À propos de la multiplication de nouveaux mondes vivants et sauvages devenus invasifs par nos bons soins capitalistes, le regard incisif et documenté d'une grande anthropologue contemporaine.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/06/note-de-lecture-
proliferations-anna-l-tsing/
Issu de trois longs articles publiés en 2012, 2017 et 2018, ce «
Proliférations », traduit en français sous forme de recueil original en 2022 par
Marin Schaffner pour les éditions Wildproject, est un peu plus qu'un addendum ou une coda au « Champignon de la fin du monde » qui a offert une notoriété mondiale, à partir de sa publication en 2015, à l'anthropologue
Anna Lowenhaupt Tsing, dont les recherches conduites à l'Université de Californie à Santa Cruz se situent depuis l'origine au carrefour des études féministes et des études environnementales. Comme le rappelle
Isabelle Stengers dans sa lumineuse préface, les travaux précédents de la chercheuse s'adressaient d'abord à ses pairs, éthologues, écologues et, naturellement, anthropologues, autour du cas particulier du champignon matsutake. En traitant ici des possibilités invasives d'autres champignons, mais aussi de lianes, de roseaux, de méduses, d'insectes ou de myrtilles mutantes, elle propose ici à un public plus large une échappée vers ces mondes sauvages qui prospèrent dans ce qui constitue, déjà, les ruines du capitalisme, en un extraordinaire choc en retour qui évoque, par la qualité de son écriture – et bien entendu de sa documentation scientifique – les pages les plus visionnaires d'un
John Brunner dans son grand « le troupeau aveugle » de 1972, par exemple.
« de nouveaux mondes sauvages », « Résurgences et
proliférations » et « Marges indociles : les champignons comme espèces compagnes », qui ensemble constituent le présent recueil, évoqueront sans doute la malice songeuse qui habite les compte-rendus d'invasions naturelles fictives ou presque réalistes que peuvent être, par exemple, le «
Mousse » (1984) de
Klaus Modick ou le « La destinée manifeste » (2022) d'Éric Arlix. En plus du formidable hommage à
Donna Haraway que développe surtout le troisième article, ils constituent aussi un rappel particulièrement saignant – et une actualisation proprement désespérante – de l'effet toujours aussi prégnant de l'absence (presque) totale de pensée systémique au sein de l'action à court terme et au long cours des capitalistes et de leurs séides – comme le soulignaient déjà, en pionniers, aussi bien la
Rachel Carson du «
Printemps silencieux » (1962) que le
Barry Lopez de «
Rêves arctiques » (1986). Comme Anna L. Tsing nous invite à le formuler clairement, dans le cadre évolutif d'une pensée renouvelée – et souvent paradoxale – du vivant, il y a bien un moment où la négligence et le manque d'informations deviennent authentiquement criminels, et ce moment est à présent largement dépassé – malgré les combats retardateurs musclés, les incessants chantages à l'emploi et les mensonges éhontés des principaux représentant du profit avant toutes choses.
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