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Isabelle Stengers (Autre)Marin Schaffner (Traducteur)
EAN : 9782381140308
100 pages
Wildproject Editions (04/02/2022)
4.14/5   7 notes
Résumé :
Une invitation à découvrir ce que les espèces proliférantes peuvent raconter sur notre monde en plein bouleversement.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
À propos de la multiplication de nouveaux mondes vivants et sauvages devenus invasifs par nos bons soins capitalistes, le regard incisif et documenté d'une grande anthropologue contemporaine.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/06/note-de-lecture-proliferations-anna-l-tsing/

Issu de trois longs articles publiés en 2012, 2017 et 2018, ce « Proliférations », traduit en français sous forme de recueil original en 2022 par Marin Schaffner pour les éditions Wildproject, est un peu plus qu'un addendum ou une coda au « Champignon de la fin du monde » qui a offert une notoriété mondiale, à partir de sa publication en 2015, à l'anthropologue Anna Lowenhaupt Tsing, dont les recherches conduites à l'Université de Californie à Santa Cruz se situent depuis l'origine au carrefour des études féministes et des études environnementales. Comme le rappelle Isabelle Stengers dans sa lumineuse préface, les travaux précédents de la chercheuse s'adressaient d'abord à ses pairs, éthologues, écologues et, naturellement, anthropologues, autour du cas particulier du champignon matsutake. En traitant ici des possibilités invasives d'autres champignons, mais aussi de lianes, de roseaux, de méduses, d'insectes ou de myrtilles mutantes, elle propose ici à un public plus large une échappée vers ces mondes sauvages qui prospèrent dans ce qui constitue, déjà, les ruines du capitalisme, en un extraordinaire choc en retour qui évoque, par la qualité de son écriture – et bien entendu de sa documentation scientifique – les pages les plus visionnaires d'un John Brunner dans son grand « le troupeau aveugle » de 1972, par exemple.

« de nouveaux mondes sauvages », « Résurgences et proliférations » et « Marges indociles : les champignons comme espèces compagnes », qui ensemble constituent le présent recueil, évoqueront sans doute la malice songeuse qui habite les compte-rendus d'invasions naturelles fictives ou presque réalistes que peuvent être, par exemple, le « Mousse » (1984) de Klaus Modick ou le « La destinée manifeste » (2022) d'Éric Arlix. En plus du formidable hommage à Donna Haraway que développe surtout le troisième article, ils constituent aussi un rappel particulièrement saignant – et une actualisation proprement désespérante – de l'effet toujours aussi prégnant de l'absence (presque) totale de pensée systémique au sein de l'action à court terme et au long cours des capitalistes et de leurs séides – comme le soulignaient déjà, en pionniers, aussi bien la Rachel Carson du « Printemps silencieux » (1962) que le Barry Lopez de « Rêves arctiques » (1986). Comme Anna L. Tsing nous invite à le formuler clairement, dans le cadre évolutif d'une pensée renouvelée – et souvent paradoxale – du vivant, il y a bien un moment où la négligence et le manque d'informations deviennent authentiquement criminels, et ce moment est à présent largement dépassé – malgré les combats retardateurs musclés, les incessants chantages à l'emploi et les mensonges éhontés des principaux représentant du profit avant toutes choses.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Anna L. Tsing est résolument une des personnes dont j'apprécie le plus la pensée aujourd'hui. Je commence à aussi beaucoup apprécier les éditions Wildproject, qui rassemblent dans ce petit livre 3 articles de l'anthropologue, ce qui me semble être une bonne porte d'entrée dans son travail. Dans Proliférations, Tsing évoque les espèces qui se développent dans les zones dévastées par l'activité humaine. Ces paysages transformés par le capitalisme sont pour elle le résultat d'un rapport au monde "intentionnellement inattentif". Favoriser les monocultures et la production massive et industrielle fait perdre de vue l'équilibre précieux des relations inter-espèces, essentielles pour la résurgence de la vie dans toute sa diversité. Tsing revient ainsi sur les relations d'interdépendance entre certaines espèces de champignons et d'arbres par exemple, et nous rappelle qu'il serait aussi absurde de penser l'espèce humaine hors de la nature et coupée des liens qu'elle entretient elle-même avec d'autres espèces. Dans ces quelques articles, Tsing nous dit à la fois la beauté des liens qui nous unissent au vivant et l'urgence d'y prêter attention dès maintenant.
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Dans ces 3 courts textes, Anna L. Tsing développe les thèses de ses précédents ouvrages; les liens millénaires entre espèces, toujours plus niés par homo sapiens depuis 5000ans et les conséquences de notre illusion de toute puissance. Pour finir elle adresse un appel aux sciences, aux profanes et aux cosmopolitiques en devenir pour sortir les sociétés humaines des ornières de l'autodestruction générale.

