Le rêve (ou plutôt son souvenir évanescent, et le récit reconstitué de l'activité imaginaire propre au sommeil sans lequel le rêve ne pourrait socialement exister) est un phénomène universel. Universel aussi est le statut ambigu des rêves, qui fascinent et toujours aussi inquiètent : parce qu'ils témoignent d'une activité de l'esprit au moment même, paradoxalement, où l'homme est plongé dans un état de léthargie et d'inaction parfois assimilé à la mort, et aussi parce que l'individu considère ses rêves comme une expérience qui lui appartient absolument en propre, mais qui lui renvoie pourtant le sentiment d'une certaine aliénation, comme si un autre que lui avait rêvé à sa place ou comme si les visages reconnus dans son rêve n'étaient pas, ou pas au même degré, ceux des personnes qu'il connaît par ailleurs1. Les rêves s'apparentent à l'expérience des sens (dans les deux cas, il est question de « voir » et d'« entendre ») et produisent des « images » et des « sons » qui, dans l'instant, semblent réels, mais pour être condamnés au réveil par l'évidence, qui s'impose peu à peu, de leur caractère illusoire et par un oubli presque immédiat si un récit ne vient pas au plus vite les fixer.
Il y a le futur simple, qui désigne clairement une action à venir. Il y a aussi le futur antérieur, qui délimite un passé dans le futur, désigne une action qui est future par rapport à nous, mais passée par rapport à un futur plus lointain (« quand j'aurai labouré, je sèmerai »). D'autres formes verbales, sans être à proprement parler des temps du futur, ont une dimension de futur : le participe présent désigne une action en cours, dont l'achèvement est seulement prévisible ; en latin, l'adjectif verbal indique la nécessité d'une action qu'il convient d'accomplir, mais qui n'est pas encore réalisée ; le mode conditionnel désigne, de son côté, la possibilité de ce qui pourrait advenir dans le futur si une condition préalable se réalisait.
Il est des sociétés, étudiées par les anthropologues, qu'on appelle parfois « sociétés à masques », indiquant par là qu'elles semblent communier dans des mascarades et les récits mythiques qui les accompagnent. Il n'importe pas ici que cette dénomination soit ou non justifiée ; je retiens seulement que dans certaines sociétés « primitives » les masques ont une place centrale que, à l'évidence, je ne retrouve pas dans la société de l'Occident médiéval.
Sans doute le désir de connaître à l'avance le futur est-il commun à toutes les sociétés humaines : l'inquiétude du lendemain, le souci de savoir s'il est opportun d'entreprendre une action, l'angoisse de connaître l'heure de sa mort, se retrouvent partout et de tous temps10. Mais les moyens utilisés pour satisfaire ces désirs varient d'une culture à l'autre, selon les systèmes de croyances et les formes de rationalité qui les caractérisent.
L'interprétation des songes était un autre domaine privilégié de la prédiction du futur. L'abandon de toute volonté consciente dans le sommeil, l'afflux d'images oniriques qui transgressent les règles de la perception commune, l'apparente dissociation provisoire du corps endormi et de l'âme en éveil soutiennent l'idée d'un accès direct et privilégié, grâce au rêve, à la connaissance du futur.
"Histoire des rythmes au Moyen Âge" par Jean-Claude Schmitt