« Je suis née d'une levrette, les genoux de ma mère calés sur un tapis en peau de vache synthétique .
« Je naquis donc, de droite, dans une famille de gauche ».
Deux extraits de ce premier roman étonnant qui nous plonge au coeur des années 70-80 et plus! .
Esther est une petite fille sage, pudique, discrète ,à l'intelligence vive .
Elle rêve ,en vain, d'avoir des parents conformistes , des cols Claudine, une enfance normale, cadrée, presque rigide , afin d'échapper au mode de vie décalé de ses parents , lui apportant , au final ,trop peu de repères .
Née par erreur dans une famille dysfonctionnelle: ses parents soixante - huitards avérés, partagent une passion pour l'exhibitionnisme d'intérieur, regardent la télé nus et militent contre la peine de mort .
Le père , cyclothymique, juif pied noir , bipolaire,'adepte des listes , un très curieux amalgame de rigidité , maniaquerie ou laisser aller , toujours nu , sauf à son travail de banquier——- responsable grands comptes à l'agence Banque Populaire ——-légèrement claustrophobe, tendance tyrannique, récite des listes , à l'endroit , à l'envers , déclame en s'accompagnant de gestes ——croit - il, extrêmement efficaces ———, astique les meubles , joue la comédie..
Babeth la mère , secrétaire anticapitaliste est une bonne nature : pense l'homme foncièrement bon et tient son mari —— pour un poète .
N'oublions pas Jeremy , le petit frère : trois ans de moins qu'Esther ,souffrant de troubles sans doute liés à une hyper activité avérée ….
L'enfance d'Esther souffre des réconciliations , disputes , rabibochages , excentricités , de ses parents.
Parlons aussi des grands- parents soignant leur nostalgie de l'Algėrie , en jouant à la roulette avec des pois chiches du couscous …
L'ambiance est pesante , l'humour mordant , les situations cocasses , les géniteurs pétris de contradictions , les manières du Père inquiétantes …
Une fantaisie à la belle inspiration qui cache à merveille le drame qui se joue sournoisement.
Toutes les questions d'éducation liées à cette époque sont abordées , en toile de fond l'émergence du Front National .
Émouvante plongée dans la France de ces années - là , satyre sociale : humour , fantaisie , cocasserie , excentricités , cachent un très sérieux mal être,.
Y figurent jeux et comportements dangereux :
La brutalité du final de cet ouvrage glace !
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Pour parodier un titre de film : tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents... conformistes.
Comme la plupart des enfants, la petite Esther rêve de 'normalité', de stabilité.
Sage, pudique, discrète, elle est terriblement gênée par la nudité de ses parents à la maison, leurs ébats du dimanche après-midi dans le salon devant 'L'Ecole des Fans', et leurs crêpages de chignon fréquents...
Esprit soixante-huitard es-tu là ? Oui, chez les Dahan, en ces années 70-80.
Cela dit, le père présente un curieux mélange de lâcher-prise peace & love et de rigueur maniaque. Descendant de juifs pieds-noirs, toujours nu chez lui, petit banquier BCBG dehors, il fait des listes, les récite, à l'envers, à l'endroit, astique les meubles inlassablement, s'avère claustrophobe, hypocondriaque, tyrannique. Un doux dingue, finalement pas si doux. En tout cas assez flippant pour sa femme et leurs deux enfants, témoins de scènes de plus en plus surréalistes.
Cette histoire tragicomique m'a fait penser à l'excellent roman 'La vraie vie' (Adeline Dieudonné). Et, dans une moindre mesure, à 'Interdit' (Karine Tuil) et 'Profession du père' (Sorj Chalandon).
Si l'ambiance est pesante lorsque la fillette redoute les crises paternelles et l'image donnée à l'extérieur, le ton pertinent et plein d'humour est particulièrement réjouissant, notamment lorsqu'il est question de choc des cultures.
L'auteur nous immerge dans 'nos' années d'enfance (1970-1980's), alors que les notions de gauche et de droite étaient (apparemment) moins floues, que Mitterrand apparaissait comme le sauveur, et que certains précurseurs, traumatisés par une éducation religieuse, s'affranchissaient 'déjà' de la religion catholique.
