Paradoxe : il déteste les foules mais on le voit partout sur les médias, où il agace parfois tout en n'étant pas antipathique.
je me suis dit que ça vaudrait peut-être la peine de lire quelque chose de lui avant de me lancer dans le dithyrambe ou la vindicte…
En route donc pour un voyage avec ou à la recherche des fées, le long de l'arc celtique qui va de la Galice à l'Écosse en passant par la Bretagne, le Pays de Galles et l'Irlande.
Sylvain Tesson commence par exposer son projet de voyage – un cabot(in ?)age moitié maritime, moitié terrestre en suivant le ruban littoral de ces pays, large de quelques lieues et long de deux mille kilomètres. Il cite
Les contemplations de
Victor Hugo pour mettre en évidence la nature homogène de ce décor : « C'est tantôt l'aubépine et tantôt le genêt ; de noirs granits bourrus, puis des mousses riantes ; Car Dieu fait un poëme avec des variantes ; Comme le vieil
Homère, il rabâche parfois. »
Et de rajouter : un parapet peut constituer un monde. Qui le protégera de la laideur de l'autre qui ose désacraliser l'enchanteur Merlin et
Le Roy pour baptiser de leur nom un magasin de bricolage. On pense aussi au télescopage récent de menhirs à Carnac avec l'agrandissement d'un magasin de bricolage. D'où sa fulmination contre les Vélux donnant sur la mer derrière lesquelles des femmes libérales mettent au lit leurs rejetons en pyjamas à rayures.
Le long de ce parcours, il met en place son dispositif triskellique censé faire surgir les fées de l'émerveillement par un cadencement de géographie poétique, historique et philosophique ponctué de références classiques.
Le démarrage est un peu poussif : ST échafaude des théories sur les menhirs, les calvaires, les fées en recul et la Sainte Trinité – dont il n'est lui-même qu'à moitié convaincu, semble-t-il : « Je tentai d'expliquer ces bouillies à Humann… ». Un peu d'humour ne peut jamais faire de mal. Une rencontre avec un humain (dont il ne recherche pas vraiment la compagnie dans sa démarche voyageuse) vient rehausser l'intérêt de l'étape bretonne : il s'agit d'une gueule cassée, comme lui, un militaire victime d'un accident à l'explosif.
Mais le moteur finit par trouver son régime et une fois arrivés en Irlande, nous avons droit à de belles envolées, sans doute parce que le ruban littoral s'ouvre sur un arrière-pays plus profond que l'on peut sillonner à bicyclette et où l'on a l'occasion de se ressourcer dans un lac ayant inspiré le grand poète Yeats, en laissant ceux du Connemara à
Michel Sardou – qui lui n'a jamais fait le voyage mais à qui l'Irlande doit d'avoir vu au moins doubler le nombre de touristes du lieu. Même basé sur des éléments mensongers, le mythe celtique a du bon et trouve toute son utilité, notamment dans le cas de l'Irlande, estime
Sylvain Tesson. Pour le climax, l'apothéose, l'acmé de son périple, il a convié un compagnon alpiniste, du Lac pour se lancer à l'assaut de l'Old Man of Hoy, au sein de l'archipel des Orcades. « Sur la plate-forme, suspendue entre ciel et mer, je me tenais sur un point de contact entre le réel et l'idéal. » « j'avais atteint la « fine pointe » inventée par
Vladimir Jankélévitch, instant total où tout s'accomplissait, où l'homme éprouvait enfin la conscience d'être parvenu à ce qu'il avait désiré sans avoir même su qu'il en rêvait. » La quête du Graal. Mais il est rappelé à l'ordre par son guide chamoniard : « Tesson, il faut descendre ! ». « Un sommet n'est jamais ni fine pointe ni point final. »
Prémonition ? La fin du voyage coïncide avec le décès de la Reine ce qui redonne un panache inespéré au mythe arthurien ou tolkienien du Retour du roi. Les rosbifs précédemment dénigrés pour leur mesquinerie de décliner toute responsabilité en matière de sauvetage (contrairement aux guides chamoniards), leur manie de cultiver leur petit jardin dans leurs petits enclos, leurs vieilles dames à cheveux bleus, leurs fées factices en body rose et à bourrelet piercé, les gueules couperosées de miséreux façon
Ken Loach retrouvent grâce aux yeux de l'écrivain voyagiste dans leur affliction de sujets – « heureux de confier à un autre qu'eux-mêmes le soin d'être plus grand que tous », nous rappelant un passé régicide propre à nous faire monter le rouge au front.
Sylvain Tesson retrouve ensuite sa belle venue le rejoindre, en traversant l'Écosse par le Canal d'Inverness mais on n'en apprendra pas grand-chose. Sur la navigation non plus. Des quarts, l'importance du vocabulaire, une petite alerte aux récifs et une petite avarie… Rien sur le bateau, sa taille, les vents changeants, la houle, les particularités de la mer par rapport aux découpages de la côte, des courants… La technique sans doute a aussi gommé la part d'aventure liée à la navigation à voile.
On ne tiendra pourtant pas rigueur au post-aventurier de venir cent ans après les péripéties de Henry de Monfreid en Mer Rouge où tous ces éléments étroitement imbriqués dans le récit prennent tout leur sens et où
la mort succède brutalement à l'instant poétique d'un oiseau chassé par un enfant à la barre (La trilogie du haschich).