Chronique littéraire du roman d'anticipation de
Bertrand Zuindeau,
Paradosis, par
Florian Mazé.
Il y a eu la collapsologie scientifique, celle qu'on ne présente plus, où les ingénieurs de formation sont légions, celle des
Pablo Servigne, des
Jean-Marc Jancovici, des
Arthur Keller, des
Vincent Mignerot, pour ne citer que les plus connus, et pardon à tous ceux que j'oublie ! La collapsologie scientifique a droit à tout notre respect ; j'avoue qu'elle m'a beaucoup inspiré en tant qu'auteur de romans d'anticipation ; je ne suis d'ailleurs pas le seul et loin s'en faut.
Ainsi, il m'a été donné de lire une belle oeuvre de
Bertrand Zuindeau,
Paradosis, un vaste roman d'anticipation qui n'a pas peu contribué a nourrir la petite soeur encore fragile de la collapsologie scientifique, à savoir la collapsologie littéraire, ou plus généralement culturelle. Une fois de plus, des écrivains contribuent à l'imagination d'un monde post-collapsus, faiblement technologique, rompant avec la science-fiction du XXe siècle obsédée par les vaisseaux spatiaux et le high-tech ultrasophistiqué.
Foin du cyberpunk et du space opera !
Bertrand Zuindeau apporte sa pierre à l'émergence du low-tech punk, un genre de science-fiction dévoilant des scénarios vraisemblables, décrivant un monde post-apocalyptique partiellement ou totalement reconstitué, également plus ou moins apaisé, mais vivant sur des technologies préindustrielles après disparition des énergies fossiles et raréfaction des matières premières.
Paradosis, de ce point de vue, c'est sans doute l'un des romans low-tech punk (ou « lowtechpunk ») qu'il faut lire en priorité, tant la collapsologie qui s'y exprime est à la fois radicale et sereine, tant elle déploie un scenario âpre, parfois très dur, mais viable et conservant une haute idée de l'humain (sans angélisme et sans illusions toutefois).
Le thriller de
Bertrand Zuindeau commence par le meurtre d'un architecte, Jan le Sage (par ailleurs grand-maître de la confrérie initiatique «
Paradosis », terme grec signifiant la tradition), lequel détient le pouvoir spirituel sur la ville fortifiée de Mons. Mons est une cité post-apocalyptique néo-médiévale, gouvernée, en ce qui concerne le pouvoir temporel, par un seigneur local un peu lourdaud dénommé Régis.
Mons elle-même est d'ailleurs le recyclage d'une petite ville des temps révolus, qu'on a pourvue de murs d'enceinte. du reste, les initiés de
Paradosis se réunissent dans les locaux, en partie préservés, d'une vieille église, où ils suivent un rituel initiatique proche du cérémonial des anciens francs-maçons. Il est à noter que les vieux monothéismes d'autrefois n'existent plus, engloutis par le Grand Chaos des XXIe et XXIIe siècles auquel ils ont contribué. La fraternité ésotérique
Paradosis cohabite cependant avec une vague religion, celle du petit peuple, un polythéisme assez banal et presque sans culte, dont les divinités renvoient aux forces de la nature.
La société « secrète »
Paradosis est aussi dépositaire d'un gros carnet manuscrit appelé Chroniques de la fin des temps anciens. Rédigé juste après le Grand Chaos (au XXIIe, au XXIIIe siècle ?), ce manuscrit contient le peu de mémoire collective dont peuvent encore se prévaloir des hommes du XXVe siècle, dans un monde où même les archives papier (sans compter le numérique, qui n'est plus qu'un vague souvenir) ont été, en très grande partie, détruites. Ce carnet est le seul ouvrage qui conserve la datation traditionnelle fondée sur l'ère chrétienne. Il est parfois recopié à la main et il peut être, le cas échéant, transmis à des peuples voisins avec lesquels Mons n'a point de contentieux.
Le lecture du carnet est un véritable plaisir. le lecteur se retrouve dans la peau d'un rédacteur post-apocalytique, qui conserve à peine assez de la mémoire des temps anciens pour en faire une peinture critique, saisissante par sa beauté âpre et criante de vérité. le texte du rédacteur, derrière lequel se cache notre auteur
Bertrand Zuindeau, est remarquable de lucidité, d'impartialité, d'humour et riche de connaissances en collapsologie. C'est, à mon avis, dans ce carnet que résident les meilleurs passages du roman. On sort de cette lecture lessivé, frappé, heureux, sans aucune illusion.
Bertrand Zuindeau fustige allègrement les fanatismes de tout poil, religieux, civils, technicistes, obscurantistes, rationalistes, irrationalistes, qui ont mené le monde à sa perte. Les gens qui passent leur temps sur internet à la recherche de gourous et de pseudo-solutions de droite, de gauche, du milieu ou du très haut, devraient dare-dare se mettre à la lecture de
Paradosis. Ils en ressortiront beaucoup plus clairvoyants !
Paradosis est aussi un thriller. Qui a bien pu tuer Jan le Sage, ce grand architecte, dignitaire important de Mons, patriarche spirituel incontesté, partageant son pouvoir avec le seigneur Régis ? Je ne dévoilerai pas le dénouement de l'histoire. Mais, de toute manière, le dénouement compte moins que la réflexion philosophique qui irrigue cette intrigue à rebondissements inattendus.
Ainsi : presque tous les digitaires de Mons – et même le roitelet Régis – sont suspectés du meurtre. Ce crime est officiellement attribué à des « hirsutes », humains rabougris et crasseux, néo-préhistoriques, qui survivent dans les forêts avoisinantes, puis à des « nomades », gangs de voyous itinérants, ultra-violents, dont quelques traits nous rappellent les personnages maléfiques de Mad Max. On apprend aux dernières pages qui a fait le coup, comme dans un roman policier classique.
Mais le véritable intérêt est ailleurs :
Bertrand Zuindeau déroule toute une galerie de portraits humains trop humains, où les sages ne sont pas tout à fait sages et les vertueux plus vicieux qu'on ne le pense, alors même que Mons est une civilisation très évoluée, très brillante par rapport aux horreurs qui l'entourent. En d'autres termes, il y toujours une part de dystopie dans l'utopie, et inversement :
Bertrand Zuindeau, comme tous les bons romanciers, montre que les traits saillants du caractère humain ne changent jamais – technologiste ou pas, civilisé ou pas, l'homme vit et vivra toujours des mêmes qualités et des mêmes défauts, des mêmes archétypes positifs ou négatifs, la sagesse donnant le bras à la bêtise et la bienveillance s'accommodant de la cruauté, souvent dans la même personne.
Paradosis est ainsi, au-delà même du roman dystopique ou collapsologique, une leçon de clairvoyance et d'impartialité. C'est, en définitive, un authentique conte philosophique, mais dont l'intrigue reste sur le terrain du vraisemblable, une oeuvre d'un grand réalisme aux accents désabusés, voltairiens même, sans toutefois l'esprit persifleur.
Chronique établie par
Florian Mazé, auteur, profil Babelio "Dystopie2193"