Que c'est stimulant pour la réflexion de lire un ouvrage dans lequel le méchant, le raciste, le tueur, le violeur, le pédophile, le monstre, ce n'est pas l'autre, toujours, mais l'ogre en nous qui participe de la vie et qui si nous n'y prenons garde, peut prendre une bien atroce figure.
Isabelle Sorente, à partir de l'exemple de Gilles de Rais, guerrier compagnon de Jeanne d'Arc, esthète, érudit, amateur de musique sacrée, grand croyant, seigneur généreux, mais aussi potentat cruel, violeur, et tueur d'enfants (la notion de pédophilie n'existait pas encore), traque le reptile qui git en nous et se manifeste dans nos comportements les plus quotidiens mais aussi se tient fin prêt aux débordements les plus sauvages, capable de tout immoler sur son passage pour assouvir son instinct de jouissance : boulimie alimentaire, soif de consommation, passion d'apprendre, amour du sacré, du beau, soif d'idéal, mais aussi violences, guerres, viols, cupidité, rapt, destruction de la nature, actionnariat économique. Car la Vie jaillit hors de la morale, de la mesure, du bon goût. Elle se ravitaille à un carburant collectif auquel nous devons puiser pour être en mouvement, en essor, en acte. Nous ne devons pas nier l'existence de l'ogre, nous devons y faire face en une introspection exigeante. Car l'ogre est en nous, ou alors c'est que nous sommes morts.
Face à ce constat,
Isabelle Sorente développe une spiritualité du don, mais pas du sacrifice, des égards envers le règne animal auquel nous appartenons, de la gratuité, de la compassion.
Sa réflexion débouche sur une vision politique qu'elle développe dans d'autres ouvrages.
N'étouffons pas l'ogre qui est en nous, nous avons besoin de lui. Invitons-le à l'ouverture à l'autre, à la fête, au potlach, (pas besoin d'aller jusqu'à se mettre en danger). Apprenons-lui la compassion toujours, l'excès, de temps à autres.
N'oublions pas : l'ogre est à notre service, et non nous au service de l'ogre.
Ne soyons pas son esclave.