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"Prend-on la vie autrement que par les épines ?" - René Char, "Retour amont"

"Combien de femmes faut-il pour faire un homme ? Freddy en a eu deux. C'est son algèbre intime. Une pour le mettre au monde. Une seconde pour l'élever."

Londres. Deuxième moitié du XIXe siècle. "[La] capitale de l'empire le plus puissant de l'histoire. […] l'Empire britannique porte en lui ses propres contradictions. Les cloaques des faubourgs étendent leur lie jusqu'au pied des beaux quartiers."

La révolution industrielle, la prospérité fragile, et les richesses ostentatoires qui côtoient la misère la plus sordide. "La fortune des machines, puissantes, increvables, aggrave la misère des serre-boulons parqués dans des taudis."

Le capitalisme. "L'argent est un vampire sans maître, jamais rassasié."

Le drame irlandais. "En trois ans, le mildiou réduisit en bouillie infâme et malodorante tous les plans de pommes de terre d'Irlande."

L'antagonisme avec l'ennemi de toujours. "Les vieux Anglais si bons n'avaient laissé aux Irlandais que le varech et la tourbe."

C'est dans cet ici et maintenant que Charlotte, émigrée irlandaise, arrive dans l'East-End de Londres. Elle est enceinte de son premier enfant – un fils, elle en est sûre - dont le père, comme beaucoup d'Irlandais, est parti chercher fortune outre-Atlantique. Sans le sou, elle a dû vendre ses longs cheveux auburn contre deux misérables shillings. Agressée, Charlotte perd l'enfant qu'elle porte, mais "la vie étant soeur de hasard" (S. King), elle place sur son chemin le docteur Malte, homme providentiel qui, non content de lui sauver la vie, lui confie un nourrisson, Freddy, le fils naturel que Karl Marx a eu avec Nim, la bonne.

"Freddy n'a pas de pays. Il est l'enfant de personne et de nulle part."

Cette fresque est habitée de personnes réelles et de personnages fictifs : Marx, la baronne Johanna von Westphalen son épouse et leurs filles, Friedrich Engels et ses conquêtes, des pairs du royaume, des syndicalistes, des ouvriers exténués, laminés, des fenians et des femmes… de si beaux personnages de femmes.

Beaucoup de destins s'entrelacent, souvent s'entrechoquent, alors même que Sébastien Spitzer tresse faits historiques et inventions "dans ce livre [où] tout est vrai, ou presque", tisse des destinées individuelles avec celle d'une société et d'un pays en proie à une profonde mutation.
C'est indéniable, un vent romanesque souffle dans ce roman fort bien documenté sur l'Angleterre victorienne : la guerre de Sécession et les répercussions du blocus sur les manufactures textiles anglaises obligées de fermer les unes après les autres, les réunions clandestines, les émeutes et la répression aveugle, la révolte irlandaise contre le joug de la Couronne, jusqu'à l'émergence d'une vision socialiste au travers de ses deux figures emblématiques, Friedrich Engels et Karl Marx, dont l'auteur ternit quelque peu l'aura.

Ces deux-là ont été contraints à l'exil après la publication du Manifeste du parti communiste. le premier est sommé de gagner Manchester et d'y prendre la direction de l'entreprise textile familiale, le second s'abîme dans la rédaction du "Capital". le roman met en lumière leur curieuse relation en plus de souligner leurs contradictions intimes. Engels est cet homme ambigu qui rêve d'une révolution ouvrière alors qu'il emploie plusieurs centaines de tâcherons dont il n'hésitera pas à se séparer, la crise venue. C'est un être complexe, aux moeurs aussi dissolues que son amitié pour Marx est indéfectible. Engels paie tout, absolument tout des dépenses somptuaires de Marx. Il s'occupe également de lever les obstacles pour que le Maure se consacre tout entier à l'écriture du "Capital", dont on se prend à douter qu'il voie le jour. Quand Engels est dans l'action, Marx cogite. Ce "bon à rien", "infoutu de gagner le moindre penny", vit dispendieusement aux crochets d'Engels. Marx ? un écornifleur ? Oui.

