Ce recueil de fabliaux expliquera bien le rapport entre fables et fabliaux. À la manière des fables, on trouve un conteur qui anime ou présente une histoire et en donne une morale. La principale différence avec les fables est que les anecdotes racontées prennent place dans le monde réel, et ici en tout cas, dans le monde des campagnes du Moyen-Âge. Ce monde est à rapprocher de celui décrit par le Roman de Renart : vilains, marchands, curés, clercs, voleurs, comique tournant autour du corps mangeant, travaillant, battu… autour de jeux de mots (« Estula » qu'on pourrait rapprocher du « Personne » de l'Ulysse d'
Homère face au cyclope). Les morales tournent autour du trompeur trompé (comme dans « Le tailleur et son apprenti »), l'avare qui accumule bêtement, l'imbécile ou naïf trompé… Certaines morales sont tout à fait discutables comme la condamnation de la ruse féminine dans « Les Perdrix » (ruse féminine qui permet d'assouvir la gourmandise, qu'on retrouve dans « Le paysan devenu médecin », intrigue ayant inspiré « Le médecin malgré lui » de
Molière) ; lien avec le péché primordial de Ève ou de Pandore, misogynie du Moyen-Âge, de la littérature, de la culture ?) ou difficiles à comprendre (« La vieille qui graissa la main »), et permettent donc une discussion, rectification (quelle autre morale attendrait-on, pourrait-on proposer ?)
Certains personnages comme le curé, le moine, le bourgeois ou encore le prévôt sont d'office moqués et victimes, comme s'il était question pour les conteurs de se venger de ces personnages dont on sentirait qu'ils s'enrichissent injustement. La critique a déjà un contenu politique clair concernant le parasitisme réel de la société féodale : la moquerie envers les aveugles, ou envers le commis du pêcheur se déporte sur le prêtre, qui est sommé de rembourser, de payer à la place des pauvres. le bourgeois n'est plus un artisan ou un marchand honnête, il accumule, c'est pourquoi il est battu, volé sans honte, roulé – le vol ou la méchanceté envers lui ne sera pas punie. le prévôt, homme de l'État, du roi ou seigneur, chargé de faire respecter les lois du seigneur, donc de les faire primer sur celles de la communauté villageoise ou citadine, de prélever les impôts, qui doublent ceux de la collectivité et ne servent qu'à enrichir le seigneur. Si le chevalier a de l'honneur, il n'en reste pas moins un parasite qui ne sert qu'à faire la guerre, s'appauvrissant autrement, prêt à vendre sa fille pour retrouver de l'aisance. le seigneur positif du « pauvre mercier », rendant justice comme un chef de village, est annoncé comme punissant sévèrement les voleurs, et pourtant, il ne punit pas le mercier qui a volé le vêtement du moine, mais bien le moine qui est au service d'un seigneur-dieu injuste, qui prélève et s'enrichit sans rien faire de ses mains.
Un autre intérêt de ces fabliaux est de renouer avec l'oralité, avec ce qui fait la base de la littérature, du récit en public. le jongleur-ménestrel laisse voir les ficelles de l'art du storytelling (ou l'art de conter) : annoncer le début du récit (fonction régie), établir et maintenir le contact avec le public (fonction phatique), commenter la véracité et la portée morale de ce qui est raconté (fonction évaluative)… Bien-sûr, tout cela est artifice (le jongleur annonçant souvent un but de divertissement alors qu'il est question de morale), exercice de style de la tradition, mais cela permet tout de même de se représenter cette situation de la narration poétique médiévale. Il manquerait encore la magie de la poésie-prosodie de l'ancien français versifié, et l'accompagnement musical.
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