fond de lui-même. L'exutoire qui rime avec la rémanence et son retour peut-être à la vie. L'ambiguïté des valeureux. Comprendre combien cette île a changé. Les mouvances intestines des disparités sociétales, les effluves écologiques, et l'appât du gain des puissants. Lui, qui vient de l'hexagone, entre deux rives, relève le danger de la finitude.
Les protagonistes sont assignés à l'immersion bouleversante d'un livre hors du commun. Symbolique et puissamment charnel, la danse des corps et le virilisme comme déontologie, la culture retourne les corps à contre sens. Et c'est beau !
« T'as la mer en toi, Jidé, le courant aussi, le ressac et l'écume qui s'écoule de tes lèvres ».
« Les Choses immobiles » l'obsession cardinale de lutter contre un monde ployé sous les affres. Les changements d'une île qui se moque et méprise les siens. La pauvreté comme une lumière qui vacille en bord de plage. Les résistances comme des vertus.
« Combien de temps met le progrès pour tout manger? Et de quel côté se vide la mer. Peut-être bien des deux ».
Le progrès qui fragmente ce peuple comme du pain moisi jeté aux chiens. Charles est de dualité, d'ombre et de lumière, le noir et le blanc. Un libérateur ou un terroriste ?
Ce récit est tempétueux, sombre et miraculeux.
« Nous ne sommes pas le ban du monde, nous ne sommes pas sa marge, pas sa province, pas son autour. Nous ne sommes pas son évasion, son aire touristique, encore moins sa rédemption ».
Le roman s'efface. Il cède sa place à l'intrinsèque, à la vérité. À la loyauté de l'abnégation. Devenir l'île, s'échapper de la vie. Être l'oiseau de mer qui sera la férocité d'un combat pour que tout change.
La Martinique en fronton, la liberté et la beauté d'un geste final. La violence comme une réponse au silence. Ce livre est un hommage à la lutte des coeurs. Digne d'un génie évident, il défie l'acceptation de l'advenir.
« Retiens bien, 2037, la Martinique devient indépendante ».
Taire le baisser de rideau d'un récit connivence avec notre cosmopolite. Des frères héroïques, la postérité du renom qui foudroie ce livre en majesté. Inestimable, l'anticipation lucide et exhaustive. Publié par les majeures Éditions Mu.
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Retour vers la plume distincte de Michael Roch ! Les choses immobiles met en scène une Martinique dans un futur proche. Loin de l'univers ultra techno de Tè Mawon, l'auteur propose un texte plus intimiste mais aussi plus proche de notre époque, alors que l'île n'est pas encore indépendante. Merci aux éditions Mu pour l'envoi. Qu'en ai-je pensé ?

L'histoire commence avec Charles et le décès de son père, comme un miroir de L'étranger de Camus. le jeune retourne à ses racines. Son frère l'accueille, lui trouve un appart. En échange de quelques boulots. Apollon est très actif dans les actions pour l'indépendance de la Martinique. Quel étrange narrateur que ce Charles, donc, qui reste à la marge, semblant bien moins intéressé par la politique que les hommes et femmes qu'ils croisent. Il est hanté par un passé que l'on devine petit à petit, qui rend la relation entre deux frères difficiles. Mais est-il aussi peu investi qu'on peut le penser ? Charles est métis et a passé une grande partie de sa vie en France métropolitaine. Il est donc une sorte de transition non finie, comme une esquisse. Ni noir, ni blanc. Ni local, ni étranger. Un entre deux.

Un entre deux qui se traduit dans son comportement. Charles souhaite renouer avec son frère mais il ne peut pas s'empêcher d'être attirer par la compagne de celui-ci. Il ne parvient pas toujours à réussir les taches qu'on lui confie. Charles est un personnage marqué par ses doutes et une forme de mollesse. Cet aspect est traduit par les introspections aiguës écrites par Michael Roch, qui donne une roman une certaine chaleur, mais aussi un coté très centré sur le personnage. En conséquence, les remouds de la Martinique semblent venir en arrière-plan, en filigrane, pour gagner en puissance sur quelques passages qui nous permettent de mieux comprendre les enjeux.

