Il y a des gens dont on dit qu’ils sont plus grands que nature. Eh bien, Harry Stanford était plus grand que nature. S’il n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. C’était un colosse. Il avait une énergie et une ambition incroyables. C’était un grand sportif. À l’université, il faisait de la boxe et jouait au polo. Mais même dans sa jeunesse, Harry Stanford était impossible. Je n’ai jamais vu d’homme aussi totalement dépourvu de compassion. Il était sadique et rancunier, il avait des instincts de charognard. Il aimait acculer ses concurrents à la banqueroute. On racontait qu’il était responsable de plus d’un suicide.
On aurait pu prendre Kendall Stanford Renaud pour un mannequin, ce qu’elle avait d’ailleurs été à une époque. De son chignon à résille dorée à ses chaussures Chanel, une élégance soigneusement concertée se dégageait de toute sa personne. Tout chez elle – le geste, la nuance du vernis à ongles, le timbre du rire – avait une grâce artificielle. Son visage, dépouillé de son savant maquillage, était quelconque, mais elle se donnait tellement de mal pour que cela ne se remarque pas que personne ne s’en apercevait.
La coutume veut que les fils réussissent pour faire plaisir à leur père. Tyler Stanford, lui, avait voulu réussir afin de pouvoir détruire son père.
Enfant, il rêvait souvent que son père était reconnu coupable du meurtre de sa mère et que c’était lui, Tyler, qui prononçait la sentence. Je vous condamne à mourir sur la chaise électrique ! Dans d’autres variantes du même rêve, Tyler condamnait son père à être pendu, empoisonné ou abattu par balles. Ces rêves avaient failli se réaliser.
Toutes s’accordaient à lui reconnaître une énergie presque palpable, voire pathologique. Il était infatigable. Sa philosophie était simple : un jour sans une affaire juteuse était une journée perdue. Il usait ses concurrents, son personnel, quiconque entrait en contact avec lui. Harry Stanford était un phénomène hors du commun. Il considérait être animé de sentiments religieux. Il croyait en Dieu : en un Dieu qui voulait sa fortune, sa réussite et… la mort de ses ennemis.
Dans le monde du polo, on classe les joueurs par leur handicap, un handicap de dix points étant le meilleur classement. Woody, qui avait un handicap neuf, avait joué avec Mariano Aguerre de Buenos Aires, Wicky el Effendi du Texas, Andres Diniz du Brésil et des dizaines d’autres joueurs bien classés. Il n’y avait qu’une dizaine de joueurs de handicap dix dans le monde et la grande ambition de Woody était d’être des leurs.