Gabriel Garcia Marquez se plaisait à écrire que « la vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient. » C'est par la médiation de l'écriture que Claudia nous fait accéder à son vécu. Et quel vécu ! En lisant attentivement son ouvrage je repensais à
Jacques Brel chantant que « la vie ne fait pas de cadeaux ». Il ne croyait pas si bien dire le grand Jacques. Alors que tant d'entre nous auraient sombré, Claudia a survécu. Ce récit qu'elle nous livre est d'abord un récit de survie. Elle ne s'en cache pas. « Aujourd'hui c'est marche ou crève…J'ai décidé de marcher, d'aller plus loin comme l'ont fait mes ancêtres » affirme-t-elle à raison. Peu lui aura été épargné. Dans ce dur « métier de vivre » qui conduisit César Pavese au suicide, Claudia y a puisé une farouche « volonté d'exister ». Mille fois elle est tombée et mille fois elle s'est relevée mue par un désir irrépressible de vivre debout, d'avancer droite et digne dans l'existence. Loin de son Brésil natal, c'est en France et à
Paris qu'elle tentera d'amarrer la barque de sa vie. « France c'est pour elle que j'ai cet amour puis cette passion…Tu m'as donné tellement de bonheur que tu es devenue encore plus importante dans mon coeur que le pays qui m'a vu naître ». Cette déclaration d'amour faite à notre pays qui est devenu le sien lui a constamment servi de viatique et l'a soutenu dans les heures les plus sombres de son existence à commencer par les longues nuits carcérales.
Il n'y a pas qu'en Amérique latine que la réalité dépasse parfois la fiction. Claudia est une héroïne majuscule et son existence est par bien des aspects romanesque. On y croise des amours puissants et des fins tragiques comme celle du tant aimé Farid. On y croise des hommes bons qui lui tendirent la main comme Monsieur Martin, un vieux franc-maçon en fin de vie et au bras long qui lui offrit les faux papiers lui permettant de demeurer sur le territoire national. On y croise aussi des êtres déjantés et improbables comme son co-locataire Zhao qui s'escrimait à se faire faire des fellations par des députés dans leur appartement qu'il avait en partie transformé en backroom. Et, comme il ne saurait y avoir de grande histoire sans vrais méchants ces derniers pullulent et prennent souvent la forme du prédateur sexuel. Parmi ces hommes vils et veules il en est un qui émerge à visage découvert, (censuré) le patron d'une boîte de minitel rose. El Diable incarne la part maudite du mâle. Au royaume des grands patrons il n'y a pas que
Carlos Ghosn qui doive susciter notre réprobation et notre dégoût. En parcourant l'ouvrage de Claudia on reconnaîtra l'impétrant qui a aujourd'hui pignon sur rue et table ouverte dans les allées du pouvoir. Les personnalités rencontrées par Claudia sont à l'image des facettes de sa vie, multiples et contradictoires. Elle peut tout à la fois brièvement échanger lors d'un cocktail avec
Alberto Moravia, discuter pendant des heures du sens de l'existence avec
Guillaume Depardieu et croiser la route de Tabatha Cash ou de
Brigitte Lahaie.
Claudia relate son existence avec crudité. Sa pudeur n'est pas dans le verbe mais dans la simplicité et la sincérité du récit. On est plus proche de Baise moi que des Contemplations. Et pourtant Claudia sait parfaitement honorer
Victor Hugo, son « dieu ». Hugo affirmait que « ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ». Il n'existe de disciple plus appliqué à l'enseignement du maître que l'élève Claudia. Je devrais plutôt dire
Claudia Tavares de Albuquerque car tel est son vrai nom. Elle ne l'apprendra que tard quand elle parviendra à remonter jusqu'à la souche paternelle et s'y découvrira des ascendances élevées. Elle n'était pas fille de rien mais fille de l'absence. La quête réconciliatrice des origines enfin achevée elle peut, tel Candide, retourner cultiver son jardin. Celui-ci se trouve dans le quatorzième arrondissement de
Paris dont elle est devenue une des figures les plus attachantes du quartier Pernety. Elle le cultive avec Sébastien son amour, son mari, son âme soeur. Leur Restaurant est notre auberge du bonheur. « Je suis enfin heureuse ». On le lui souhaite et on le croit d'autant mieux en terminant la lecture de son roman cathartique. Et, je pense modestement avoir compris pourquoi Claudia devait finir par être heureuse. Cela tient en quelques phrases qui exsude toute sa sensibilité « C'est surtout que j'avais tant rêvé de ce moment-là : sentir les odeurs d'épice, humer un oignon, me frotter une gousse d'ail sur le nez, éternuer en reniflant un peu de poivre, mordiller une botte de persil, prendre une bonne inspiration en fourrant mes narines dans du coriandre ».
Claudia Tavares de Albuquerque, une vraie française…mais du Nordeste.
Pascal Cherki
Ancien maire du quatorzième arrondissement