Car les choses immobiles n'oublie pas ses enjeux. Nous sommes dans un futur proche. La Martinique semble avoir été oubliée des pouvoirs français et laissée à l'abandon. le danger vient des eaux surtout. Elles semblent en grande partie empoisonnées et non consommables. Une scène marquante a lieu alors que des pluies torrentielles se déversent sur la ville, créant des inondations intenses. Les frustrations nourrissent la rébellion. Les habitants se tournent vers leurs origines pour rejeter l'envahisseur. Comme dans Tè Mawon, le Créole a une place importante comme élément structurant d'une identité unique et métissée, mais les mots sont moins présents, comme si cette identité restait trop diluée, pas tout à fait libre, comme une posture plutôt qu'une réalité tangible.

La narration est à cette image. Michael Roch nous propose son histoire à travers des paragraphes courts et incisifs. Un angle de vue rapide. Une scène, une langueur, un éclat de violence. Comme dans ses précédents textes, l'auteur fait preuve d'une grande virtuosité dans la maîtrise de la langue. On se surprend à noter beaucoup de citations, juste pour la musicalité des mots ou la chaleur des images. Cela donne à la narration un aspect décousue, mais cela participe à comprendre, par parcelles, aussi bien la situation complexe de l'Ile que la psychologie de Charles.

« Les choses immobiles » mêle habilement l'intime et le contexte plus large de la future société martiniquaise. L'auteur offre une plongée émotionnelle dans les conflits internes de ses personnages tout en offrant un aperçu subtil des enjeux sociaux et environnementaux qui façonnent le destin de l'île. L'auteur tisse un récit captivant en utilisant une narration fragmentée et des paragraphes incisifs qui capturent des moments clés de l'histoire. L'île, en proie aux conséquences des négligences françaises et à des enjeux écologiques, se manifeste en arrière-plan. Cependant, cet aspect fragmenté et l'écriture complexe peuvent rendre ce récit difficilement accessible à des lecteurs qui n'ont pas l'habitude des oeuvres de l'auteur.


Lien : https://lageekosophe.com/202..
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« Le monde change aujourd'hui. ramasse ta pierre, me dit le frère. »

Qu'il est loin mon temps à la Martinique. Été 2014. Immersion à la capitale. Puis parcourir l'île, manger, rire et danser sur la plage. La moiteur. le rhum qui coule à flots. Les combats de coqs. L'avocat. L'ananas. Les fonds blancs. Au rythme des baffles qui claquent.

Je viens de l'Hexagone. Je suis blanche. Je suis femme. Comment ne pas se sentir illégitime après une telle lecture. Comment aussi ne pas y percevoir un privilège. Comme si on m'avait gratifiée d'un peu de culture.

J'ai écouté, lu et ressenti. Je n'ai pas jugé. Je me suis laissée emporter.

Ce récit c'est un peu un long poème. Sa construction est anarchique, atypique, on ne comprend pas toujours tout et les passages en créole, j'ai demandé à mes collègues de me les traduire.

Et donc comme Charles, j'ai pas tout pigé des mots dégoulinants de l'auteur. Mais je les ai bus avec une passion nouvelle. Je suis tombée sous le charme de Michael Roch. Que je suivais depuis Amazonies Spatiales et que j'avais hâte de découvrir.

Le texte est particulier, il peut dérouter, il peut faire peur, il est cru mais beau, doux mais violent. le sexe est omniprésent, lyrique mais brut. La drogue aussi. La datura. Qui illusionne, enivre et annihile.

Mais j'ai lu et écouté la détresse des antillais. de Charles. de son frère. de Tanya. de Gloria. de Jidé…

L'auteur nous ambiance dans ses Antilles. Tristes Antilles, délaissées et délabrées par l'État français. J'ai recueilli au creux de mon coeur la sagesse des paroles, la pureté du texte, la dureté des mots. L'humilité, la claque des sens, cette caresse rude mais tendre.