Sa pensée est à la fois merveilleuse et terrifiante de lucidité et de complexité. Elle évoque un monde vivant, qu'en déréglant nous avons (aussi) rendu capable de réguler nos activités et nos populations, tout en sombrant...

Elle met en avant une distinction entre les "résurgences de l'holocène" (la résilience des espèces séculaires menacées, ex: Matsutaké) et les "proliférations de l'anthropocène" (ces organismes complétement déréglés par nos activités, par nos monocultures et nos déplacements transcontinentaux, qui se répandent ou entrent dans une prédation effrénée, étouffant leurs propres écologies, ex: Un champignon menaçant le frêne en Europe).

Le troisième texte est un manifeste de retissage des liens que nous entretenons (sans même le comprendre) avec le reste du vivant depuis toujours, tout en nous rappelant les catastrophes que cette nature niée a infligé aux humains (et vice-versa) depuis les débuts de l'agriculture jusqu'à la mondialisation financière abusive de notre époque.

Bref on a le vertige, à la fois de la menace et du salut qui viendra de toute cette vie invisible qui nous entoure. Une théorie du chaos qui une fois révélée à tous et prise à bras le corps sera le premier germe de l'espoir.
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critiques presse (1)
NonFiction
01 mars 2022
Anne L. Tsing nous rappelle les dangers pour l’humanité de la simplification et de la financiarisation de la nature, sur le modèle de la « plantation ».
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Les plantations ont été le moteur de l'expansion européenne. Elles ont produit la richesse et le mode opératoire qui ont permis aux Européens de conquérir le monde. Nous entendons généralement parler de technologies et de ressources supérieures, mais c'est le système des plantations qui a rendu possible la marine, la science et finalement l'industrialisation. Les plantations sont des systèmes de culture ordonnés, exploités par des non-propriétaires et conçus pour s'étendre. Les plantations approfondissent la domestication, accentuent les dépendances végétales et forcent la fertilité. S'inspirant du type d'agriculture céréalière soutenue par les Etats, elles investissent tout dans la surabondance d'une seule et même culture. Mais il manque un ingrédient : elles enlèvent l'amour. En lieu et place de l'affection qui reliait les gens, les plantes et les lieux, les planteurs européens ont introduit la culture par coercition.
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À la lumière de ce qui se passe avec la Merremia, il convient de se demander à nouveau : qu’est-ce qui pousse une plante, un animal ou un champignon indigène à abandonner ses habitudes d’espèce compagne et à se frayer un chemin de destruction dans le paysage ? Malheureusement, la Merremia est loin d’être seule dans ce cas. De nombreux êtres sont devenus nouvellement destructeurs du fait des possibilités générées par des infrastructures écologiquement peu attentives et peu scrupuleuses. Prenons l’exemple des « proliférations de méduses », qui se produisent plus fréquemment que nous ne le souhaiterions, nous qui aimons le poisson : dans certaines conditions (surpêche, pollution, introduction de méduses exotiques, réchauffement des océans, etc.), les poissons déclinent, laissant les méduses devenir la faune marine dominante. Martin Vodopivec et ses collègues ont affirmé que l’une des causes de la prolifération des méduses est l' »étalement océanique » des infrastructures marines créées par les humains, telles que les plates-formes de gaz naturel. Les larges surfaces sous-marines plates des infrastructures de pleine mer favorisent le clonage des polypes de méduses, une forme qui est autrement assez rare. Au lieu de se développer rapidement en méduses adultes nageuses, les polypes des infrastructures de pleine mer ne font que proliférer, produisant davantage de méduses. Les infrastructures de pleine mer favorisent ainsi la prolifération des méduses.
Elaine Gan documente le changement par lequel un inoffensif insecte mangeur de sève de riz aux Philippines, la cicadelle brune, est devenu le principal ravageur des rizières peu après la Révolution verte, lorsque l’azote synthétique a été introduit comme engrais. Les cicadelles brunes se sont alors mises à sucer la sève enrichie en azote du riz, et cette nourriture enrichie – ajoutée au manque nouveau d’ennemis, tués par les insecticides – a transformé les cicadelles, leur conférant des taux de reproduction plus élevés, une adaptation plus rapide aux conditions locales, et une vie plus longue. Les intrants de la Révolution verte ont engendré leurs propres antagonistes, qui se sont ensuite répandus pour détruire les exploitations des agriculteurs traditionnels restants. Les insectes deviennent des menaces sérieuses pour l’agriculture lorsque l’agrobusiness les transforme.