Mais ces hommes, aussi intrigants soient-ils, n'éclipsent pas les sublimes personnages féminins qui sont l'un des coeurs battants de ce roman. À commencer par Charlotte, personnage fictif dont on ne peut que louer le courage farouche face à l'adversité la plus tenace :

"Charlotte est bonne-maman. Elle est à la fois sa complice, son soleil, l'adulte qui dit non, l'amie qui dit oui."
"C'est lui qui l'a relevée, Freddy. C'est bien lui qui l'a soutenue quand elle était à terre. Il est son presque fils, son plus que fils, devenu l'homme de sa vie. Elle s'était dit qu'une mère, ça donnait des racines et des ailes. Freddy n'a pas de racines. Il est né dans la boue. Il a grandi dans un taudis. Mais ses ailes ont poussé."

Et que dire de Mary et Lydia, les bien réelles soeurs Byrnes, petites mains prêtes à tout accepter, à tout sacrifier pour Engels dont elles sont toutes deux éprises, ou pour une cause qu'elles trouvent juste, quitte à se réinventer ?

"Les femmes savent faire cela. Elles savent rendre les hommes heureux."

Et Freddy, le petit gars grandi dans le plus extrême dénuement matériel avec pour seule richesse l'amour inconditionnel et bienveillant de Charlotte ? Il vit, souffre, tombe, se relève avec une opiniâtreté peu commune. Contrairement à son père trop occupé à rédiger son grand oeuvre, pour Freddy la lutte se fait dans l'action.

"Le coeur battant du monde" nous embarque dans une Angleterre qui suinte la misère, souffre, proteste et menace de se soulever. On vit au plus près des personnages, des manufactures jusqu'aux maisons closes, des cloaques jusqu'aux résidences cossues, de l'Angleterre jusqu'à l'Irlande et retour.
C'est rude, c'est dur, c'est violent. Mais c'est également aussi sombre que lumineux.

Pour son second roman, Sébastien Spitzer a repris la recette - celle du docufiction - qui, il y a deux ans, avait fait le succès mérité de "Ces rêves qu'on piétine", paru aux Éditions de l'Observatoire : aller fouiller dans les plis de l'Histoire pour mettre au jour l'incident escamoté, la péripétie commodément balayée sous le tapis.
Bien que l'appareil soit le même ici comme on dit en cuisine, il m'a semblé que cette fois la sauce prenait un tout petit peu moins bien. Loin de moi l'idée de mettre en doute les qualités de conteur de Sébastien Spitzer, de mésestimer les remarquables recherches documentaires - l'auteur n'est-il pas journaliste ?- et d'oublier combien elles ont opportunément et naturellement trouvé leur place dans la trame du récit.
Alors, à quoi tient ma légère déception d'aujourd'hui ?
Peut-être à ma réticence à voir un auteur réitérer l'exercice en choisissant de recourir à un même ressort au risque de s'enfermer dans ce qui a fait son succès chez un autre éditeur. "Le coeur battant du monde" est plus brouillon, plus touffu car, paradoxalement, plus (trop ?) travaillé (j'assume la contradiction !) ; il n'évite pas des dialogues parfois prosaïques et se (me) perd dans des descriptions qui dilatent inutilement un texte par ailleurs fiévreux et haletant. Et je n'y ai pas tout à fait retrouvé cette écriture aérienne, poétique, si spontanée et habile pour creuser à l'essentiel, et qui m'avait tant plu.

2e roman, lu pour la session automne 2019 des #68premieresfois

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Lorsque l'on s'attache au misérable quotidien de Charlotte , enceinte d'un enfant dont le père est parti tenter sa chance en Amérique, traitant son infortune dans les bas-fonds de Londres, on est loin d'imaginer que l'histoire nous conduira dans l'intimité de deux géants de l'histoire du 19è siècle, à savoir Marx dit le Maure et son allié (mais après lecture, peut-on parler d'alliance, tant la nature de leur relation est peu claire), Engels.

C'est sur l'existence d'un fils caché du rédacteur du Capital que Sébastien Spitzer construit le récit. La naissance clandestine, les premières années près de celle qui fut sa mère de substitution, la pauvreté, même si tout cela est sorti de l'imagination de l'auteur, puisque l'on sait peu de choses du bâtard, dont les instances officielles ont longtemps réussi à cacher la réalité, pour ne pas ternir l'image du géniteur.

Et pourtant, elle n'est pas reluisante cette image : si Marx défend sur le papier l'opprimé , il semble pourtant éprouver à son égard le plus profond mépris, dans sa vie de tous les jours. Et son train de vie financé par Engels aurait pu être à l'origine d'une dissonance cognitive dont il ne semble pas souffrir.

