Bienvenue à la Laverie, messieurs ‘dames, le service secret de lutte contre l'occulte de Sa très gracieuse Majesté !
Vous vous souvenez de vos cours de maths au collège, votre conviction que votre prof était un démon dont l'existence était vouée à la torture de votre fragile petite âme ? Vous aviez peut-être bien raison. Les maths, voyez-vous, en tout cas une certaine branche de la discipline répondant au doux nom de Théorème Turing-Lovecraft (oui, le livre est comme il se doit truffé à raz les pages de références, soyez préparés), ont la fâcheuse tendance à résonner à travers le multivers et à attirer vers nous les habitants tentaculaires et non-euclidiens de réalités autrement plus flippantes que la notre. Oui, on appelait ça de la magie, avant, du temps où les amateurs faisaient leur trigonométrie en dessinant des cercles et des pentacles avec le sang de chevreaux noirs sacrifiés, en baragouinant des invocations impies par une nuit de pleine lune. Ca marche en réalité aussi bien en faisant une simulation sur un ordinateur ou un circuit électronique moderne, autrement plus communs de nos jours. On fait pas attention, une équation un peu tordue et hop ! Nyarlathothep, Yog-Sothoth ou un de leurs potes va se faire un sandwich avec votre cerveau avant de tenter de déclencher la fin du monde. La prolifération nucléaire, en comparaison, c'est de la gnognote.
La Laverie, donc, est l'agence clandestine qui protège le monde en général et le Royaume-Uni en particulier. Pas de James Bond musclé et macho agitant un volumineux flingue sous le museau d'atrocités d'outre-espace, notre héro Bob Howard, lorsqu'on le rencontre, est un gentil geek qui a eu le malheur d'explorer avec un peu trop d'enthousiasme certaines de ces équations. Ayant survécu à l'expérience, le recrutement dans les services secrets était la moins mauvaise solution parmi celles qui s'offraient à lui. Lorsqu'on le rencontre au début de cette première aventure, (ces deux premières aventures, en fait, le bouquin comporte deux histoires indépendantes, la seconde étant un chouïa plus courte mais encore meilleure selon moi) lassé de son poste de technicien informatique, il cajole, supplie, réclame jusqu'à ce qu'on lui refile enfin une mission de terrain. Pour le coup, il va pas être déçu. Nazis sur le retour, terroristes moyen-orientaux, créatures cthulhoïdes et tentaculaires, demoiselle occasionnellement en détresse, et surtout, surtout, la bureaucratie aussi labyrinthique qu'absolument inepte de son propre service, gangrenée de guéguerres internes, qui lui met au moins autant de bâtons dans les roues que tous les démons du multivers. T'es peut-être occupé à sauver le monde, Bob, mais si tu veux te faire rembourser ton sandwich-canette de la pause déjeuner, n'oublie pas de ramener le formulaire DF-357/A en triplicata. Et ton rapport de mission, c'est pour hier, la certification ISO 9001, elle pousse pas sur les arbres. Situation d'autant plus absurde que personne n'est certain qu'il y aura encore qui que ce soit sur Terre la semaine prochaine pour lire le moindre de ces rapports.
Stross mélange donc un beau paquet de références diverses dans son Bureau des Atrocités, et jongle avec brio avec deux influences dont le mariage relève du numéro d'équilibriste : les histoires lovecraftiennes pétries d'écrasante horreur cosmique et de mystère caché dans les recoins sombres du monde, et le techno-thriller moderne à l'ère d'internet et de la communication pour tous. Ajoutez à cela une bonne pincée d'humour britannique pince-sans-rire, secouez, servez. On pourrait s'imaginer que cette dose d'humour se marie mal au thème général, et je suis certain que plus d'un resteront froids devant le ton décalé léger du livre, voire même rétif devant le techno jargon pas toujours digeste si ce n'est pas votre tasse de thé, dont
Stross peut tartiner des pages. Mais pour moi le contraste marche parfaitement. Quand Bob arrête de blaguer et que le ton du récit se fait lourd, on ressent d'autant plus le dramatique de la situation.
Un deuxième tome est traduit en français qui vaut la lecture si vous accrochez au premier, plus quelques autres pour ceux à qui la langue de
Shakespeare ne flanque pas des nausées.
Stross change de style et joue avec différents thèmes d'une histoire à la suivante, le contraste m'a choqué la première fois (avec
Jennifer Morgue) mais ça rafraichi la série à chaque nouvelle aventure, où l'ont prend plaisir à retrouver Bob avec un peu plus de bouteille et un peu moins d'illusions sur notre destin de casse croute cosmique.