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sur 879 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un livre, entre mémoires et essai, pour relater l'indicible « Mal absolu » : les camps de concentration et plus particulièrement celui de Buchenwald.
Jorge Semprun ne veut pas faire un simple récit, mais composer une oeuvre d'art. Il attendra de nombreuses années avant d'y parvenir. Cet ouvrage est un hymne formidable à la fraternité, à la littérature et à la poésie, et à la Vie.

Magnifique.
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Démonstration magistrale que pour vivre il faut oublier mais que l'oubli est impossible. L'écriture ou la vie… raconte la lente avancée vers la vérité d'un homme qui cherche à s'éloigner de ce qu'il estime être sa mort. le matricule 44904 du camp de Buchenwald fut un étudiant remarquable du Lycée Henri IV passionné de poésie et de philosophie, érudit, résistant et communiste. Déporté deux ans dans le camp de concentration jouxtant la ville de Weimar où vécu Goethe, c'est une armée américaine, à l'opposé de la rigidité militaire des nazis, peuplée de militaires noirs, latinos, juifs d'origine allemand qui le libère. Dans ce récit autobiographique Jorge Semprun ne s'interroge pas seulement sur la « radicalité du mal », ni sur ses raisons, ni même sur les formes qu'elle prend mais sur ses seize années de mutisme concernant son vécu dans les camps. Comment raconter ? Qui nous croira ? sont les questions des survivants, les siennes aussi. Ainsi, même si le blanc glacial de la neige de Buchenwald illuminée sous les projecteurs des miradors l'obsède, il n'en demeure pas moins silencieux. Pour vivre, il se tait. Il ne voudra pas rencontrer Primo Levi malgré l'occasion qu'il en a, taira son expérience quand d'autres se raconteront, ne dira pas aux femmes qu'il rencontre qu'il fut une victime de la déportation. Cependant, l'odeur écoeurante de la fumée des crématoires, le hurlement guttural des SS, les coups, le froid, la faim, le rattrapent sans cesse. Ces pages ne s'attardent pourtant pas sur la brutalité des SS ou sur les horreurs si souvent décrites sur dans les camps. Semprun essaie de s'arracher à la puanteur de la mort pour retrouver ses souvenirs de vie, les premiers pas de danse du revenant, une bonne bouteille bue dans un train. Il renoue avec les auteurs qu'ils lisaient à cette époque Kant, Wiggenstein, Malraux, Heidegger qui ne reconnaitra jamais l'abomination. On découvre que la poésie fut pour ces intellectuels plongés dans l'horreur plus qu'une forme littéraire, une prière, une incantation pour éloigner le mal. « Ô Allemagne mère blafarde » de Brecht sillonne les pages, Baudelaire chuchoté accompagne la mort d'un ami atteint de dysenterie «Ô mort vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre… nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons…". Un orchestre clandestin jouera du jazz dans les entrailles de cet enfer, on parle philosophie sur les latrines seul endroit dont la pestilence tient les nazis à l'écart. Après un prix littéraire et la notoriété internationale, Semprun s'autorise à revenir 40 ans plus tard sur le lieu de ses souffrances. Et nous restons médusés et perplexes devant ce que dit Semprun de son retour à Bunckenwald « J'étais ému le mot est trop faible. J'ai su que je revenais chez moi (…) je revenais chez moi, je veux dire dans l'univers de mes vingt ans ».
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Je me souviens d'un vieil homme qui m'a dit ça un jour : « J'étais encore un môme quand la guerre est arrivée, j'ai grandi avec ces années pleines de gris et de peur. Puis tout ça s'est terminé : les soldats américains sont arrivés avec un son que je n'avais jamais entendu avant. C'était neuf, vivant, spontané…libre ! Tout ce qui m'avait manqué pendant quatre ans. Alors moi je me suis jeté dessus, comme un gosse avide, sur ce jazz. ».
Ce sentiment je l'ai retrouvé, avec une ampleur encore plus grande, dans un récit où je m'attendais à tout sauf au jazz. Là où les oiseaux ne chantaient plus, un autre homme m'a raconté une histoire qui, pour moi, signifiait à peu près la même chose : il existait un groupe de jazz clandestin à Buchenwald ! Des hommes ont donc trouvé la volonté nécessaire pour jouer une musique, née d'ailleurs du cri d'autres esclaves, espace sacré de liberté dans un endroit où elle ne signifiait plus rien, où n'advenait plus qu'avec la mort.
Ce jazz, que Semprun va écouter en secret, au mépris d'un danger innommable, a soudain une autre dimension : ces notes c'est de la vie qui coule dans le corps martyr d'un jeune résistant arrêté, torturé et déporté. C'est la preuve définitive, s'il en fallait encore une, que rien n'arrête la force créatrice de l'homme. Car il y avait aussi des peintres, des musiciens, des poètes même qui se sont défaits, pour un temps seulement, de leur réalité pour aller vivre dans le rêve de l'art, alors qu'alentour tout avait le goût de la désolation. Et que dire de ces étrangers qui se rejoignent comme les perles d'un même collier pour jouer ensemble cette musique honnie de leur bourreaux : « Jiri Zak m'avait annoncé qu'ils allaient faire une séance de jazz, comme ça, sans raison, pour le plaisir, entre eux, les musiciens que Zak avait rassemblés, ces deux dernières années […] Les S.S., bien entendu, ne connaissaient pas l'existence de l'ensemble de jazz, dont les instruments avaient été récupérés illégalement » ?
Libéré, en entendant Louis Armstrong sur un électrophone, le rescapé se dit qu'il est enfin revenu (même s'il lui faudra des années pour se savoir vraiment vivant) parce ce que ce rythme endiablé, indomptable participe, quelque part, à sa reconstruction. Et c'est la musique qui deviendra la substance même de ce livre qui va le hanter des années avant de sortir, enfin : « Cette musique, ces solos désolés ou chatoyants de trompette et de saxo, ces batteries sourdes ou toniques comme les battements d'un sang vivace, étaient paradoxalement au centre de l'univers que je voulais décrire : du livre que je voulais écrire ».