Le contexte historique est passionnant : c'est l'époque où le commerce florissant du coton, importé des Amériques, fait vivre (ou plutôt survivre) le peuple des ouvriers dont le maigre salaire parvient à peine à les nourrir, dans des conditions d'insalubrité qui tuent avant l'âge.
La situation s'aggrave encore lorsque la Guerre de Sécession ruine l'importation de la précieuse matière première.

L'écriture est vivante, faite de phrases courtes et le plus souvent au présent. L'incursion de la petite histoire dans la grande Histoire a toujours un effet très positif sur l'intérêt et suscite l'envie de poursuivre la lecture sans répit.


Très beau second roman, qui confirme le talent de l'auteur .

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C'est le coeur battant que j'attendais ce deuxième roman de Sébastien Spitzer, pas de trac, non, j'avais tant aimé le premier que j'étais certaine de retomber sous le charme, d'envie, de plaisir à venir, d'impatience. C'est le coeur battant que j'ai dévoré les premiers chapitres, prête à me laisser séduire à nouveau par la belle plume alerte et percutante de l'auteur, touchée, déjà, par la force vibrante de Charlotte, jeune femme blessée dans son âme et dans sa chair mais déterminée à faire de Freddy, l'enfant qu'on lui confie, le fils que la vie lui a arraché avec violence. Enthousiaste, je suis partie à la découverte du « coeur battant du monde », de cette Angleterre sombre et grouillante, noire de crasse et de colère, écartelée entre une industrialisation galopante et lucrative pour les uns et un chômage mortifère pour les autres. Surprise, j'y ai rencontré deux images marquantes de l'Histoire avec un grand H, Engels et Marx, dans un contexte intime dont j'ignorais tout et pour lequel j'affutai ma curiosité. C'est le coeur battant que, au fil des chapitres, j'ai guetté le moment où l'histoire allait s'emballer, prendre tout son sens, me balayer d'émotion, et puis…et puis…est-ce moi ? Est-ce lui ? Spitzer m'a perdue dans le dédale des multiples fils de narration qui semblaient irriguer le roman sans vouloir réellement trouver un aboutissement parlant, logique. Il m'a déstabilisée avec cette plume extrêmement policée (que j'appelais pourtant de mes voeux, je m'en souviens, à la lecture de « Ces rêves que l'on piétine », un comble !) qui semblait avoir perdu son élan, certes excessif parfois, mais si enthousiaste, si personnel ! Il m'a semblé, et je le regrette, que je passais à côté du sens même que l'auteur avait voulu donner à ce récit.
Qu'importe ! Si cette fois-ci la rencontre n'a pas eu lieu, je ne suis pas rancunière et je ne doute pas que la plume de Sébastien Spitzer saura, en une autre occasion, me rallier à son charme !
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Londres, 1851. Charlotte, une jeune irlandaise qui a fui son pays à cause de la Grande Famine est amenée à recueillir un enfant bâtard, Freddy qui devient "son presque fils, son plus que fils, l'homme de sa vie". Freddy est le fils caché de Karl Marx issu de sa liaison avec son employée de maison. Engels, un industriel dont dépend financièrement Marx, n'a pas fait disparaître l'enfant comme son ami Marx le lui avait demandé. Karl Marx, surnommé le Maure, expulsé d'Allemagne, est exilé à Londres depuis deux ans et se consacre à l'écriture d'un grand livre qui le rendra célèbre.

Nous sommes dans une période où l'Empire vit une grave crise économique, les usines s'arrêtent progressivement de tourner car le coton manque. C'est la "Cotton Panic", conséquence de la guerre de Sécession qui sévit en Amérique. Les ouvriers n'ont plus de travail, la misère se propage et le peuple est en colère. Engels veut fédérer les insurgés pendant que son ami théorise la révolution dans ses écrits.

