Robert Harris sait surprendre avec l'Histoire tout en utilisant au mieux le contexte d'une époque (comme dans
Munich, V2, ou la trilogie autour de
Cicéron :
Imperium,
Conspirata,
Dictator…). Son nouveau roman,
Les régicides, est axé autour d'un événement qu'on néglige totalement de ce côté de la Manche. Pour les Français, il n'y a qu'une révolution : celle de 1789. C'est oublier un peu vite qu'un siècle plus tôt, en 1649, les Anglais avaient eux aussi coupé la tête à un de leurs rois. Au terme de combats entre le Parlement, la nouvelle armée qui le soutenait, appelée la New Model Army, et le roi Charles Ier et ses fidèles, le camp royal perdait la partie et les chefs de l'insurrection, au premier rang desquels Oliver Cromwell, décidaient de faire mettre à mort le roi. L'Angleterre entrait dans une forme de République, le Commonwealth, dirigée par un lord protecteur, Oliver Cromwell.
A la mort de Cromwell, le régime dirigé par son fils s'écroulait avec le retour au pouvoir en 1660 du fils du défunt roi, Charles II. Un Charles II ivre de vengeance à l'encontre de ceux qui avaient trempé de prés ou de loin dans la mort de son père, à commencer par ceux qui avaient signé l'acte de condamnation à mort de Charles Ier. Dès lors, une chasse à l'homme commence pour retrouver les anciens chefs républicains devenus des régicides.
Richard Harris s'empare de la fuite (réelle) de deux anciens chefs républicains : les colonels Edward Whalley et William Goffe. L'un était cousin de Cromwell, et un des chefs de la New Model Army ; l'autre, son beau-fils, était un pasteur puritain devenu un militaire fortement engagé dans la révolte. Les deux ont servi de gardiens à l'ancien roi après sa défaite et l'ont livré au bourreau. Ces deux hommes se savent figurer parmi les principales cibles des recherches menées par un royaliste zélé, Richard Nayler, pour le compte du cabinet privé. Ils s'enfuient en Amérique dans le Massachusetts.
Là-bas, accueillis par des communautés de puritains qui soutenaient pour la révolte contre le roi, ils semblent en relative sécurité, avant que climat ne se détériore pour eux. Les gouverneurs locaux des nouvelles colonies américaines ont beau être très favorables à leurs amis puritains, ils doivent composer avec le pouvoir royal. Les placards mettant leur tête à prix parviennent même à New Haven, colonie indépendante, où la communauté est dirigée par un révérend puritain extrémiste, John Davenport. Les deux hommes sont poursuivis par Nayler ; les sympathisants de la République les cachent dans des caves, des greniers ou des grottes, dans un pays encore vierge, peuplés d'indigènes qui ne vont pas tarder à se révolter.
L'ouvrage de Harris est dense. L'essentiel se déroule dans la Nouvelle-Angleterre alors en gestation. On assiste même à l'expédition navale conduite à la Nouvelle Amsterdam au nom du duc d'York, qui vit les Hollandais se rendre aux Anglais, sans tirer le moindre coup de feu. La ville allait plus connaître un grand développement sous le nom de son vainqueur…
Les parties en Angleterre montrent l'infortune des familles des régicides. le retour de la monarchie signifie la fin de leur richesse et de leur influence. Les femmes des fuyards et leur famille doivent se cacher, pratiquer leur foi avec discrétion. Quant aux régicides qui se rendent, ils meurent dans d'atroces souffrances : pendus, éviscérés vivants, émasculés, leurs entrailles sont jetées dans les flammes, avant que le bourreau finisse par les décapiter.
Le livre commence doucement et le lecteur étranger à cette période ne perçoit pas immédiatement les enjeux. Petit à petit, l'auteur revient sur l'insurrection contre le Roi, ses raisons, ses conséquences. le portrait qu'il dresse en creux d'Oliver Cromwell, est celui d'un despote, profitant des circonstances.
La présentation des débuts de la colonisation de l'Amérique est remarquable. Les colonies, les activités humaines et les idéaux religieux sont minutieusement décrits.
Robert Harris propose un roman historique très complet sur une période très mouvementée des deux côtés de l'océan Atlantique. Un régal pour qui aime ce genre de littérature.