Ce livre interroge et intéresse. Grâce à ses chapitres qui abordent d'abord les sorts, puis les personnages, l'auteur mène des enquêtes à la manière de
Sherlock Holmes pour savoir comment les connaissances, les intuitions des médecins peuvent expliquer les caractéristiques de certains personnages de contes en relation avec les dernières connaissances sur la plasticité neuronale ; un sommeil durable qui atteint tout l'entourage de la Belle est rapproché d'une épidémie de narcolepsie, due ou non, au seigle; le cauchemar est analysé comme un état proche de celui/celle qui fait le mort pour ne pas devenir une victime de son assaillant; des états paradoxaux entre vie et mort que ce soit de l'ordre de la possession, du zombie ou du mort qui bouge dans le cas du comas dépassé, sont abordés.
Plus intéressant encore est l'interrogation sur la prise de risque chez l'adolescent ou encore sur la relation entre agression et peur.
Chaque explication n'apparaît pas comme définitive; elle explore des explications possibles tout en laissant place à une pirouette humoristique.
Toutefois, le cerveau recèle pour cet auteur, neurologue et chercheur, encore une autre dimension qui interroge particulièrement : d'où vient la conscience de genre?
Sa réponse est à la fois surprenante et à prendre au sérieux :
Le genre appartient finalement à "Une forme de prophétie autoréalisatrice" (P203) car on est soumis à "La pression sociale, culturelle, médiatique (qui) assigne une posture, un type de comportement, des valences affectives qui font le genre féminin." (P202)
Mon expérience personnelle confirme cette approche car ma génération - comme d'autres - a toujours valorisé le masculin mais, tout m'a poussé à accepter d'être ce que je devais être, définie par mon genre.
Je me suis alors demandé comment, le chercheur- neurologue allait poursuivre ses explications : "L'idée que le cerveau ne présenterait aucune des différences sexuelles qui distinguent les corps relève d'une sacralisation bizarre d'un organe - même pour un neurologue." (P203-204)
Pourtant, cette idée est bien ancrée : le cerveau n'est pas sexué mais ... il faudra maintenant prouver le contraire.
L'auteur explique alors ce qu'il en est de la conscience du corps à l'adolescence et j'avoue que ce serait vraiment idéal qu'il puisse développer ce point. La plasticité du cerveau amène à écrire :
les images internes du corps sont "plastiques et modifiables sous l'effet de l'expérience, même sur une courte échelle de temps" elles peuvent alors s'affranchir "pour partie et dans certaines limites, du corps physique réel". (P218)
Wouah! Que d'implications ! Pourquoi est-il si nécessaire de s'identifier à des personnages de contes, ou de romans, à des stars de cinéma ou de téléréalité ou, simplement à des influenceurs/influenceuses?
Cette question n'est pas posée mais elle permettrait de généraliser cette réappropriation des personnages mythologiques, légendaires ou des contes populaires par les médecins. Pourquoi cette deuxième carrière? Pourquoi ce recyclage à l'usage des descriptions cliniques? (p228)
Quoiqu'il en soit ces personnages " (façonnent) la manière que nous avons d'interpréter la réalité" (idem) Ce qui l'est pour les médecins, l'est également et vraisemblablement pour l'individu lambda.
On est bien dans "Le pouvoir des contes". Alors qui engendre quoi de la fiction et du réel? La question me submerge à l'heure du métavers et m'interpelle grandement.
Une lecture qui ouvre des portes grâce à la riche bibliographie et qui fait avancer la réflexion dans des retranchements inattendus à mes yeux. J'attends la suite de ces recherches d'autant plus que l'on apprend que le CEA est en mesure de percevoir encore plus finement le cerveau.
J'apprécie aussi dans ce livre, l'humour de l'auteur qui met des gardes fous bienvenus et qui ne souhaite pas "ramener sa fraise neurologique sur tous les terrains". Et oui, il faudra bien raison garder dans ce domaine, comme dans tant d'autres. A suivre donc attentivement.