Sébastien Spitzer mêle à des faits historiques authentiques et bien documentés des éléments fictionnels pour reconstituer la vie qu'aurait pu avoir ce fils caché de Marx qu'il sort de l'ombre. L'existence de Freddy n'a été révélée que dans les années 1960. Il nous plonge de façon très réaliste dans la vie des faubourgs de Londres puis de Manchester avant de nous emmener auprès des insurgés irlandais dont Freddy va rejoindre la lutte armée. Il nous décrit un Karl Marx excessivement antipathique qui, au-delà de son comportement vis à vis de son fils, mène la grande vie alors qu'il est sans emploi et vit des largesses d'Engels et des gains issus de boursicotage. Marx mène une vie bourgeoise auprès de son épouse Johanna, une femme "née baronne", hautaine et odieuse avec leurs filles et les femmes en général. Marx était un grand révolutionnaire socialiste qui méprisait le peuple mais dont la plus jeune des filles Tussy se révèle, contrairement à son père, être un personnage engagé et très sympathique.

Ce texte vivant, bien rythmé et réaliste avec quelques scènes très fortes déroule de façon très fluide le destin infiniment triste que l'auteur a imaginé pour Freddy. L'écriture est sobre et la colère de l'auteur transparaît tout au long de ce texte qu'il a su rendre très romanesque. Un petit regret : le récit centré sur Freddy n'aborde que très peu la personnalité de cet homme plein de contradictions qu'était Marx, j'aurai aimé en savoir un peu plus sur lui.
Soulignons le choix très judicieux du titre de ce beau roman ainsi que le choix de la couverture avec le regard si parlant de cet enfant.
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Londres dans les années 1860. La Révolution Industrielle bat son plein , et avec elle : son lot de miséreux. Parmi eux, il y a Charlotte Evans, une jeune Irlandaise venue en Angletterre pour fuir la Grande Famine et trouver du travail en attendant le retour de son amoureux, parti tenté sa chance en Amérique. Seulement, l'Angleterre est bien loin d'être l'El Dorado qu'elle s'était imaginée et ses rêves et illusions vont se briser un à un.
Et comme le dit bien le proerbe anglais "la misère/le malheur aime la compagnie", et très vite elle rencontrera d'autres personnages qui tout à tout la sauveront temporairement, lui feront connaître l'amour inconditionnel et la misère la plus crasse. Et ce grand huit d'émotions, elle le connaîtra grâce à Freddy : le "bâtard" de Karl Marx.

Sébastien Spitzer décrit en parallèle le destin de Charlotte et celui de Marx et Engels, "supposés" héros défendant ces miséreux.
Attirée par ce roman car il parlait de l'Irlande et non pour Karl Marx dont je me désintéresse pas mal, et maintenant que j'ai lu le roman, que je trouve carrément excécrable !

Ce que je retire de ce roman est assez ambivalent. D'un côté, il faut reconnaître que c'est un peu long. Bien des passages ne font pas avancer le récit et n'apportent pas grand chose ni sur le fond historique ni sur les portraits des personnages.
En revanche, il est indéniable que Sébastien Spitzer a un talent de conteur. Je n'arrive pas à penser à un autre roman qui, comme celui-ci, nous fait partir d'un point de départ presque anodin pour nous amener bien plus loin et en passant par d'incroyables ramifications. Des luttes ouvrières à l'outrance de richesse dans lesquelles se vautraient les rcihes industriels comme Engels, au sort des Irlandais partis rejoindre les troupes nordistes dans la Guerre de Sécession en espérant en retirer des terres aux Fenians luttant contre l'Empire britannique : le souffle historique nous embrase complètement et contribue grandement au fait que le lecteur veuille toujours tourner les pages.
On retrouve dans ce roman les cris d'injustice et le souffle de l'aventure que l'on trouve dans les romans de Dickens - les considérations catho chiantes en moins. Mais avec quelques maladresses de "premierS romans". Enfin, pas de quoi de décourager à l'idée de relire d'autres romans de cet auteur.

En définitive, le coeur battant une monde nous parle de soif inextinguible de liberté et de justice dans un monde aveuglé par les promesses de profit (et tant pis si c'est au détriment du bien-être d'autrui, l'idéal humaniste du 18ème siècle est bien loin désormais). le romancier parvient à la fois à faire un portrait réaliste et touchant des petites gens anonymes qui ont vu des instants ou personnes importantes de leur vie volés par la grande Histoire, et à mettre à jour des aspects moins glorieux des personnes que L Histoire a glorifé - peut-être excessivement.
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Ma critique aura-t-elle un sens ? Car je ne vois pas de meilleur éclairage sur le coeur battant du monde, que ce que l'auteur écrit lui-même dans les pages finales de remerciements. Dans son roman, Sébastien Spitzer a imaginé l'enfance et l'adolescence d'un certain Frederick Demuth, né à Londres en 1851 d'un rapport intime éphémère et clandestin entre Karl Marx et la gouvernante de la famille. Une information longtemps occultée par ceux qui tenaient à sanctifier l'image de leur idole.

