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EAN : 9782070302833
192 pages
Gallimard (25/03/1970)
4.11/5   33 notes
Résumé :
Eupalinos. (suivi de) L'Âme et la danse. (et de) Dialogue de l'arbre

Par Paul Valéry
Que lire après Eupalinos - L'Âme et la Danse - Dialogue de l'ArbreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Ce recueil regroupe de fait tout ce qui est susceptible de me fasciner : référence à la philosophie - et laquelle ! les dialogues socratiques -, réflexion sur l'art et la création, rapports entre l'art et l'artisanat, méditation sur le temps et recherche d'une unicité entre les sens, le corps, et l'âme, à la recherche de la vérité.

Il est vrai que Socrate et sa maïeutique me fascinait lorsque je l'ai étudié en Terminale, j'ai lu par la suite d'autre dialogues, et j'ai toujours apprécié Platon, je dois avouer peut-être plus comme auteur que comme philosophe. Mais Socrate... C'est quand même celui qui ne cède pas, et préfère avaler la ciguë que renoncer à sa vérité. Comme le dit Valéry vers le début du texte Eupalinos, sa mort fut peut-être même trop exemplaire, et figea en quelque sorte sa parole. Donc, ici nous retrouvons Socrate et Phèdre dans le monde des morts. Ce n'est pas facile, mais il faut bien faire quelque chose, et se remettre à décortiquer les apparences et à soulever les questions liées à la proposition de Phèdre sur cet ingénieur qu'il a connu, l'architecte qui créait des temples "qui chantent". Comment exploiter toutes les dimensions, y compris les éléments non tangibles, comme l'air, pour édifier les meilleurs bâtiments, donner au monde le plus beau de l'Art et de l'Âme ? En quoi le fait d'être exigeant sur les détails très concrets, sur la moindre étape de la réalisation, faisait-il d'Eupalinos un architecte qui se surpassait ? Quelle est l'importance du physique, du sensoriel, dans la création ? Quel architecte sommeillait jusque-là en Socrate ?
Tout cela est exprimé avec une rigueur presque mathématique, et en même temps une sensibilité diffuse, presque une mélancolie de la perception du temps, bouleversantes, qui forcent le respect.

Réflexion que l'on retrouve dans le second dialogue, toujours avec Socrate et Phèdre, qui cette fois ne sont plus morts, mais présents à un banquet suivi d'un spectacle de danse, accompagnés par le médecin Eryximaque, médecin à l'approche particulière, puisque pour lui, soigner c'est surtout laisser faire la nature avec le moins de médicaments possible. Lorsque débouche sur la piste la grande danseuse Athiktè, tous les trois sont captés par ses pas et les figures qu'elle dessine autour d'elle. Ils tentent de définir ce qui fait la quintessence de la danse. Valéry déclarait humblement venir à la suite de Mallarmé qui avait déjà épuisé le sujet ; de même qu'il avoue n'avoir fait aucune recherche, mais avoir simplement ouvert un livre qu'il avait depuis trente ans. Pourtant, il transmet une telle puissance d'évocation que j'ai compris ce à quoi je n'avais jamais réfléchi : je regardais les mouvements des danseurs, je n'avais jamais perçu le fait qu'ils dessinaient des figures en volume dans l'espace. Un peu comme si je regardais le geste élégant d'un bras allongé vers le ciel, mais non le ciel qu'il me désignait, et encore l'air autour, palpitant de vie.

