Je viens d'accomplir un long voyage dont je remercie Babelio et Masse critique et les éditions Noir sur Blanc. J'ai pris mon temps et en ai interrompu la lecture en cours de route par celle de textes plus courts car, si ce récit est passionnant, il est aussi très dense et s'étire sur 550 pages.
A la recherche d'elle-même,
Mishi Saran se trouve conduite vers un moine bouddhiste du VIIe siècle Xuanzang qui vivait à l'époque de la dynastie chinoise des Tang sous l'empereur T'ai Tsung. Ce moine va entreprendre, par goût de l'aventure et pour étudier et ramener des textes bouddhiques, un périple de 6000 kilomètres qui va lui faire quitter son pays natal, traverser des déserts et de multiples petits royaumes rivaux, se joindre à des caravanes de marchands, gravir «les montagnes célestes» du Tian Shan, risquer plusieurs fois sa vie, se faire dévaliser par des brigands et enfin passer dix années en Inde à rechercher les traces du bouddha et recueillir des textes sacrés, avant de rentrer, au bout de dix huit ans, dans son pays.
Mishi Saran, tout au long de sa quête, alterne les extraits des carnets de voyage de XuanZang et de la biographie écrite par son disciple Hui li avec le récit de ses propres aventures et réflexions. Cela offre un récit plein d'érudition où elle fait des retours sur l'histoire mouvementée de toutes les régions traversées, les différents peuples qui s'y sont implantés au cours du temps, leurs croyances ancestrales sur lesquelles sont venues se greffer celles des marchands qui hantent la route de la soie et des peuples envahisseurs (le zoroastrisme, le chamanisme réapparaissent souvent sous le bouddhisme).
Mais c'est aussi un récit plein de vie car, à l'image de Xuanzang, elle nous fait part de toutes les anecdotes tragico-comiques qui jalonnent sa route.
J'ai une préférence pour toute la partie qui suit la route de la soie. Qui n'a pas rêver à l'évocation et la magie que font naître les mots de caravansérails, de la Sogdiane («Le mot sogdien pour le marché était souk. J'avais toujours pensé qu'il venait de l'arabe, alors que les arabes l'avaient probablement importé d'Asie centrale»), de Boukhara, de Tachkent, Samarcande. La vallée du Ferghana Kirghize où, près du lac Issy Kul, les nomades chassent à l'aigle, les bazars où se pressent les étals de fruits, les brochettes de viande de mouton grillée, les galettes de pain frais etc..
Pourtant la guerre est proche et les frontières ne se laissent pas franchir aisément. Sans aide diplomatique ou amicale
Mishi Saran n'aurait pu suivre les traces de son moine pélerin.
Elle devra d'ailleurs laisser provisoirement de côté le passage en Afghanistan.
"L'Amou-Daria, le «fleuve tumultueux». J'avais tant désiré me plonger dans ses eaux, regarder le soleil aplanir ses bords, mais il coulait derrière la barrière électrifiée marquant la frontière avec l'Afghanistan. "
Au temps de Xuanzang il y avait une multitude de petits royaumes rivaux mais leur traversée semblait plus aisée. On pouvait se dissimuler plus aisément que de nos jours où les moyens de contrôle sont plus élaborés et la suspicion vis à vis de l'étranger exacerbée par les guerres entre états.
Au Cachemire autre zone à risques, dans la partie indienne, et ensuite au Pakistan
Mishi Saran est plus touchante car elle semble renouer avec ses racines, se réapproprier son identité et retrouve une sérénité qu'elle avait perdue (une femme lui avait dit un jour : «Tu vas d'homme en homme comme on cherche un pays»). Par contre, en Inde, les traces de Xuanzang sont plus diluées et lui-même dans ses carnets se dit déçu d'aboutir parfois à des ruines là où il croyait arriver dans des monastères bouddhistes florissants.
Elle parviendra grâce à sa ténacité à pénétrer en Afghanistan par la passe de Khyber en se servant de son ancienne carte de journaliste mais l'état dans lequel est ce pays la bouleverse et elle s'y perd et perd de vue Xuanzang.
«Quelque part dans les hauteurs d'Afghanistan, dans mes escapades à travers Kaboul, j'avais perdu ma foi en l'humanité. Je n'étais plus que cynisme, je soupçonnais des intentions cachées partout, je doutais de toute parole imprimée, de toute déclaration officielle. J'avais été dépossédée de tout sentiment de sécurité et mon esprit s'était comme ramolli.»
Après avoir repris le cours normal de sa vie elle nous dit :
«Mon voyage sur les traces de Xuanzang continuait de vivre en moi, tel un vol de lucioles projetant sa lumière évanescente à l'intérieur de ma tête....
Dans l'ombre du moine, j'avais appris une histoire nécessaire. Je me sentais ancrée dans des aventures qui se déroulaient sur de vastes territoires que j'avais parcourus et j'avais conscience d'en avoir à peine entamé la surface...
Quand je me remémorais les leçons de Xuanzang, j'en arrivais à me demander si je n'avais pas tout imaginé.»
Je la remercie de m'avoir fait connaître ce «sacré» moine et de m'avoir fait partager son rêve fou à sa recherche.