Soucieuse de préserver son honorabilité, la famille, qui comptait six enfants officiels, dissimula et dénia, dès sa naissance, l'existence de ce fils illégitime, ce « bâtard » honteux. On sait peu de choses sur son enfance et son adolescence. Une zone grise qu'il appartenait à l'auteur de mettre en couleur par une histoire séduisante. Et justement, je n'ai pas été convaincu par le personnage fictif de Freddy, à peine plus par celui de Charlotte, sa bonne-maman. J'ai trouvé laborieuses, parfois tirées par les cheveux, les aventures imaginées par l'auteur.

L'ombre oppressante d'un homme plane sur l'esprit du roman. Cet homme, que ses compagnons de lutte appellent le Maure en raison de son teint mat et de la broussaille noire de son poil, c'est Karl Marx, un dieu pour une partie de l'humanité, un diable pour l'autre. Selon lui, le monde capitaliste finira par s'effondrer sous l'effet de ses contradictions. Des contradictions dont il n'est pas lui-même exempt. Son activisme révolutionnaire tranche avec son attrait pour le luxe, son mode de vie bourgeois s'accommode mal de son incapacité chronique à gagner sa vie. À Londres, où il s'est exilé avec femme et enfants, le quotidien n'est pas simple pour madame, née baronne Johanna von Westphalen, toujours prête toutefois à s'incarner en Jenny la Rouge et à prendre fait et cause pour son mari.

Dans le livre, le personnage le plus présent, c'est Engels, l'alter ego de Marx. Il est cosignataire de son oeuvre, mais le grand public ignore son nom. Pas étonnant à en juger à la lecture du roman, où l'auteur le montre toujours en retrait du Maure, dont il subit le caractère dominant et dont il finance de bon coeur la vie quotidienne. Il en a les moyens financiers et il croule, lui aussi, sous les contradictions. Ce rejeton d'une riche famille d'industriels prussiens est un sentimental scandalisé par les inégalités. Ce grand patron installé à Manchester est un théoricien de la révolution prolétarienne. Ce grand bourgeois chasse à courre avec le marquis de Westminster et souffle sur les braises dans les manifestations d'ouvriers. Et son comportement de mâle n'est guère conforme à ses engagements féministes.

Le contexte historique est très intéressant. En cette seconde moitié du dix-neuvième siècle, le coeur battant du monde se situe en Angleterre, où l'industrie, en plein développement, « est le coeur sec et froid d'un monde sans coeur ». Dans les grandes villes de l'empire le plus puissant du monde, la misère la plus pitoyable côtoie l'opulence la plus ostentatoire. Des pages choquantes rappellent l'oeuvre de Dickens. Riches et pauvres subissent, chacun à sa mesure, une terrible crise du textile provoquée par l'arrêt de la culture du coton, dans le Sud des États-Unis, pendant la guerre de Sécession. Tous vivent dans l'appréhension des soulèvements et des attentats commis par les indépendantistes irlandais.

Le livre est décomposé en quarante chapitres d'une dizaine de pages, chacun étant tour à tour consacré à l'un des principaux personnages. Il est presque entièrement écrit au présent, avec très peu de retours sur le passé. J'en ai été gêné, car ce parti d'écriture, dont l'objet est d'introduire directement le lecteur dans la narration, perd son effet lorsqu'on le généralise d'un chapitre à l'autre, d'un personnage à l'autre. Il supprime toute perspective temporelle, toute intuition de correspondance entre les événements. Reste l'impression de lire des chroniques indépendantes.

Peut-être le style narratif de Sébastien Spitzer est-il plus adapté au caractère objectif d'un ouvrage à vocation historique qu'à une fiction romanesque.

