«
Avec les fées »
Sylvain Tesson (Equateur 210p)
Je n'avais guère apprécié «
Dans les forêts de Sibérie ». J'avais trouvé Tesson très bavardeux dans le reportage qu'il a consacré à suivre sur un voilier le voyage méditerranéen d'Ulysse, et sa réputation d'homme réactionnaire n'était pas là pour m'encourager à le lire. Mais voilà, le titre est beau, ce qu'annonce sa quatrième de couverture m'a donné envie de le suivre : trois mois sur un voilier à frôler toute la côte celtique, du Finisterre espagnol à l'Ecosse en passant par la Bretagne et l'Angleterre, avec quelques randonnées pédestres en étapes, comment résister ? Et puis, de Céline j'ai bien trouvé « Voyage au bout de la nuit » absolument exceptionnel, alors…
Certes, l'écriture est parfois alerte et illustrée ;
« - Il m'expliqua comment ‘saucissonner le canot sur le rafiot', ce qui se dit ‘fixer l'annexe sur le pont', quand on porte un blazer à boutons dorés. / Nous avalâmes un fish and chips, sorte d'éponge portuaire à l'huile et à l'encre de journal. / Au XIXème siècle, l'Irlande survivait, miséreuse. Entre le chagrin et le sang poussaient quelques pommes de terre. »
Mais elle est parfois un peu facile ou lourde :
« le sentier breton, ce fil à couper l'heure. / J'étais parti chercher le roi Arthur et l'enchanteur Merlin, je me retrouvais chez Leroy-Merlin. / Contrairement à l'huitre, le ciel ne s'ouvre pas toujours. / le phoque, contrairement à l'Anglaise, n'essaie pas de perdre du poids avant l'été. »
Son propos n'est guère un carnet de voyage ;
Sylvain Tesson nous embarque dans une suite ininterrompue de réflexions personnelles sur sa quête du Graal, des fées de sa vie et des mythes celtiques, tellement chargées qu'elles font trop souvent obstacle aux paysages qu'il traverse. le sujet de ce livre, c'est un auto-portait de Tesson lui-même (qui ne m'intéresse guère), de ses goûts, de ses appétits, de ses croyances face à ces paysages par ailleurs magnifiques, qui m'ont quand même fait eux bien envie.
C'est aussi lourd car il ne peut s'empêcher de multiplier par dizaines et dizaines les citations et références littéraires, de
Homère à
Sartre, de Hugo à
Wordsworth, d'
Aragon à
Chrétien de Troyes en passant par
Nietzsche … Un peu, ça va, ça illustre, mais à ce point, ça se fait étalage démonstratif d'un puit de culture.
D'autant qu'à y regarder de plus près, on se rend compte que parmi la masse de tous les auteurs que Tesson nous cite, il n'y a strictement que des hommes !! Pas trace d'une seule plume féminine. Ah ! pardon : « Il y avait
Marie de France, pour la beauté. » Sic, et point final. Ce choix très sélectif est renforcé par une atmosphère très masculino-virile triomphante qui suinte plus ou moins discrètement au fil du récit ; les références militaires (un des compagnons est ancien nageur de combat, ils font halte dans une base militaire, ils s'interpellent entre eux par leur patronyme – « Tesson, on débarque ! »), voilà pendant trois mois sur un bateau un entre-soi d'hommes, des vrais ! La femme c'est le repos du guerrier, une amie de Tesson qui vient le rejoindre trois jours durant sur le bateau en Ecosse. L'auteur n'est pas seulement, comme il se désigne lui-même, gueule cassée, serait-il aussi hémiplégique ? Et sans entrer dans la polémique (être très à droite n'empêche pas d'avoir une belle plume) le printemps des poètes ne risque-t-il pas d'être unilatéralement genré ?
Autre chose qui m'a dérangé, c'est ce ton assez aristocratique et condescendant. C'est l'individualisme triomphant, la posture du dissident qui lui a tout compris, contrairement à la masse. Sa brève description des pilastres, par 182 et 183, est ainsi le prétexte à son auto-portait ; « en s'écartant, il embarrasse l'état (…) réfractaire, solitaire plus que solidaire, esthète plus que militant, préférant la posture à la position. » le couronnement (si j'ose) de tout cela, c'est la larme abondamment versée sur la mort de la reine Elisabeth, son étalage d'admiration pour la royauté, son parti-pris d'élitisme profondément anti-peuple, cet individualisme qui se sent au-dessus de la masse et la méprise, dont il nous gave sur les dernières pages.
Au final, si j'ai pu passer l'un ou l'autre rare bon moment à lire ce texte malheureusement plus cérébral que sensuel, c'est par l'appel des paysages, malgré Tesson plus que vraiment grâce à lui.