Enfin, le troisième dialogue est plus court, mais tout aussi beau, et je m'interroge : comment lire Valéry sans presque tout recopier en citations, tant chaque phrase est pesée, chaque mot est essentiel ? Paul Valéry était visiblement un homme discret, très modeste, alors que sa prose étincelle comme un diamant taillé à la perfection, lui donnant l'éclat, le tranchant, les mille facettes reflétant la lumière, mais lui rendant l'allure brute et naturelle d'un objet qui n'aurait jamais été touché. Ce livre fait partie de ceux face auxquelles on se sent tout petit, et je sais que je devrai le relire pour le comprendre en profondeur, parce qu'il ne délivre pas tous ses secrets au premier abord. Ne nous y trompons pas, le livre n'est pas facile du tout, et j'ai mis du temps à le parcourir, notamment le premier dialogue. Mais il y a tant à gagner à faire cet effort pour qui veut s'y aventurer...
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Pour être bien franc, je connais assez peu Paul Valéry et c'est un recueil de poésie que je m'attendais à trouver sous cette couverture.
Ma surprise d'y trouver plutôt des dialogues ne s'est toutefois pas tournée en déception puisque ce sont nuls autres que Socrate et Phèdre sont mis en scène dans le premier dialogue, qu'ils sont rejoints par Érixymaque dans le second et que le troisième se déroule entre Lucrèce et Tityre. Je me suis dit que c'était une belle idée de la part de Valéry, car, bien qu'il n'ait pas une grande réputation de philologue, sa poésie se déploie très souvent en des horizons teintés de philosophie et il me semblait donc assez naturel qu'il se soit prêté au jeu des dialogues socratiques.
Et au final, je garde un très bon souvenir de cette lecture. Les échanges sont mis en place avec beaucoup de finesse :
« LUCRÈCE
Ce que j'allais te dire (peut-être te chanter), eût, je pense, tari la source de paroles qui surgit tout à coup du fond de ton esprit. Mais parle!... Si je te demandais d'attendre, tu t'écouterais intérieurement toi-même, avec complaisance, au lieu de m'écouter. »(171)
Et les envolées lyriques sont franchement sublimes :
« PHÈDRE :
Elle semble d'abord, de ses pas pleins d'esprit, effacer de la terre toute fatigue, et toute sottise... Et voici qu'elle se fait une demeure un peu au-dessus des choses, et l'on dirait qu'elle s'arrange un nid dans ses bras blancs... Mais, à présent, ne croirait-on pas qu'elle se tisse de ses pieds un tapis indéfinissable de sensations?... Elle croise, elle décroise, elle trame la terre avec la durée... O le charmant ouvrage, le travail très précieux de ses orteils intelligents qui attaquent, qui esquivent, qui nouent et qui dénouent, qui se pourchassent, qui s'envolent!... Qu'ils sont habiles, qu'ils sont vifs, ces purs ouvriers des délices du temps perdu!... Ces deux pieds babillent entre eux, et se querellent comme des colombes!... le même point du sol les fait se disputer comme pour un grain!... Ils s'emportent ensemble, et se choquent dans l'air, encore!... Par les Muses, jamais pieds n'ont fait à mes lèvres plus d'envie!
SOCRATE
Voici donc que tes lèvres sont envieuses de la volubilité de ces pieds prodigieux! Tu aimerais de sentir leurs ailes à tes paroles, et d'orner ce que tu dirais de figures aussi vives que leurs bonds. »(127)
L'ensemble, fort joli et brillant, laisse un sentiment de joie sereine qui me semble convenir parfaitement aux vacances et aux voyages.
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L'âme et la danse, de Paul Valéry, nous transporte dans un dialogue imaginaire entre Socrate et deux amis, peut-être des disciples, Phèdre et Eryximaque, le médecin.

Pour ceux qui ont lu le Banquet de Platon (moi, c'était il y a très longtemps) on retrouve trois des principaux convives qui devaient, chacun son tour, discourir sur l'amour.

Il s'agit donc d'un dialogue, à la manière de Platon, imaginé par un grand écrivain d'une grande culture grecque, notamment.

Le sujet du débat ? La danse ou l'orchestique ; la beauté perçue, manifestée dans l'évolution gracieuse de jeunes et délicates danseuses sur la musique de l'aulos, de la cithare et, sans doute, du tambourin...

"L'air résonne et bourdonne des présages de l'orchestique..."
"Voyez-moi cette troupe mi-légère, mi-solennelle. - Elles entrent comme des âmes."

Comment se nomment-elles ? Eryximaque les connaît toutes et, une à une, il informe Socrate et Phèdre de leurs noms qui "s'arrangent très bien en un petit poème qui se retient facilement :
- Nips, Niphoé, Néma,
- Niktéris, Néphélé, Nexis,
- Rhodopis, Rhodonia, Ptilé."