(Critique que j'ai rédigée pour le magazine Jazzosphère, dans les années 2000)
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Jorge Semprun a été enfermé dix huit mois dans le camp de concentration de Buchenwald. Il avait une vingtaine d'années, était membre actif de la Résistance et cette parenthèse de vie l'a marqué à jamais. Pendant quinze ans, il a préféré oublié, vivre plutôt qu'écrire, c'était l'écriture ou la vie car l'écriture le ramenait sans cesse dans ce camp de Buchenwald parmi les morts, les mourants et la fumée des fours crématoires. Finalement, au début des années 1990, après quelques récits évoquant plus ou moins frontalement cette histoire, Semprun la prend à bras le corps et la livre au lecteur. C'est un récit pudique fait d'allers retours entre plusieurs époques, plusieurs faits, un récit à la première personne guidé par l'amour de la littérature et le souci de se souvenir malgré tout. Un pied de nez à la mort.
Lien : http://puchkinalit.tumblr.com/
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Buchenwald.
Comment « oublier » la mort qui rode inexorablement ? En murmurant des vers, en se remémorant des bribes de poèmes qui reviennent en soliloques, en déclamant à l'unisson, dans des échanges solidaires, de la poésie, (Apollinaire, Breton, Char, Victor Hugo, Francis James, Louise Labé, Lamartine, Mallarmé, Rimbaud, Ronsard, Toulet, César Vallejo …) en criant, en hurlant des strophes emportées par le vent avec « les flocons de la fumée grise ». Tenter de vivre, survivre, avec les livres, la poésie, l'amitié, la musique (les chansons de Zarah Leander, les orchestres clandestins…), les représentations théâtrales, les réunions politiques, dans un quotidien difficilement dicible : « le réveil à quatre heures et demie du matin, le travail harassant, la faim perpétuelle, le permanent manque de sommeil, les brimades des Kapo, les corvées de latrines, la ‘schlague' des SS, l'atroce solitude du Revier, la fumée du crématoire, les exécutions publiques » …
11 mars 1945 – Libération de Buchenwald - Retour à Paris.
Vouloir de se débarrasser de « la mémoire de la mort, de son ombre sournoise », tenter de trouver le repos spirituel et l'oubli…
Témoigner ou pas ? Pourtant ce retour à la vie est incompatible avec l'écriture qui lui rappelle la mort « celle-ci me ramène à la mort, m'y enferme, m'y asphyxie » Il lui faudra donc opter entre l'écriture et la vie et Joge Sumpre choisira pour longtemps et pour pouvoir tout simplement respirer « le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l'écriture. Il restera de longues années sans vouloir écrire ces pages qui racontent la mort. Longtemps aussi « la nieve » hantera le cauchemar de ses nuits, la neige, celle des paysages de Buchenwarld.
C'est tout cela que " L'écriture ou la vie" nous révèle ». Et moi j'y ai redécouvert un écrivain attachant, un homme vrai, pudique, fraternel.

