« Darwin était sexiste. »
Cette allégation est l’une des plus courantes à propos de Darwin, comme aussi l’une des plus erronées. Renvoyant comme de coutume à des anecdotes ou à des fragments citationnels isolés de leur contexte, elle s’appuie tantôt sur des notes intimes – comme son amusante délibération intérieure de 1838 pour ou contre le mariage –, tantôt sur sa constatation de l’infériorité statutaire de la femme dans la société anglaise et dans d’autres sociétés, ou encore sur certains extraits commentant son retard par rapport au sexe masculin au regard de la réussite intellectuelle. En réalité, l’examen exhaustif du discours tenu par Darwin sur les caractères de la féminité au sein de l’espèce humaine nous met en présence d’une attribution sans équivoque au « deuxième sexe » des vertus et des conduites morales qui constituent à ses yeux l’avenir de la civilisation.
« L’Homme descend du Singe. »
Darwin n’a jamais énoncé une telle proposition, fruit de mauvaises simplifications et de contrefaçons souvent malveillantes.
La légende biblique de la Genèse a imposé durant des siècles l’idée que le premier homme, Adam, œuvre directe et préférée de Dieu, a été créé par Lui à sa ressemblance. De son côté, l’observation naturaliste la plus élémentaire, bien avant Darwin, a constaté que l’Homme, par sa morphologie et ses comportements, ressemble à un Singe plus qu’à n’importe quel autre animal. Dès les commencements du transformisme (dont l’acte le plus spontané est d’interpréter les ressemblances en termes de parenté), le Singe était appelé à devenir ainsi le rival de Dieu. Le plus noble fruit de la pensée du Créateur se trouvait par là même abaissé au rang de résultat honteux d’un engendrement représenté sur le modèle (lui-même inconsciemment théologique) d’un acte de génération directe. C’est cette idée, fondée sur un conflit des ressemblances où l’Église a reconnu la plus grande menace envers la crédibilité de son dogme fondateur, qui a déterminé en même temps la ridiculisation du Singe (présenté comme une dégradation avilissante et burlesque de l’image de l’Homme) et son placement caricatural en position de progéniteur immédiat des humains.
Race, Sexe, Culture : Patrick Tort et l'anthropologie darwinienne