L'expérience est unique, poétique mais aussi philosophique. Les Choses Immobiles c'est attendre le cul posé. La fin. Ou. Se bouger. Se battre contre le système, construire le nouveau monde, lutter pour sa survie, contre le racisme, pour l'Indépendance, pour récupérer ses Droits.

L'auteur est un artiste.

« C'est pas avec des mots qu'on lutte contre ce qui nous tue. »

Sp numérique. Merci @editionsmnemos @mu_label.
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critiques presse (1)
Actualitte
23 août 2023
L’auteur ouvre la porte sur une vision post-coloniale d’émancipation culturelle. Comment ? En interrogeant l’hyper masculinité d’une culture, mais aussi l’inaction d’un gouvernement lointain, questionnements à la fois politiques et sociaux.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Tes cheveux, non, ton crâne, non la racine de tes cheveux, te gratte chaque nuit Chaque nuit, la torture reprend et tu arraches bout à bout des pièces de ton cerveau. Tu grattes, c'est quoi, tu pourris, tes pensées qui pourrissent chaque nuit, que tu arraches une à une, mais qui reviennent chaque nuit, pire que du sel asséché du bain de mer, pire que la marque grasse des pellicules, c est une mycose qui s'étend sur ta tête, et en travers de ton esprit. Tu balaies, tu grattes. Parfois tu te laves la tête à la faveur du filet d'eau, dans la salle de bains. Et puis tu oublies tout quand tu te rendors.
Tu oublies Ies mensonges que tu arraches de ta tête, que tu laisses couler dans la bonde de la douche.
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Il est temps que le bordel s'arrête. que la colonisation s'arrête. qu'on arrête de foutre la poussière sous le tapis.
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Nous ne sommes pas le ban du monde, nous ne sommes pas sa marge, pas sa province, pas son autour. Nous ne sommes pas son évasion, son aire touristique, encore moins sa rédemption. Nous ne le sauverons pas des horreurs qu’il a commisses, nous ne sommes pas son opposé, nous ne sommes pas l’antagoniste de son récit, pas non plus l’objet absolu enfermé par son imaginaire. Nous restons barbares – qui a écrit ça, déjà? – nous devons rester barbares fondamentalement, être barbares à l’idée même d’être leurs barbares. Seul chemin pour apprendre du monde tout en marchant dans son courant, conserver ce regard, construire à partir de lui, engorger, grossir, grandir, englober le mal pour mieux l’entraver, le juguler, le cannibaliser.
Refuser la fiction des autres. Ne s’appartenir qu’à soi-même. Et rester barbare. Et cannibale.
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rester et apprendre, rester et changer, se voir se transformer, mais sans jamais devenir eux. ne jamais non plus rester dans l'immobile, dans l'attendu. rester et de changer dans l'imprévisible. les choses immobiles, Charles, sont des flammes invisibles qui te rongent et t'ensauvagent, te réduisent au plus petit. rester et se changer en plus grand, plus gros, cannibale, quoi.
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C'est l'occident qui, à travers ta voix, veut le crever, lui. le makoumé, c'est l'occident qui le tue, qui te dit de le tuer, parce que c'est l'occident et sa haine qui se répandent déjà en toi. c'est l'occident et ses idées, que rien n'est naturel, que tout ce qui n'est pas lui doit être exclu ou détruit. c'est l'occident qui te veut dans sa haine de lui-même.
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Longtemps pré carré de l'Occident, terrain de jeu plutôt masculin, la science-fiction s'est ouverte lentement aux femmes et aux minorités, sans toutefois parvenir vraiment à une représentation équitable des différents groupes. Et elle peine toujours à laisser la place aux Imaginaires dans d'autres parties du monde. Comment infuser les Imaginaires d'Ailleurs dans une littérature si marquée par ses origines géographico-sociopolitiques ?

Avec Ayavi Lake, Michael Roch, Tasha Suri, Abdourahman Waberi Modération : Saul Pandelakis
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