Zochtchenko n'est pas l'écrivain de longues sagas s'étalant sur plusieurs générations et défiant la patience du lecteur tout au long de ses 7 ou 800 pages. Il s'est fait connaitre au début de la révolution bolchévique par de courtes nouvelles satiriques dont l'essentiel est le style du parler populaire, un langage fait de « phrases courtes et accessibles aux pauvres ». Depuis longtemps, il traine un projet de mémoires et a accumulé dix ans d'archives lorsque la seconde guerre mondiale éclate en Russie, le contraignant à fuir St Petersbourg pour Alma-Ata, emportant avec lui ses kilos d'archives. Là, un matin de 1942, il décide qu'attendre la fin de la guerre n'a pas de sens et qu'il va s'y mettre, en appliquant d'emblée la formule qui lui a tant réussie dans son oeuvre de romancier : on aura donc, en guise de mémoires, une série de vignettes ne dépassant généralement pas une ou deux pages, d'événements qui l'ont marqué et ont laissé trace dans son cerveau, son âme et son corps comme autant de petites madeleines… C'est que le but avoué de cette introspection est de comprendre d'où vient la mélancolie, les états neurasthéniques qu'il traine depuis toujours.
Evidemment, on n'aura aucune réponse, simplement un livre à nul autre pareil dont le moins extraordinaire n'est pas sa structure à rebrousse-temps : ne trouvant pas de réponse dans les souvenirs de son adolescence ni de sa jeunesse (partie 1), il va se plonger dans les souvenirs de petite enfance (partie 2 de 5 à 15 ans) pour finir, là encore en l'absence de réponse, par la tranche 2 à 5 ans de la partie 3, nous délivrant ses vignettes comme une biographie à l'envers, une espèce d'homme qui rétrécit au quel ne manque que les « souvenirs d'un foetus » pour boucler l'affaire.
Le dernier chapitre tente une conclusion rationnelle et déductive de l'étude qui précède, à l'aune des expériences de Pavlov mélangées avec le traumatisme originel de l'accouchement (lever de soleil du titre). Tout cela m'a paru moins réussi que les étapes elles-mêmes des vignettes/souvenirs qui précèdent et l'état dépressif de l'auteur devient une peur de l'eau sans qu'on sache vraiment si on parle toujours de la même chose.
Au final, Zochtchenko nous assure en conclusion que ce ne sont que « les premiers pas à la recherche de l'événement fatal », laissant augurer une suite à ces questions existentielles dont tout le monde sait qu'elles sont sans fin…
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Blok se retourne lentement et nous regarde.
Je n'ai jamais vu des yeux aussi vides, aussi morts. Je n'ai jamais pensé qu'un tel ennui et une telle indifférence pouvaient se lire sur un visage.
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Je m'excuse à nouveau et m'éloigne à la hâte. Zamiatine reste avec Blok.
J'erre à nouveau dans le couloir, en proie à un maialise étrange. A présent, ma destinée me devient presque visible. Je vois le dernier état de mon existence. Je vois l'ennui qui m'étouffera immanquablement.
Je demande à quelqu'un : "Quel âge a Blok" On me répond : "Près de quarante." Il n'a pas quarante ans !
Au début de la révolution, je revins à Pétrograd.
Le passé ne m'inspirait aucune nostalgie. Au contraire, je voulais voir la Russie nouvelle, moins triste que celle que j'avais connue. Je voulais voir autour de moi des hommes sains et florissants, et non des gens comme moi, enclins au cafard, à la mélancolie et à la tristesse.
Je ne me sentais pas en désaccord avec la société nouvelle. Néanmoins, le même ennui qu'autrefois s'empara de moi.