L'Homme Et Les Armes est, une nouvelle fois, un petit bijou signé
George Bernard Shaw. Une fluidité, une aisance, une saveur de ton et une profondeur de propos savamment dissimulée sous l'apparente légèreté de la comédie. Autant d'ingrédients qui justifient pleinement l'obtention d'un prix Nobel pour ce grand Monsieur du théâtre.
Le titre original, Arms And The Man, peut se comprendre à la lumière des premiers vers de L'Énéide de
Virgile :
" Arma uirumque cano, Troiae qui primus ab oris
Italiam, fato profugus, Lauiniaque uenit
litora, multum ille et terris iactatus et alto
ui superum saeuae memorem Iunonis ob iram ; "
dont le premier peut se traduire comme : Je chante les armes et l'homme, qui, le premier depuis les rivages de Troie, etc., etc.
Pour
Virgile, il s'agissait donc de raconter l'arrivée d'un Troyen (côte de la Turquie actuelle) venu apporter la civilisation à l'Italie, des combats qu'il avait dû mener, de la bravoure qu'il avait dû déployer pour fonder cette grande civilisation romaine.
Pour Shaw, c'est un peu la même chose en négatif. Il s'agit d'un Suisse (Bluntschli) venu faire la guerre en Bulgarie aux côtés des Serbes fin 1885 dans la pétaudière que sont devenus les Balkans.
Les armes de Bluntschli sont très significatives puisqu'il remplace ses munitions par des morceaux de chocolat. de plus il a l'âme prosaïque et calculatrice, totalement dénuée sentiments et d'attachement à une quelconque patrie.
Au cours d'une bataille délirante, où l'une des parties (les Serbes) tenait une position admirable mais avait des troupes sans munition et où l'autre partie (les Bulgares) avait une position désespérée mais dont les officiers étaient tellement inconscients et inexpérimentés que ne percevant pas le danger ils ordonnèrent la charge et emportèrent la position, le capitaine Bluntschli trouve refuge dans la maison Petkov.
Le Suisse tombe sur la fille de la maison, Raina, une ravissante Bulgare, fille du Major Petkov, fiancée du major Saranov, celui-là même qui a lancé la charge inconsciente contre les Serbes.
Commence alors pour Shaw une situation propice à libérer toute l'hypocrisie des relations humaines en général et amoureuses en particulier. L'auteur ridiculise l'idée même d'officier militaire, exhibe clairement l'inutilité et la non légitimité totale de cette guerre.
En effet,
George Bernard Shaw est un témoin privilégié des guerres balkaniques. Né en Irlande en 1856 dans l'Angleterre victorienne et mort au lendemain de la seconde guerre mondiale, il a personnellement assisté à tout le processus de clivage des Balkans orchestré, depuis le congrès de Berlin en 1878, par le Royaume-Uni, notamment et qui conduira, d'abord aux Guerres Balkaniques, puis, bien sûr à la Première Guerre Mondiale, laquelle conduira etc., etc.
Cette pièce de 1894 est donc particulièrement lucide sur ce point et extrêmement contemporaine des événements qu'elle dénonce. Même si ce trait peut nous sembler un peu effacé de nos jours, c'est bel et bien une pièce politique et engagée à laquelle nous avons affaire.
C'est une pièce très plaisante et, sans aucune recherche de bon mot, c'est tout naturellement qu'elle a été intégrée à l'ensemble "
Pièces Plaisantes " de son auteur.
C'est aussi une pièce où l'on parle beaucoup d'amour et de la faiblesse des sentiments que l'on dit les plus forts. Bref, un très, très bon moment de théâtre, drôle et sagace, que je recommande vivement.
Mais ceci n'est bien évidemment que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.