Il ne s'agit pas de vouloir ou de ne pas vouloir se trouver proche ou à l'écoute de quelqu'un, mais bien d'une volonté qui ne veut plus, qui est complètement déprise d'elle-même, libre pour être investie de ce que l'on appelle la volonté de Dieu : ce n'est pas moi qui veux, c'est lui qui veut en moi, lorsque, à l'écoute de quelqu'un, dans le silence, je suis détaché de ma volonté propre et de la satisfaction de mon moi.
Mais parler ainsi est très dangereux. Car le langage s'empare aisément des intuitions de la vie, et le risque vient vite de penser ou de dire qu'il s'agit de « la volonté de Dieu » pour éviter le travail de détachement de soi que l'écoute de l'autre suppose. Alors, l'écoute devient mensonge. La proximité de la parole originaire disparait au profit d'une coupure, d'un quant-à-soi narcissique qui plonge le sujet dans une déréliction imaginaire à moins qu'il le propulse dans une exaltation de lui-même qui ne l'est pas moins.
Consentir au mouvement de la vie - le désir, en définitive - n'est jamais l'acte d'une volonté propre. Par contre, la volonté propre - le moi - témoigne toujours d'une attitude défensive. Elle a peur du désir qui met I'Autre au coeur de l'homme. L'enfant jaloux exclut le tiers, le plus souvent le père, pour prendre sa place, pour que la vie, l'amour, la joie ne soient pas partagés: pour lui, tout partage est une perte, tout don est une illusion. De même, l'amitié n'est supportée que si elle est exclusive, mais là, elle détruit justement la communauté de l'amour. Elle enferme avec l'autre dans une image totalitaire et fusionnelle, celle de partenaires entrelacés et mutiques. Cette image fusionnelle est toujours le résultat de l'exclusion du tiers et, avec lui, de la parole. Ce faisant, le jaloux se met imaginairement à la place de celui qu'il exclut, et il s'exclut ainsi lui-même.
Il y a une parenté paradoxale entre Freud et saint Ignace. A partir de la particularité sensible ou de la singularité de sa vie, en apprenant à lire dans sa chair les effets de ce qui lui est arrivé et s'est inconsciemment inscrit en lui, Freud met le doigt sur ce qui est la structure universelle de l'homme. Par là, il ouvre la voie à une connaissance de l'homme qui ne s'acquiert pas de l'extérieur par l'observation et la description, mais de l'intérieur, par l'écoute et le transfert. Parole et langage, précisera Lacan, sont le médium- le moyen, l'outil- de l'analyse. Inlassablement, à travers parole et langage, le désir de l'homme sera ramené à la question de la parole vraie et de la relation juste, à la question du réel, question posée au-delà du principe de plaisir et de déplaisir qui est, pour Freud, l'axe du fonctionnement de l'appareil psychique.
Guérir ainsi, guérir pour soi, n'est pas encore vivre, c'est s'en aller du côté de ce qui n'est pas vivant, car être vivant consiste à vivre de la vie qui se donne. Désirer ne pas être altéré, vouloir « se conserver » dans une image intègre de soi, ne pas vieillir, ne pas être handicapé, ne pas être malade, c'est redevenir « comme j'étais avant » ou devenir « comme les autres », en refusant ma forme actuelle. La projection à cet endroit d'« avant» s'appelle l'imaginaire. Nous la prenons souvent pour le réel que notre imaginaire redoublé s'acharne à confirmer.
Par contre, comme me disait récemment une amie, « on peut guérir et mourir ». Guérir revient à vivre dans le déroulement du temps, consentir à ce qui nous arrivé au long de notre histoire
La souffrance de l'un des parents va-t-elle déterminer négativement l'attitude de l'enfant pour toute sa vie?
Pas forcément. Je dis souvent que le vrai amour vis-à-vis de ses parents consiste à aimer son père et sa mère comme un homme et une femme comme les autres. Non pas à les aimer comme mère et père, mais justement dans la mesure où nous sommes enfants de Dieu à les aimer comme des proches. L'amour de nos proches trouve sa source en Dieu, dans I'amour du prochain. Quand j'étais jeune, je me baladais dans la rue et je me disais: « Tout homme est plus intéressant, plus aimable que tout autre. »