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Le livre est un peu difficile à lire mais il faut reconnaître qu'il est brillant, captivant. Jorge Semprun montre son cheminement pendant sa déportation mais également et surtout au "retour" de sa déportation. Il permet de voir les différentes phases qu'il a pu traverser, la recherche d'un exutoire pour sa mémoire, pour lui permettre de retrouver une sérénité... L'écriture n'est pas obligatoirement ce qui lui a permis de vivre avec cette expérience difficile, le souvenir de ces moments terribles.
Sans nul doute que l'écriture n'est pas le seul élément qui a permis à Semprun de "vivre" avec son passé, de se réaliser malgré tout. Toutefois, l'écriture est un aspect essentiel de sa vie.
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Dans ce livre très grave, Jorge Semprun évoque à travers son expérience d'internement dans le camp nazi de Buchenwald, son incapacité d'écrire ce dont il a été témoin et ce qu'il a vécu.
Quel choix en effet pour celui qui revient dans le monde des vivants ? Comment survivre, comment revivre ? Par la recherche obsessionnelle de l'oubli ou par la transcription de ce "voyage" infernal par l'écriture ? Comment aborder cette transcription ?
Des questions essentielles qui se sont posées à tous les revenants du monde de la mort diaboliquement orchestré par les Nazis. .
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Superbes récit et méditation d'un homme au parcours exceptionnel, et d'une modestie hélas exceptionnelle à ce niveau de notoriété. Cerise sur le gâteau : l'anecdote du "Stuccateur" avec le flash-back final. Et aussi : comment rester un homme de convictions sans tomber dans le sectarisme... Une belle icône.
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Vraiment un magnifique livre .. Une histoire magnifique .. Jorge Semprun, un homme très fort a mes yeux .. Arriver a faire de ses souvenirs, une véritable histoire ... Vraiment un livre qui vaut la peine d'être lu !
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Ne pas avoir encore vingt ans en 1943, être communiste espagnol, arrêté en France et interné à Buchenwald c'est, très jeune, "traverser" la mort. Vouloir (devoir ?) témoigner par écrit, c'est être obligé de traverser à nouveau la mort. Écrire ou vivre ? Écrire pour vivre ?

Rendre compte de l'indicible n'est pas possible. Mais s'en approcher, peut-être. En arriver à vingt ans à considérer que la mort signifie l'épuisement de tout désir, "y compris celui de mourir", et vivre au coeur d'un camp "où le Mal absolu s'oppose à la fraternité" constituent des expériences indélébiles.

En butant contre un pavé à la fin de la Recherche du temps perdu, Proust revient et renvoie au début de son oeuvre ; Jorge Semprún procède de manière analogue, mais plus systématique encore : son récit avance en spirale avec de nombreuses réminiscences et répétitions comme autant de vagues sur le rivage ; le lecteur perçoit la lente progression du combat entre l'écriture et la mort. Ainsi, page 298, l'auteur reprend-il mot pour mot le texte de sa première page en décrivant la stupeur horrifiée que le regard des libérateurs portèrent sur le prisonnier rescapé : il avait vécu deux ans sans miroir et fut confronté brutalement à son visage dans le regard de ceux qui venaient le délivrer. Les vivants voyaient le mort. le vivant voyait sa mort.

Pendant une quinzaine d'années, Jorge Semprún a tenté de ne pas se retourner vers le passé car il lui eût fallu traverser la mort une nouvelle fois. En devenant ainsi "un autre" il a pu se sauver lui-même en continuant "à faire semblant d'exister" même si, parfois, la fumée d'une centrale ou tout autre réminiscence lui rappelait celle des crématoires. En 1963, dix-huit ans après sa libération, il publie "Le grand voyage" (dans le wagon vers les camps). C'est à la mort de Primo Levi que l'auteur réalise que seuls les survivants des camps sont porteurs dans leur être de "l'odeur" des crématoires et que cela est humainement intransmissible. Il a donc un devoir d'écriture à entreprendre. À la suite d'un retour à Buchenwald, en 1992, "L'écriture ou la vie" raconte en quelque sorte l'histoire de l'écriture de "Le grand voyage".

Paradoxalement, en décrivant son incapacité à rendre compte de ce qu'il a vécu, Jorge Semprún nous offre un ouvrage d'une très profonde introspection. Suivre ce condamné dans le sinistre dédale de sa catacombe demande un effort de la part du lecteur, mais, en contrepartie, ce dernier découvrira la puissance de la "conscience d'exister" (concept intraduisible d'un mot en français, alors qu'il l'est en allemand et en espagnol, langue maternelle de Jorge Semprún).

L'exil, le regard, la mort, l'écriture et la vie... Un livre de plus d'un écrivain se racontant en train d'écrire ? Sans doute, mais beaucoup plus : l'écriture est la vie.
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