Le visionnaire est un récit resté inachevé et assez marginal dans l'oeuvre de Schiller, bien qu'il eût une certaine influence auprès des romantiques. Il est vrai qu'il aborde des thèmes qui leur étaient chers tout en suscitant un certain climat d'étrangeté. le 18 siècle n'avait pas été que celui de la raison. Les francs-maçons, les rose-croix, les illuministes étaient influents. L'orient, avec ses pratiques de magie anciennes, sa philosophie, sa mystique, sa science, fascinait. Il y avait encore partout en Europe des hommes qui s'intéressaient à la Kabbale et à l'alchimie. Et parmi ceux-ci des aventuriers, de grands escrocs obtinrent un immense prestige au milieu de cours encore largement crédules, en jouant les illusionnistes. On prêtait à certains, sinon l'immortalité, une longévité exceptionnelle, le don d'ubiquité, de métamorphoses… le Comte de
Saint Germain et Cagliostro étaient de ceux-là et servirent de modèles à Schiller. le Prince de… mène à Venise une vie discrète. Il est d'abord présenté comme un homme Rêveur et Mélancolique, sans ambition, et fuyant les plaisirs. Venise était alors une sorte de théâtre cosmopolite, ville dissipée, ville corrompue, où se gaspillaient, dans les plaisirs, autour des tables de jeu, d'immenses richesses. Ville d'espions aussi, et d'inquisiteurs. le Prince se laissera peu à peu prendre par ce tourbillon au milieu d'imposteurs, de magiciens, de prélats et de libertins, pénétrant dans une sorte de dédale où sa raison vacille. Tout débuta lors du carnaval, quand dans une foule massive lui apparut un homme portant un masque, en habits d'Arménien, lui annonçant des événements encore inconnus de tous. Omniscience ou machinations, le récit prend alors des allures d'enquêtes criminelles, avançant parfois de façon confuse, comme les personnages eux-mêmes, qui semblent se perdent.