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Le coeur battant du monde nous plonge dans Londres, des années 1860, en pleine crise du coton (Cotton Panic). Nous suivons tout d'abord Charlotte Evans, une irlandaise, enceinte de son amoureux parti vers le Nouveau Monde. Suite à une mauvaise rencontre, au mauvais moment, Charlotte va perdre son enfant et sera prise en charge par le docteur Malte. D'un autre côté, Karl Marx, marié à la baronne Johanna von Westphalen, a eu une aventure avec la bonne, Nim. Enceinte de son patron, la venue au monde de ce bâtard ne peut survenir. Il demande à son ami, Engels, de tout faire pour faire disparaître les conséquences de cette erreur. Malte ne pouvant se résoudre à un tel acte, demande à Charlotte de s'occuper de Freddy, l'enfant illégitime de Karl Marx.
Alors que son père se contente d'écrire la Révolution, Freddy va la découvrir et la vivre de plein fouet.

Sébastien Spitzer est parti d'un fait réel, l'existence de l'enfant caché de Karl Marx. L'auteur dresse un portrait peu flatteur de celui qui sera à l'origine du marxisme. Alors qu'il défend dans ses textes les pauvres, les ouvriers, le bas peuple, il est, ici, dépeint comme un bourgeois dont la survie financière ne dépend que de son ami, Engels. Karl Marx apparaît comme un homme ingrat et hypocrite.

A l'instar de l'auteur britannique Charles Dickens, Sébastien Spitzer décrit avec précision la Londres victorienne, nous plongeant au coeur de la vie de ces petites gens du milieu du XIXe siècle.

Dans le coeur battant du monde, nous nous attachons à Freddy et son histoire. L'enfant qui doit être caché car il est recherché, il est indésirable par l'entourage de Karl Marx, plus particulièrement de sa baronne d'épouse. On assiste à toutes les tentatives de Freddy pour se sortir, ainsi que sa bonne-maman, Charlotte, de la misère, tout en étant immergés par l'importance du coton et de son industrie à cette époque.

Par ailleurs, c'est aussi le coeur de ce roman, l'actualité de l'époque concernant la crise économique et industrielle du coton. L'auteur n'omet aucun détails : les mouvements ouvriers sous le règle de la reine Victoria, la guerre de Sécession aux Etats-Unis, les combats des Irlandais opprimés suite à la Grande Famine, … C'est un roman très riche sur cette période de l'histoire britannique.

Sébastien Spitzer offre avec le coeur battant du monde, un roman palpitant, captivant. En s'appuyant d'un contexte historique réel et d'un fait réel, il écrit une histoire romanesque des plus passionnantes.


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découvert l'an dernier avec son premier roman Ces rêves qu'on piétine, Sébastien Spitzer fait partie de la sélection de septembre des 68 premières fois que je découvre depuis quelques jours. J'ai donc pu lire le coeur battant du monde, un des romans plébiscités par cette rentrée littéraire 2019.

Voici la présentation – éditions Albin Michel

Dans les années 1860, Londres, le coeur de l'empire le plus puissant du monde, se gave en avalant les faibles. Ses rues entent la misère, l'insurrection et l'opium. Dans les faubourgs de la ville, un bâtard est recueilli par Charlotte, une Irlandaise qui a fui la famine. Par amour pour lui, elle va voler, mentir, se prostituer sans jamais révéler le mystère de sa naissance.

L'enfant illégitime est le fils caché d'un homme célèbre que poursuivent toutes les polices d'Europe. Il s'appelle Freddy et son père est Karl Marx. Alors que Marx se contente de théoriser la Révolution dans les livres, Freddy prend les armes avec les opprimés d'Irlande.

J'avais aimé son premier roman et je ne suis pas déçue par le coeur battant du monde, bien au contraire. J'ai aimé plongé dans cet univers à la Dickens en plein coeur d'un Londres qui n'a rien de celui que l'on connait maintenant ! Insalubrité, misère, souffrance rythment cette ville où l'on découvre le personnage de Charlotte, jeune femme enceinte dont l'amoureux est parti en Amérique pour faire fortune. Si l'avenir qu'elle espérait ne se réalisera pas, elle va pourtant vivre un destin exceptionnel en devenant la mère de substitution du bâtard de Karl Marx ! Il faut dire que Sébastien Spitzer nous plonge dans une histoire de famille assez inattendue et dresse le portrait peu glorieux de figures mythiques : Marx et Engels.

