Drôle de livre...
Mal ficelé et bien écrit. Mal construit et bien pensé. Difficile à suivre et attachant en diable.
Qu'est-ce qu'être juif se demande
Piotr Smolar?
Qu'est ce que la judéité quand on n'a pas vécu la
Shoah, quand on est agnostique voire athée, quand on ignore tout des fêtes et des rites, quand on séjourne souvent comme journaliste dans la bande de Gaza , qu'on vit en Israël et qu'on travaille pour un journal francais, le Monde, qu'on ne connait ni l'hébreu ni le yiddish, qu'on se sent un peu polonais, assez français, pas très israélien et qu'on est revenu du communisme sans virer sa cuti au profit du liķkoud?
Qu'est-ce qu'être juif quand on a un grand père polonais et juif, Grzegorz Smolar, qui fut l' âme résistante du ghetto de Lodz, exfiltrant ses troupes dans les forêts pour les emmener au combat, armes à la main, contre les nazis, aux côtés de la résistance et du parti communiste polonais. Qui, après la guerre, ne voulut pas voir l'antisémitisme virulent de son pays natal, ni de son parti, s'obstina à rester aveugle à la politique de purge raciale post stalinienne , et s'entêta à rester cadre du parti et à empêcher l'hémorragie de ses coreligionnaires vers la Palestine, jusqu'à se voir lui-même, le héros polonais , communiste et athée , contraint de prendre un de ces bateaux pour une terre promise qui n'était pas la sienne?
Qu'est-ce qu'être juif quand on a un père professeur de fac' à Varsovie, Aleksander Smolar, , descillé, lui, à l'égard du PC et compagnon de contestation d'
Adam Michnik, au moment du "Printemps de Varsovie" , contraint, après l'écrasement de la contestation étudiante, d'émigrer en Israël mais s'arrêtant en cours de route à Paris, pour y vivre et y voir naître Piotr, son fils, sans lui enseigner des rites que lui même n'avait jamais pratiqués, sans lui inculquer autre chose que le goût de la liberté et l'amour du libre arbitre?
Avec une telle filiation, quel juif peut-on bien être, si ce n'est un
Mauvais Juif?
Avec intelligence et sensibilité, lucidité et sens critique,
Piotr Smolar interroge sa parentèle paternelle pour tenter de répondre, le plus justement et le plus honnêtement possible, à cette question épineuse.
Passionnant ! Oui, mais...
Le livre passe d'une première personne qui est celle du narrateur à un tutoiement généralement adressé au célèbre grand père disparu. Parfois l'auteur donne la parole à son père, se fait l'écho d' entretiens qu'il a eus comme journaliste avec d'illustres interlocuteurs de l'un ou de l'autre - dont
Claude Lanzmann ... on s'y perd...
Tout cela dans un désordre temporel , fait de sauts générationnels qui n'ont pas facilité ma lecture, je l'avoue - je dois dire que le désordre spatial et la tension temporelle d'un déménagement n'ont pas aidé mes neurones malmenés ...-.
Bref j'ai dû m' accrocher- et bien m'en a pris.
Je retiens en conclusion cette très belle citation du livre qui me semble donner la seule réponse qui vaille à la question de fond d'un livre que je recommande mais qu'il faut lire à tête (plus) reposée( que la mienne):
« Être juif, c'est être inquiet. Inquiet pour la collectivité. C'est être un rêveur profondément entêté de la collectivité. »