"Mais la Reine du Choeur n'est pas encore entrée, Athikté."

Ces trois messieurs s'extasient sur la beauté de ces "charmeresses", devisent sur la volupté qui émane de leur mouvement. Athikté se détache du groupe et fixe intensément leur l'attention. Elle a quelque chose d'Aphrodite assurément.

Mais comme il s'agit de Socrate, au lieu de jouir simplement du spectacle, à l'instar de ses deux amis, il faut qu'il pose la question : "O, mes amis, qu'est-ce véritablement que la danse ?"

Si Eryximaque lui montre l'évidence : "N'est-ce pas ce que nous voyons ? Que veux-tu de plus clair sur la danse, que la danse elle-même ?"

Phèdre qui a compris où le Maître veut en venir déclare : "Notre Socrate n'a de cesse qu'il n'ait saisi l'âme de toute chose ; sinon même, l'âme de l'âme."

On croit connaître la signification d'un mot, et au moment de l'énoncer mentalement on ne trouve pas les termes adéquats. le mot âme, par exemple : S'agit-il ici de l'essence de la danse ensemble de mouvements entrant en harmonie avec le son et le rythme de la musique pour engendrer la beauté réjouissante pour la vue et le coeur ? Ou bien s'agit-il d'autre chose ?

Car Socrate, en bon avocat du diable, émet l'hypothèse suivante, à propos de la merveilleuse évolution d'Athikté, que : " Un oeil froid, la regarderait aisément comme une démente, cette femme bizarrement déracinée, et qui s'arrache incessamment de sa propre forme, tandis que ses membres, devenus fous semblent se disputer la terre et les airs ; et que sa tête se renverse, traînant sur le sol une chevelure déliée ; et l'une de ses jambes est à la place de cette tête ; et que son doigt trace, je ne sais quel signe dans la poussière !... Après tout, pourquoi tout ceci ? - Il suffit que l'âme se fixe et se refuse, pour ne plus concevoir que l'étrangeté et le dégoût de cette agitation ridicule... Que si tu le veux, mon âme, tout ceci est absurde !"

Visiblement l'âme du philosophe serait ici son esprit (autre synonyme du mot âme ? ), esprit conscient d'un parti pris, celui d'imaginer la danse comme quelque chose de ridicule.

Eryximaque, dès lors, déclare non sans justesse que la Raison semble être la faculté de notre âme (encore celle-là) de ne rien comprendre à notre corps (je traduis, à nos émotions, qui provoquent, comme chacun en fait l'expérience, une véritable kinesthésie), pour lui, à l'évidence, la danse est ce qu'elle est entrain de montrer. Rien de plus !

En revanche, Phèdre semble lui donner une signification supplémentaire, symbolique, "une image des emportements et des grâces de l'amour".

Ces deux points de vue laissent insatisfait le philosophe. Mais, il a du mal à contenir les observations et peut-être, les critiques de ses amis qui lui reprochent de chercher midi à 14 heures. Alors, le voilà embarrassé de pensées nombreuses et confuses qui le désorientent et ne lui apportent aucune certitude.

L'échappatoire ? Une nouvelle question au médecin Eryximaque ; "Connais-tu point quelque remède spécifique, pour ce mal d'entre les maux qui se nomme l'ennui de vivre ?" "Cet ennui absolu (qui) n'est en soi que la vie toute nue, quand elle se regarde clairement."

Eryximaque lui apporte une réponse plus que déconcertante : " Rien de plus morbide en soi, rien de plus ennemie de la nature, que de voir les choses comme elles sont." "Le réel à l'état pur arrête instantanément le coeur."

Au fond, une trop grande clairvoyance, une parfaite lucidité mettent l'âme en présence d'elle-même et lui font prendre conscience de sa vacuité, par conséquent de son ennui.

La lucidité a démasqué ce Tout (univers) qui ne se suffit pas à lui-même et dont l'effroi "l'a donc fait se créer et se peindre mille masques". Les mortels en font partie. On n'y peut rien, et pas sûr que cela se soigne !