A travers cette histoire de filiation honteuse, l'auteur du Coeur battant du monde tisse plusieurs intrigues. L'histoire de Freddy, le fils illégitime de Marx, est bien sûr le coeur battant de ce roman qui a pour décor une réalité sociale et historique bien sombre : guerre de Sécession, crise du textile en Europe, misère, pauvreté, logement insalubre, faim sont autant d'éléments qui nous donnent l'impression de marcher dans les rues boueuses de Londres, Manchester ou Liverpool. Mais on découvre aussi des figures que l'Histoire ont mythifiées et que Sébastien Spitzer écorne avec une certaine délectation. Karl Marx cède sa place de grand auteur du Capital pour devenir un homme grossier, profiteur, amoureux de l'argent qu'il n'a pas ! le communisme en prend pour son grade ! Engels, bigame, fils d'industriel qui n'a pas réussi à tuer le père pour se construire, apparaît comme le brave petit toutou de son cher Karl, du Maure qu'il sert plus que de raisons !

Heureusement que les femmes sont là pour relever le niveau – certes Freddy et les Irlandais ont eu aussi des valeurs – Charlotte, mère courage, Lydia, soeur malheureuse mais Irlandaise avant tout et Tussy, la fille de Marx qui a les valeurs que son père vante mais n'a pas vraiment sont autant de figures qui font battre le coeur de ce récit.

« C'est lui qui l'a relevée, Freddy. C'est bien lui qui l'a soutenue quand elle était à terre. Il est son presque fils, sont plus que fils, devenu l'homme de sa vie. Elle s'était dit qu'une mère, ça donnait des racines et des ailes. Freddy n'a pas de racines. Il est né dans la boue. Il a grandi dans un taudis. Mais ses ailes ont poussé. »

Vous l'aurez compris : une fois dans ce récit, difficile de le lâcher ! D'aucuns diront que l'intrigue centrale manque peut être de rythme mais j'ai apprécié toutes les sous intrigues qui se tissent et le décor social et historique.

En résumé : un roman qui est aussi bon que le premier ! Vivement le prochain !


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Les faubourgs de Londres, dans les années 1860. Charlotte Evans enceinte, Irlandaise, fuyant la grande famine qui sévit dans son pays, attend vainement à Londres le retour de son amoureux parti en Amérique tenter sa chance.
Karl Marx, marié à la Baronne Johanna von Westphalen, a « fauté » avec sa maîtresse, Nim, sa bonne. Un enfant illégitime est inconcevable, l'enfant doit donc disparaître. Engels, l'ami dévoué de Karl Marx, confie au docteur Malte cette tache à laquelle celui-ci ne peut se résoudre. Aussi charge t-il Charlotte qui vient de perdre son enfant de devenir sa nourrice. Par amour pour cet enfant, Freddy, Charlotte est prête à tout, jusqu'à sacrifier son honneur en se prostituant. Alors que Karl Marx se contente d'écrire la Révolution, son fils illégitime Freddy va la vivre intensément, en prenant les armes contre les Anglais pour défendre les Irlandais opprimés.
Karl Marx est mondialement connu pour avoir rédigé « le capital » où il décrit les rouages du capitalisme et connu pour son activité révolutionnaire au sein du mouvement ouvrier. Sébastien Spitzer s'est inspiré d'un fait réel, l'enfant illégitime de Karl Marx mais s'est affranchi de la vérité historique en travestissant Karl Marx dans le rôle d'un bourgeois. Un portrait à l'opposé même de ses idées politiques. Il est devenu un bourgeois par son attitude mais sa survie financière ne dépend que de son ami Engels. Sébastien Spitzer dresse de Marx, le portrait d'un homme hypocrite et ingrat. Et d'Engels celui qui a consacré sa vie, sa fortune pour soutenir Karl Mar,x il en fait un homme torturé entre son activité d'industriel et ses idées politiques, entre ses deux femmes et les prostituées qu'il fréquente assidument, torturé également par le rôle qu'il a joué dans la « disparition » de l'enfant illégitime, et déçu par le peu de reconnaissance de son « ami ».
Digne héritier de Charles Dickens, l'auteur nous décrit avec force détails une Londres victorienne, la vie de ces petites gens au milieu du XIXème siècle. Charles Dickens a toujours privilégié le rôle de l'enfant innocent comme figure centrale de ses romans (David Copperfield …) dans ce livre c'est aux pas de Freddy, l'enfant caché, recherché car indésirable que l'on s'attache. On assiste à toutes ses tentatives pour se sortir de sa misérable condition, à sa passion pour la teinture du coton.
L'actualité mondiale est au coeur du livre, « le coeur battant du monde » à travers les mouvements ouvriers sous le règne de la Reine Victoria, la crise du coton, la guerre de Sécession aux Etats-Unis, les combats des Irlandais opprimés contre les Anglais suite à la Grande famine…
J'ai été très sensible aux nombreux portraits de femmes présentes dans ce livre, prêtes à tout pour défendre une cause qui leur tient à coeur. A Charlotte, abandonnée par son fiancé, et qui se bat comme une lionne pour offrir une vie décente à cet enfant qu'elle a recueilli. A Mary Burns, ouvrière dans l'usine textile d'Engels qui partage ses idées révolutionnaires et également sa couche. A Lydia Burns, soeur de la précédente et également partie prenante de ce couple polygame, fervente soutien d'abord de la condition ouvrière puis du combat des Irlandais opprimés. A « Tussy » troisième enfant de Karl Marx, dans le livre, la véritable « révolutionnaire » de la famille.
Dans la fiction de Sébastien Spitzer, le révolutionnaire n'est pas celui que l'on croit !
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La bonne surprise de la rentrée littéraire !