Les méduses profitent des possibilités offertes par les infrastructures ; les cicadelles brunes puisent des nutriments dans l’amélioration industrielle des cultures. Serait-ce aller trop loin que de comparer ces exemples à l' »amélioration » de tous nos aliments avec les toxines créées par le développement infrastructurel négligent qui caractérise l’industrialisation depuis sa naissance ? […]
Comme le transport maritime mondial achemine « involontairement » des espèces et des toxines dans le monde entier, il renforce souvent ces nouveaux mondes sauvages. (Et croyez-vous vraiment qu’après tant d’exemples, ce manque d’attention envers tous ces auto-stoppeurs non humains puisse être qualifié de « non intentionnel » ? Une description plus rigoureuse ne serait-elle pas plutôt « intentionnellement inattentive » ? Parfois, l’hybridation avec des cousins exotiques transportés par voie maritime permet à des organismes indigènes de proliférer de la façon terrifiante que je viens d’évoquer. […]
J’ai gardé pour la fin l’histoire la plus terrifiante de toutes : l’histoire du champignon Batrachochytrium dendrobatidis, plus connu sous le nom de « Bd », qui ne tue pas seulement des grenouilles isolées, mais qui élimine des espèces entières de grenouilles partout dans le monde. Presque tous les scientifiques qui travaillent sur le Bd affirment que l’épidémie s’est propagée par le biais du transport industriel mondial, en particulier par des espèces de grenouilles commerciales qui sont porteuses du champignon mais qui n’en meurent pas. […]
Que faut-il donc pour qu’une plante, un animal ou un champignon indigène abandonne ses habitudes de compagnonnage et en vienne à se frayer un chemin de destruction dans le paysage ? Si l’Anthropocène est cette époque où les perturbations humaines sont devenues la force la plus dangereuse sur Terre, des nouveaux mondes sauvages en sont un élément clé. Il nous incombe non seulement d’en apprendre davantage à leur sujet, mais aussi de ressentir les terreurs et les trahisons qu’ils renferment. Quand je regarde la Merremia, je me sens recouverte et étouffée par son rideau. Mais exterminer la Merremia ne fera qu’effleurer le probème. Si ce n’était pas la Merremia, ce serait une autre plante grimpante. Ce n’est pas la plante que je tiens pour responsable. Ce sont les pratiques industrielles et impériales, intentionnellement inattentives, qui ont créé la possibilité de ces nouveaux mondes sauvages. Peut-on changer cela ? À vous de me le dire.
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J’ai rencontré pour la première fois la Merremia peltata, une liane ligneuse de la famille des ipomées, lorsque je vivais avec des habitants de la forêt tropicale à Bornéo, en Indonésie. La balaran, comme l’appellent les locaux, a des feuilles énormes – de la taille d’un visage humain – et des fleurs d’un blanc crémeux. On peut la trouver presque partout dans les forêts des îles d’Asie du Sud-Est, son aire de répartition d’origine s’étendant de Madagascar à la Polynésie française. Dans la forêt de Bornéo, elle cohabite avec de nombreuses autres lianes ligneuses qui rampent le long des troncs d’arbres pour atteindre la lumière et étalent leurs feuilles dans la canopée. Mais contrairement aux nombreuses autres espèces de lianes qui leur fournissent de l’eau, des fruits ou des médicaments, le peuple dayak meratus avec lequel j’ai vécu n’avait pas accordé d’attention particulière à la balaran.
Cependant, lorsque l’exploitation forestière commerciale a touché les forêts, tout a changé. Les sociétés d’exploitation forestière ont creusé des routes et abattu les arbres, exposant des collines entières à une lumière soudaine. La terre arable s’est déversée dans les cours d’eau tandis que les collines se sont retrouvées dépouillées de toute matière organique. Une plante – et vraiment une seule – s’est emparée de ces nouveaux espaces lumineux : la balaran. La balaran s’accroche autour des troncs morts ou mourants et avance ainsi en rampant le long des collines. Les arbres vivants qui ont miraculeusement résisté à l’exploitation forestière et à l’érosion qui s’en est suivie ont été étouffés par