Ce drame familial est une preuve supplémentaire que dans tous les milieux, (presque) 'toutes les familles sont psychotiques', comme dirait Douglas Coupland (titre d'un roman de 2002). De 'Un peu' à 'A la folie'.
• sélection prix du roman Cezam 2020 •
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Dans son premier roman, Ingrid Seyman raconte avec un humour mordant l’enfance d’Esther, qui se présente comme une fille de droite née malencontreusement dans une famille de nudistes de gauche.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
A l'inverse d'une partie de notre famille, mon père n'était juif que par intermittence. L'essentiel de sa pratique religieuse consistait à ajouter un suffixe à consonance israélite au patronyme des gens célèbres n'en étant pas encore pourvus. Et il suffisait qu'on entende à la radio les premières notes du tube 'Boule de flipper' pour que Patrick en baisse autoritairement le son et me convoque dans le salon :
« Esther, écoute-moi bien !
Corinne Charby, mon cul.
C'est Corinne Charbit qu'elle s'appelle.
Mais les Juifs ont peur, tu comprends.
Ils continuent à se cacher. »
J'appris ainsi que la plupart des gens qui passaient à la télé étaient de la même confession religieuse que mon père mais préféraient taire leurs origines par crainte des représailles. A trois ans, je ne savais pas encore en quoi consistaient ces représailles mais j'avais déjà peur, au cas où.
(p. 8-9)
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♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=mBiTrNzJ7DE (1986)
[Ma mère] posa la poêle sur le dessous-de-plat et commença à nous servir.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Agnès en désignant les rectangles de colin qui baignaient dans leur huile de friture.
- T'as jamais mangé de poisson ? s'étonna Jérémy sans soupçonner qu'Agnès n'ait pu connaître de cet aliment que sa version préindustrielle.
- J'en mange tous les vendredis soir, répondit Agnès. Je n'aime pas trop, à cause des arêtes.
Babeth [ma mère] s'engouffra dans la brèche :
- Esther se plaint tout le temps parce que je ne cuisine jamais et que je préfère de loin jouer à 'La Bonne Paye' avec elle. La maman d'Agnès passe certainement des heures aux fourneaux et Agnès n'est pas contente non plus.
[ première rentrée à l’école privée Jeanne-d’Arc ]
Toujours bien rangée dans la file de ma classe, j'observai le corps du Christ qu'arboraient à leur cou mère Charles, Mme Monasterio - ma maîtresse de CP - ainsi que la quasi-totalité de mes camarades. Si j'avais déjà pénétré dans une église, c'était la première fois que je le voyais de si près. Le surprendre dans de tels états - agonisant au-dessus du tableau ou étouffant entre les seins de ma truculente maîtresse - ne me rassura pas.
Toujours bien rangée dans la file de ma classe, j'observai le corps du Christ qu'arboraient à leur cou mère Charles, Mme Monasterio - ma maîtresse de CP - ainsi que la quasi-totalité de mes camarades. Si j'avais déjà pénétré dans une église, c'était la première fois que je le voyais de si près. Le suspendre dans de tels états - agonisant au-dessus du tableau ou étouffant entre les seins de ma truculente maîtresse - ne me rassura pas.
Il faisait très chaud le jour de ma première rentrée à l’école privée Jeanne-d’Arc. Et je fondais dans mes bottines en poil de chèvre.
Les mères des autres avaient fait un brushing.
On était venus en avance et Jérémy, qui s’ennuyait dans sa salopette rouge, tentait d’arracher le sparadrap d’un blanc douteux – qui ornait depuis peu le verre gauche de ses lunettes de vue – censé guider ses yeux vers ce point d’équilibre que ses pieds jamais ne trouvèrent.
Les fils des autres portaient des bermudas en flanelle.
Autour de nous, tout le monde se connaissait. Des filles en robes marine se racontaient leurs vacances. Et des mères en tailleur s’invitaient à boire le thé au bord de leur piscine sur le coup des 15 heures.
Personne n’avait l’accent marseillais. p. 29