Ecrivant, on marche dans l'inconnu, comme au coeur de certaines musiques où la beauté s'improvise au fil des notes, des chants nocturnes, des blues des tout premiers ouvriers agricoles enchaînés chez leurs Maîtres, au fil d'un saxo ou d'une clarinette.
Ecrivant, on s'évade des lois du monde, on s'efface de la haine des choses, des soucis, on frôle la mort, cet état de reclus que plus personne n'accepte.
(...) Ecrire, c'est savoir un peu plus tôt que les autres que l'on va mourir et que rien n'est plus naturel que ce lent parcours. Rien de plus.
Ce matin, comme un vieux sage, le tilleul s'est incliné vers moi et je crois pouvoir le dire: nous avons échangé quelques mots. L'été, son feuillage immense contient tous les chants des oiseaux. C'est cela qu'il a voulu me dire ce matin, me tendre sa froide solitude car il n'y a ni chant ni soleil en ce début d'hiver. Passant l'un près de l'autre, sans même nous toucher, nous nous sommes donnés un peu de chaleur. Il est nu sans ses feuilles mais il ne se plaint pas. Il est tout à la tâche d'être là tout bonnement. Il laisse couler la rivière des jours entre ses branches. Il m'attend sans m'attendre. Il est toujours là, présent pour nous tous. En cela, plus fidèle, bien plus fidèle qu'un ami. Combien je fais piètre figure à côté de lui !
De chaque instant, si nous savions, nous devrions faire un trésor, élever un totem, ébaucher un talisman. Mais par orgueil ou par mépris, nous ignorons la lumière dansante devant nos yeux, nous ignorons cette beauté passagère, sa puissance invincible. Et nous sombrons peu à peu dans des méandres de boue, empruntons les chemins sans issue, recherchons la pénombre des corridors.
Elle vit tout près de la maison vide où m'a jeté le hasard. Je l'aperçois parfois sur le perron ancien. Sa maison, c'est tout juste une cabane, quelque chose ressemblant à ces abris aperçus dans les jardins le long des routes, dans les faubourgs déserts. C'est une maison de rien du tout, à l'image de la mienne, où je ne suis que de passage. Elle est vieille et menue, chétive sous son fichu blanc. De la fumée monte en volutes de son toit fait de bric et de broc. Elle vit seule avec un tout petit chien qui n'effraierait pas une mouche. A l'aube, j'entends son soupir derrière les volets clos. Vais-je finir ainsi, vieux et solitaire, comme nous tous quand la nuit effacera la jeunesse sur nos peaux, creusera des abîmes sous nos fronts, des sillons sur la paume de nos mains tremblantes? Vais-je finir ainsi, sur le seuil, regardant tomber la nuit?
Souvent, je reste des jours sans rencontrer personne à l'exception des oiseaux me rendant visite dans le minuscule jardin. Je me sens tout étonné de vivre ainsi seul sur cette terre. Pas un appel. Rien. Pas une voix alors que dans le monde entier bourdonnent les machines. J'écoute le temps cogner à ma porte; je regarde le ciel m'inviter à sortir.
Festival Voix Vives 2019
Pleins feux sur : Joël Vernet
Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production
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