la balaran. Auparavant, lorsque les Dayaks créaient de petites surfaces agricoles dans la forêt, puis rendaient ces surfaces à la forêt quelques années plus tard, des arbustes et des arbres pionniers apparaissaient presque immédiatement – gingembres sauvages, figues de terre, bambous -, créant rapidement des écologies ombragées dans lesquelles les arbres reprenaient bientôt le dessus. Certains arbres étaient épargnés par l’agriculture indigène et d’autres, bien que coupés, se rétablissaient d’eux-mêmes grâce aux pousses des souches ; la forêt secondaire contenait alors de nombreux éléments de l’assemblage précédent. En revanche, l’exploitation forestière commerciale a créé des non-forêts persistantes : des espaces dans lesquels même les espèces pionnières robustes ne pouvaient pas s’implanter et où la végétation restante ne pouvait pas survivre. Si vous avez vu le kudzu recouvrant les routes, les maisons et les fermes abandonnées dans le sud des États-Unis, cela ressemble beaucoup à la balaran. La balaran étouffe la vie future des forêts créant une monoculture durable.
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Autrefois, les explorateurs, les pionniers et les ingénieurs coloniaux imaginaient le « sauvage » comme un terrain échappant à leur contrôle impérial. Cependant, en s’efforçant de conquérir ce terrain pour leurs propres fins, ils ont encouragé une foule de nouvelles forces incontrôlables. Les infrastructures qu’ils ont contribué à concevoir et à mettre en place ont nourri d’effrayantes manières d’être, qui se sont répandues et dispersées bien au-delà de leur contrôle. Au sein de ces nouveaux mondes sauvages, les habitants de la Terre ont perdu l’habitude de vivre avec les autres, et se sont mis à faire des ravages dans des écologies jusqu’ici viables.
En cette période de deuil que Deborah Bird Rose appelle « double mort » (cette mort de toute possibilité que nous appelons aussi extinction), un type particulier de vie sauvage se répand – et qui n’est pas le type de vie sauvage générative qui, en chaque lieu, se déploie hors de la civilisation impériale. Les transformations impériales et industrielles des paysages encouragent la prolifération de collaborateurs non humaines. Travaillant avec les humains mais en dehors de tout contrôle humain, ce sont eux qui créent les terreurs de l’Anthropocène, y compris l’extinction. Certains de ces collaborateurs de la double mort, nous les connaissons sous le nom d' »espèces invasives », c’est-à-dire des organismes qui, transportés dans de nouveaux lieux par l’infrastructure humaine, anéantissent les écologies indigènes non préparées à leurs assauts. D’autres collaborateurs, cependant, sont eux-mêmes des indigènes, et c’est sur eux que portent mes réflexions ici.
Que faut-il pour qu’une plante, un animal ou un champignon indigène abandonne ses habitudes de compagnonnage et en vienne à se frayer un chemin de destruction dans le paysage ? La réponse est simple – même si les moyens d’y remédier sont difficiles à imaginer dans le cadre des normes actuelles de progrès et de civilisation. Par leur mépris des effets plus qu’humains, les projets de paysage impériaux et industriels ont modifié le terrain des relations inter-espèces, favorisant l’émergence de nouveaux mondes sauvages.
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La domestication est habituellement comprise comme le contrôle humain sur d'autres espèces. On ignore généralement que de telles relations peuvent également modifier les humains. De plus, la domestication tend à être imaginée comme une ligne dure : soit vous êtes dans le giron de l'humain, soit vous êtes dans la nature.

Comme cette dichotomisation découle d'un engagement idéologique en faveur de la maîtrise humaine, elle soutient les fantasmes les plus extravagants de contrôle domestique d'une part, et d'auto-construction des espèces sauvages d'autre part. Grâce à ces fantasmes, les vivants domestiqués sont condamnés à l'emprisonnement à vie et à la standardisation gé-nétique, tandis que les espèces sauvages sont « préservées » dans des banques de gènes et que leurs paysages plurispécifiques sont détruits.

Pourtant, malgré ces efforts extrêmes, la plupart des espèces des deux côtés de la ligne - y compris les humains - vivent dans des relations complexes de dépendance et d'interdépen-dance. L'attention portée à cette diversité peut être le début d'une appréciation de l'existence inter-espèces des espèces.
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