Un ouvrage reçu dans le cadre de la Masse Critique non-fiction grâce à Babelio et les Éditions de l'Aube que je remercie.
Il s'agit d'entretiens de
Nicolas Truong avec dix intellectuels en sciences humaines paru en août 2021, après les confinements, tandis que la pandémie est toujours en cours. L'introduction par
Nicolas Truong part du constat que cette crise est révélatrice des forces et des faiblesses des individus aussi bien que des sociétés. Elle a aussi "perturbé le délicat équilibre entre le contact et la distance. " (p. 7)
S'interroger sur le thème de l'intimité est donc judicieux à ce moment de bouleversement.
La forme de l'entretien permet de découvrir ces intellectuels et leurs travaux sous une forme plus légère qu'un essai. En contrepartie, les sujets sont parfois effleurés. Mais cela peut donner envie d'aller lire de plus près ceux de notre choix et d'avoir une idée des thèses de ceux dont on ne lira pas les sommes. Ce sont des historiens, sociologues, philosophes et écrivains dont beaucoup sont contributeurs de la revue "Sensibilités."
Hervé Mazurel, historien des sensations, héritier d'
Alain Corbin, défend l'idée, tout comme
Thomas Dodman, que les émotions et les sensations ne sont pas seulement des réactions neurologiques mais qu'elles s'inscrivent dans
L Histoire et évoluent au cours du temps.
Belinda Cannone, avec une sensibilité d'écrivain, insiste sur le fait que "nous sommes des êtres en relation."
Clémentine Vidal-Naquet le confirme en rappelant que les intimités deviennent soudain visibles en temps de guerre.
Pierre Zaoui, philosophe, évoque le couple dont la pandémie a révélé aussi les failles. Chacun ayant sa théorie et/ou sa pratique du couple, je n'ai pas été d'accord avec toutes ses affirmations, mais chacun s'accordera sur le fait qu'il est impératif de "laisser l'autre respirer"...
Eric Fiat parle de l'angoisse, de la joie et de l'importance du sentiment du "travail bien fait", en particulier dans les métiers du soin. L'expérience contraire est une source de fatigue qui conduit à l'épuisement et au burn-out alors que le travail bien fait est source de fierté et entraîne une "bonne fatigue" qui n'a pas ces effets-là.
Mickaël Foessel traite de l'intime dans sa relation avec la liberté, l'un et l'autre bouleversés par les diverses mesures gouvernementales.
Eva Illouz s'intéresse plus particulièrement aux femmes et à la dimension politique de ce que l'on appelle amour.
Claire Marin, avec nuance, précision et clarté, analyse les changements subis dans nos interactions quotidiennes se faisant de plus en plus "à distance" (enseignement, travail, etc.) et la nécessité que nous avons d'apprendre à "
vivre autrement."
Ilaria Gaspari, enfin, qui a tenté de vivre concrètement et tour à tour comme le préconisent les philosophes antiques (épicuriens, stoïciens, cyniques, etc.) évoque le bonheur, à réinventer, encore une fois.
Les biographies de chacun en fin de chapitre sont très intéressantes et donnent des repères et des pistes de lectures. C'est donc un ouvrage qui met des mots et des pensées sur des bouleversements qui feront date dans l Histoire comme dans nos vies, bouleversements que avons tous vécus, sinon subis, sans avoir la possibilité de les analyser avec cette finesse et ces connaissances. Il peut donc nous aider à prendre du recul tout en nous instruisant et devenir plus tard un témoin de ce moment de changements.