L. N. Tolstoï : La vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains

C'est le genre de livre ancien qu'il vaut mieux avoir près de soi, pour ce qu'il renferme et pour le sujet qu'il porte, déchu pour un temps de sa grâce qui revient par miracle car il constitue une valeur du passé, du travail bien fait auquel on ne peut pas plus avant se soustraire. Je l'ai longtemps gardé précieusement dans ma bibliothèque comme un objet insolite sans ignorer la valeur qu'il représentait, à mes yeux en tout cas. et qu'un jour je le ressortirais avec volupté en lui rendant tous les honneurs. C'est chose accomplie !

Je ne raffole pas en général de cette écriture à quatre mains, n'attendons pas de moi que j'en livre ici les secrets, je ne sais pas quel était leur modus operandi à la paire Séché/Bertaut, pas plus je n'en connais la date à laquelle ils ont écrit cette biographie consacrée à Léon Tolstoï. Aucune date n'est indiquée dans le vieux livre original que j'ai entre les mains. Je dirais entre 1920, 1930 qui fut publié par les Editions Louis Michaud 168 Boul.. ST -Germain Paris. La coiffe du livre que j'ai en parfait état et qui fait son poids est vierge de tout ornement, toute indication comme s'il était malade et qu'on avait pallié par un chiche gros papier endurant à toute épreuve du temps et des mains qui passent plus ou moins délicates les unes que les autres .. A vrai dire, je ne pense pas que le mien ait circulé dans plusieurs mains, tant son état est nickel !

Pas plus je n'affectionne la littérature assortie de gravures-photos toutes les 5 pages - nous avons un auteur contemporain en la personne de Michel Houellebecq qui est un exemple à suivre en la matière car il sait très bien qu'il faille sérier la littérature, la poésie et la photographie parce qu'il sait pertinemment qu'en France en particulier on n'aime pas le mélange des genres et que l'un n'apporte rien à l'autre, même le dessert. Mais ici je dois dire que cette documentation graphique a attiré ma curiosité en ce sens qu'elle est rare et en partie inédite et comme le livre se veut être un éclairage nouveau de la vie et de l'oeuvre de Tolstoï, non seulement je n'en vois pas d'inconvénient mais je dois dire que j'ai apprécié ces 35 pièces qui jalonnent le livre à bon escient. Je pense que ça représente un réel travail d'être allé chercher cela qui se révèle comme une série de témoignages d'un vif intérêt quand on est comme moi attaché à la connaissance de l'héritage tolstoïen.

Je ne sais pas si les Editions le Failler de Rennes qui ont publié en 2022 le livre en numérique comporte cette source documentaire. A voir ! Je salue en tout cas ici leurs efforts pour tirer un peu de l'oubli cette oeuvre des deux compères nettement moins connus aujourd'hui mais qui ont eu leur succès en leur temps.

Bon alors en quoi éclairage nouveau et plus-value par la même occasion ? parce que les biographies et les essais consacrés à Léon Tolstoï, rien qu'en français seulement se chiffrent par centaines.

Le propos de Séché et Bertaut s'inscrit dans une série biographique consacrée à une dizaine d'écrivains de renom dont Balzac, Goethe, George Sand, Diderot, Byron.. intitulée La Vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains. La plus-value certaine déjà est que ses auteurs placent l'artiste à l'étude dans son temps, en historiens et qu'il n'y a rien de tel comme piqure de rappel pour nourrir la connaissance.

Lors d'un délibéré, Séché et Bertaut ont décidé de consacrer leur efforts sur l'Enfance et la jeunesse de Tolstoï, sur la période du Caucase à Sébastopol, sur Tolstoï et la littérature, sur sa vie à la campagne, sur ses voyages et pédagogie, sur les femmes dans la vie de Tolstoï, sur la religion de Tolstoï et sur sa vie de famille. C'est à se demander si je n'ai pas loupé ma date présumée d'écriture de l'ouvrage pour l'avoir trop repoussée. C'est donc une déclinaison thématique dont il s'agit ici et non chronologique. C'est le plus dur parce qu'il nécessite une connaissance parfaite de l'auteur ciblé. Il est probable que les auteurs se soient partagés les chapitres, planchant séparément sur le projet. Mais attention, si eux pensent selon leur fantaisie, je ne ferai aucune concession quant à la véracité de leur entreprise.

On va prendre au hasard Tolstoï et les femmes dans sa vie à soumettre au crible de votre serviteur !

Bon, en fait c'est simple, déjà l'idée qu'ils s'en font est fausse puisqu'elle repose sur l'amour filial des femmes qui ont élevé Tolstoï et tout de même Sonia la femme de sa vie. Si on avait eu comme connaissance que ce dont nous instruisent Séché et Bertaut, on se demanderait qu'est-ce qui a pu fabriquer la légende d'un Tolstoï sensuel, voire bestial, qui s'éprenait des bonnes, des paysannes, qui faisait la nouba avec les tziganes, fleurtait avec sa future belle-mère, ou sa jeune tante plus âgée que lui de 8 ans, en gros tirait sur tout ce qui bougeait de féminin bien en chair et attirant

Ils prétendent que ces échos de débauché ne sont pas arrivés jusqu'à eux, s'ils s'étaient foulés un peu la rate non pas en abordant l'affaire comme une famille saurait le faire pour cacher des secrets d'alcôve, mais avec la volonté d'être un peu plus indiscret voire vicieux, ce n'est pas 20 pages qu'ils auraient écrit sur le sujet mais 10 fois, trente fois plus comme l'a fait Marie Sémon dans les Femmes dans l'oeuvre de Tolstoï. Si juste un point, il faut le reconnaître quand ils évoquent la cosaque, créature de rêve dont Tolstoï tombe amoureux au Caucase dans le livre éponyme au pluriel. Ils abordent aussi en deux pages son idylle avec Melle Valéria V.A. qui comportent quelques inexactitudes.

Les éléments rapportés ici dans le paragraphe ci-dessus nommé sont extraits de la biographie de Paul Birukov, son disciple et secrétaire. Et comme ce dernier est incomplet sur le sujet par désintérêt et déférence, cet unique son de cloche en sort encore appauvri.

C'est bien sûr plaisant à lire parce que ça donne l'image d'un garçon évoluant dans un monde choyé, plutôt timide avec les femmes qui sont ses femmes comme peut l'être une grand-mère, comme peut l'être une tante qui va l'élever dès la mort de sa propre mère, comme peut l'être sa propre femme qui conclut le chapitre. Sur fond d'amour platonique et maternel, on a vraiment le sentiment d'être passé à côté de quelque chose qui a tellement fait couler d'encre.