Et comme avait dit le diable de Jean d'O, dans "Dieu, sa vie son oeuvre ", grâce son inspiration, les mortels apportent de l'animation dans ce Tout, s'agitent, cherchent à comprendre, commettent mille bêtises, éprouvent amour, passion, haine, etc., drapent leur âme d'illusions, de mensonges, vêtent leur corps d'apparence, camouflent ce réel qui n'échappe pas, comme on l'a vu, au regard lucide du philosophe.

Ce dernier reconnaît, en effet, que l'amour, la haine, etc., donnent goût et couleurs à la Vie.

Ainsi, en poursuivant sa réflexion, le philosophe aboutit à la conclusion que toute cette agitation "illusoire" des mortels, constitue le remède à l'ennui de vivre, que l'immobilité lucide qui est source de cet ennui trouve son antidote dans l'ivresse de l'action seule susceptible "de nous faire entrer dans un état étrange et admirable", état le plus éloigné des idées grises et dépressives du contemplatif lucide dont le philosophe s'est fait l'avocat au début.

Rien de tel donc, que nos passions bonnes et mauvaises, et nos souffrances, et nos injustices, pour épicer une existence qui serait fade sans cela (sans la mort finalement).

En tout cas, l'épiphanie de Socrate sur les épices capiteuses de la vie, redonne des couleurs à Athikté dans l'esprit du philosophe qui la compare, maintenant, à cette créature du feu qu'est la salamandre, et l'assimile même à la substance ignée.

Athikté devient la flamme aux ondulations brûlantes, et dont l'âme prise dans ce tourbillon étourdissant qu'entreprennent ses jambes, voudrait s'évader d'elle-même, dans un élan vers les dieux sans doute...

Mais à force de tourbillonner, Athikté se casse la figure : "O tourbillon ! - J'étais en toi, ô mouvement, en dehors de toutes les choses..."

Philosophie et poésie mêlées : L'âme et la danse" de Paul Valéry.

Pat.








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J'avoue connaître très peu ce grand poète. C'est même la première oeuvre complète que je lis de lui. Et bien, je n'ai pas été déçu. Ce fut une très belle découverte. Difficile de décrire ou de faire un résumé de ce livre, mais même si, je l'avoue à titre personnel, certains passages (très peu) m'ont paru un peu "déroutant" à la première lecture, je trouve cette oeuvre (et ce poète) trop méconnue du grand public. À découvrir absolument pour ceux qui aiment la poésie.
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Trois superbes ouvrages regroupés ici : le dernier nommé, dialogue de l'arbre est particulièrement interressant car ici on frole la philosophie en restant dans l'univers de la Grèce antique : un regal !
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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
LUCRÈCE

(...) Ma parole, Tityre, a donc touché ce point, ce nœud profond de l'être, où l'unité réside et d'où rayonne en nous, éclairant l'univers d'une même pensée, tout le trésor secret de ses similitudes...

Dialogue de l'Arbre, page 161.
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LUCRÈCE

(...) Mais cet avancement procède, irrésistible, avec une lenteur qui le fait implacable comme le temps. Dans l'empire des morts, des taupes et des vers, l'œuvre de l'arbre insère les puissances d'une étrange volonté souterraine.

Dialogue de l'Arbre, page 161.
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TITYRE

Je vis. J'attends. Ma flûte est prête entre mes doigts, et je me rends pareil à cette heure admirable. Je veux être instrument de la faveur générale des choses.

Dialogue de l'Arbre, page 155.
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SOCRATE

Un corps, par sa simple force, et par son acte, est assez puissant pour altérer plus profondément la nature des choses que jamais l'esprit dans ses spéculations et dans ses songes n'y parvint !

"L'Âme de la danse", page 148.
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SOCRATE

(...) Une simple marche, l'enchaînement le plus simple !... On dirait qu'elle paye l'espace avec de beaux actes bien égaux, et qu'elle frappe du talon les sonores effigies du mouvement. Elle semble énumérer et compter en pièces d'or pur, ce que nous dépensons distraitement en vulgaire monnaie de pas, quand nous marchons à toute fin.

Page 122.
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Videos de Paul Valéry (45) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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