Après avoir lu plusieurs chroniques d'ouvrages de la collection « Une heure-lumière » aux éditions le Belial, j'ai eu envie à mon tour de m'arrêter sur quelques titres. Parmi les novellas de science-fiction proposées, « 24 vues de Mont Fuji, par Hokusai » a retenu mon attention par son beau titre qui emprunte le chemin du célèbre artiste japonais, Hokusai.
« Je me suis retirée dans l'art d'Hokusai. »
Roger Zelazny offre un bel hommage au grand maître japonais en ouvrant chacun des vingt-quatre chapitres que compose ce récit sur une des représentations du Mont Fuji. Pour chacune des estampes, l'auteur compose une nouvelle ambiance qui s'accorde et s'harmonise avec chacun des tableaux autant qu'avec l'état émotionnel de la narratrice.
Le décor planté, il est facile au lecteur de s'immerger dans chaque déclinaison du Mont Fuji et de suivre la narratrice dans son voyage.
« Je cherche, en vain, le caractère ou l'expression du Fuji. La tristesse ? le remords ? La joie ? L'exaltation ? Elles se mélangent et changent. »
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Mari est une femme âgée, en deuil, voyageant seule et à pied, à travers le Japon. Elle a en sa possession un livre de Charles
Tuttle, Les Vues du Mont Fuji, dans lequel sont reproduits 24 estampes d'Hokusai. Elle suit les traces de l'artiste pour retrouver les emplacements depuis lesquels le peintre a peint le Mont Fuji. Ces endroits semblent habités par la présence rassurante, consolante du peintre.
Ainsi, l'esprit d'Hokusaï accompagne ce mystérieux pèlerinage. C'est un voyage contemplatif, introspectif, méditatif, onirique, où le songe n'est pas très loin, où le passé et le présent s'entremêlent dans une sorte de ballet, où la mémoire écrit les souvenirs, où se croisent réflexions philosophiques et références littéraires, filmographiques, religieuses, ou culturelles.
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Matsuo Basho … disait que nous sommes tous des voyageurs qui traversons la vie. »
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Je me suis alors demandée pourquoi ce livre se trouvait dans une collection regroupant des ouvrages de science-fiction. Bien évidemment, il n'y a aucune erreur de casting, ce livre y a toute sa place, car si le texte est très ancré dans le monde réel, vont se glisser insensiblement des éléments curieux, troublants et inquiétants.
Très vite, le lecteur sent Mari préoccupée, inquiète. La vieille femme se sent recherchée, surveillée, traquée. Elle se retourne sans cesse, essayant d'apercevoir celui qui la poursuit, sans résultat. Ainsi, elle laisse le lecteur dans la confusion et l'incompréhension.
Ce n'est que dans la seconde partie de l'histoire que son attitude trouve un sens et que se dévoile enfin la vérité.
« Cela signifie que tout le monde sur Terre est en bien plus grand danger que je le pensais, que je suis la seule au courant, et que mon duel intime est devenu une bataille à l'échelle mondiale. Je ne peux pas prendre le risque de mettre cette possibilité sur le compte de ma paranoïa. Je dois envisager le pire. »
J'ai trouvé cette nouvelle assez insolite, étrange,
Roger Zelazny a, je trouve, trouvé un juste équilibre dans le flou, en laissant le mystère se charger d'une menace sourde, tout en maintenant une atmosphère douce, contemplative, tournée vers l'introspection.
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L'écriture est belle, poétique, subtile, en adéquation avec l'arrière-plan et les thématiques développées autour du deuil et de la mort, de la mémoire et des souvenirs, de la conscience et de l'imaginaire.
« … il y a tout ici, sous mon regard, au-dessus de l'eau : le feu, la terre ainsi que l'air. La transition, le changement ; je suis de passage. »
Il y a quelque chose de reposant et de serein dans ce voyage.
Le temps semble ralentir, se contenir, s'adoucir. La présence silencieuse, immuable et rassurante du Mont Fuji y est pour beaucoup. Chaque description explore ses nombreuses facettes.
« Vingt-quatre façons de regarder le Mont Fuji. »
Le Mont Fuji, apaisant sous l'aube naissante.
Le Mont Fuji, mystique, évanescent, comme un fantôme caché dans la brume.
Le Mont Fuji, solennel, dans ses habits de neige, avec ses jolies mèches blanches de vieillard sage.
Le Mont Fuji, au loin, sombre, menaçant sous un ciel obscur.
Le Mont Fuji, témoin de la folie des hommes, de la mort.
« J'ai l'impression de ne jamais regarder la même montagne. Tu changes autant que moi, mais tu restes semblable. Ce qui veut dire qu'il subsiste encore de l'espoir en ce qui me concerne. »
Mais, si l'ambiance et les décors m'ont énormément plu, je n'ai pas été pleinement séduite. En effet, le récit déborde d'idées originales, laissant entrapercevoir un monde insolite mais le format court ne m'a pas permis de m'immerger complètement dans l'univers qui se découvre insensiblement dans la deuxième partie de l'histoire.
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Pour conclure, « 24 vues de Mont Fuji, par Hokusai » est un roman court à la fois original et surprenant qui juxtapose avec beaucoup de finesse, art, méditation et science-fiction.
Cette nouvelle, finaliste du prix Nebula, a remporté le prestigieux prix Hugo en 1986. Autant dire qu'elle a de très belles qualités. Elle ne plaira sûrement pas à tout le monde, mais si vous recherchez un texte surprenant, réfléchi, paisible, délicatement tourné vers l'imaginaire et l'art, alors cette histoire vous séduira sûrement.
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Merci Chrystèle (HordeDuContrevent) pour cette belle idée de lecture. Je ne manquerai pas de déambuler à nouveau dans cette très surprenante collection du Bélial.