Sébastien Spitzer publie pour cette rentrée littéraire le Coeur battant du monde aux éditions Albin Michel. Dans ce roman qui nous renvoie entre Londres et Manchester au XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, conséquence du progrès technique de ce siècle avec son cortège de misère dévolu à ses petites mains ouvrières que ce progrès traîne dans son sillon.

On y retrouve deux personnages et pas des moindres : Karl Marx et Friedrich Engels exilés à Londres. Karl Marx, le philosophe et historien qu'on ne présente pas, tente de rédiger l'oeuvre de sa vie alors que Friedrich Engels son ami l'aide à ses dépenses, lui qui fait florès à la direction d'une filiale anglaise de l'entreprise allemande de son père dans l'industrie du textile, au moment où de l'autre côté de l'Atlantique, nordistes et confédérés se disputent la question de l'esclavage dans une guerre de sécession qui fait vaciller les cours du coton jusqu'en Europe. Engels n'en est pas moins adhérent aux idées socialistes de son ami et ses employés profitent de conditions de travail exceptionnelles comparées à ce qui se faisait ailleurs.

Marx a trois filles avec une aristocrate allemande qu'il a épousée et amené avec lui en en exil au grand dam de sa famille ; leurs ses deux garçons sont morts. Seulement, Marx couche avec la bonne, elle est enceinte et il demande à Engels de la faire avorter clandestinement. Rien ne se passe comme prévu, Nim la bonne, accouche prématurément, l'enfant est là, il porte le nom de Freddy, Engels prend le parti de le confier à une nourrice, Charlotte une pauvre Irlandaise qui vient de perdre son enfant in ovo suite à une agression crapuleuse dans la boutique de son employeur et qui est en convalescence chez un médecin que connaît l'entrepreneur. Charlotte attendra toute sa vie que son amour s'en revienne des Etats Unis, cet eldorado où il est parti faire fortune avant de fonder avec elle une famille. En attendant, elle devra se prostituer pour élever cet enfant qui n'est pas le sien. C'est l'aventure de ce bâtard de Marx que présente ce roman magistral qui multiplie les fulgurances littéraires avec un rythme haletant. L'auteur dresse le portrait de ses personnages avec talent – qu'il s'agisse d'Engels, de Charlotte, de Freddy, de Marx, entre tous les autres – tout en dépeignant cette société qui s'industrialise et dans laquelle le progrès technique comme toujours, va toujours plus vite que le progrès social pour ne pas dire dans son sens opposé. On y suit les aventures haletantes de Freddy et Charlotte qui tentent de survivre dans cet univers « à la Charles Dickens ». Marx et Engels n'ont droit ni à l'apologie ni à la diatribe, Sébastien Spitzer évite l'écueil ; il ne les divinise pas, il ne les diabolise pas, il les humanise avec tout ce que l'humanité a de qualités et de défauts.

Le Coeur battant du monde, pour citer qui vous savez : « C'est beau, c'est fin, c'est ça, c'est tout ! » Ruez-vous sur l'ouvrage chez votre libraire ; il n'a pas seulement mon approbation, moi qui ne suit qu'un lecteur, il a également la faveur de l'Académie Goncourt qui ne s'y est pas trompé puisque ce roman figure dans la sélection du Goncourt 2019. Il est l'une des excellentes surprises de cette rentrée !
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