Avec cette longue nouv
elle,
Martine Roffinella nous entraîne dans une histoire terrible où souffle « le vent de la mort ». Il s'agit d'une relation délétère, véritable duel à mort entre un père et sa fille qui, à quarante ans passés, continue de l'attendre sur son manège de foire en espérant qu'il viendra la chercher, un cornet de glace à la main : « Papa, viens me chercher. » le père, lui-même « enfant de personne, venu au monde par
une sorte d'obligation natur
elle dont nul ne peut s'expliquer la signification », a mis au monde une fille « dont il ne voulait pas » et dont « il suce le sang » jour après jour. Il « s'est retiré un enfant du ventre » comme nous le suggère l'homonymie du titre. Sa fille « flotte dans un mot vide » et il n'en a cure.
Absent aux autres car uniquement présent à lui-même, ce père condense tous les défauts d'un pervers narcissique qui détruit tout ce qu'il touche. Sa fille pourrait le lui pardonner « car il est fou », handicapé après une opération du cerveau, mais trop, c'est trop. Problème : la « petite poupée téléguidée » tient de son père alors qu'
elle voudrait tant ne pas lui ressembler.
Elle « vomit les liens du sang » tout en s'agrippant comme une mendiante à ce père qui la tue à petit feu. Pour couronner le tout, le vampire qu'
elle « préfèrerait voir sous terre » s'accroche à la vie plus que de raison. Que faire contre « le germe de la survie » ? La sans-père aura sa solution. Malheureusement pour
elle, les « trous dans le cerveau » se refilent d'une génération à l'autre. Pourtant
elle n'avait pas eu « la chance d'être cancre »,
elle « connaissait les poètes et les philosophes »,
elle avait tout fait comme il faut. Trop, sans doute.
Pour raconter cette « bataille de têtes » violente et cru
elle où chacun « cognait dans la direction de l'autre », l'auteure utilise le monologue intérieur dans une narration à la troisième personne au style volontairement haché.
Elle s'affranchit des virgules pour mieux rendre compte du flux de la pensée.
Elle utilise à plusieurs reprises la barre oblique pour coordonner des mots qui semblent former un tout inéluctable : « murmures funèbres / grondements / suppliques ». Car « si le père parle une langue morte / composée d'adjectifs désuets »,
elle, la fille, « a choisi le moderne et les phrases qui marquent tels des slogans ».
Le lecteur, dans ce récit âpre d'amour-haine, qui allie une écriture puissante, taillée au scalpel, et une composition maîtrisée, appréciera le renversement de situation final qui fait de ce texte une véritable nouv
elle à chute. Il pourra recoller les morceaux de deux vies en miettes, non résilientes, grâce à
une suite d'images qui montrent de façon saisissante un double cheminement vers la folie.