"Je suis trop vieux pour ses bêtises", se dit Arsène Lupin en escaladant un balcon et en plagiant Roger Murtaugh de L'arme fatale. Heureusement, au moment où l'escalade manque de mal tourner, Lupin rencontre une main secourable, celle de Libellule, jeune cambrioleuse particulièrement débrouillarde. C'est ainsi que Lupin recrute successivement trois jeunes et prometteurs cambrioleurs. Ils vont l'aider à récupérer trois joyaux formant une clé, clé donnant accès à un coffre qui permettra à M. de Rossigny (ancien ennemi de Lupin) de récupérer sa fortune durement gagnée pour faire le bien.
Après quelques dizaines de pages dans Les Arsène, je me suis dit : "tiens, ça me fait penser à L'école des mousquetaires : même héros vieillissant et pathétique, même style un peu poussif". Vérification faite, bingo : c'est le même auteur,
Bertrand Puard, donc, qui après avoir récupéré D'Artagnan s'attaque à Arsène Lupin. La série Netflix a remis au goût du jour ce héros que sa suffisance de mâle blanc hétéro et patriote aurait dû suffire à ranger au placard des has been. Mais, étonnamment, Lupin n'est pas mort et on en trouve maintenant à toutes les sauces : Netflix, BD, manga, bretonne et, désormais, jeunesse.
Jusqu'ici, je n'ai pas encore trouvé une oeuvre qui réchauffe Lupin et qui ait la même saveur (à part des nouvelles "apocryphes" sur Littérature audio). Cet ersatz pour les jeunes ne fait pas mieux. J'avais espéré que cette série serait l'occasion de faire découvrir aux plus jeunes les aventures précédentes d'Arsène Lupin, qui ne sont pas forcément hyper accessibles pour eux mais on a ici une aventure entièrement différente, saupoudrée de quelques allusions. Ces allusions m'ont parues souvent si maladroites que je me suis demandée si l'auteur avait lu autre chose de ces romans que le titre et la quatrième de couverture. Si c'était le cas, il saurait que
L'Aiguille creuse se termine justement sur l'abandon par Lupin de ce repaire envahi par la police. Il serait d'autant plus idiot de retourner s'y cacher que tout le monde semble savoir, par les romans, que c'était son repaire et comment y pénétrer. Franchement, à se demander pourquoi le commissaire Ganimard se fatigue à tendre une souricière quand il n'avait qu'à ouvrir un bouquin pour savoir où trouver Lupin !
Si encore c'était la seule absurdité de ce roman...
Cohérence avec l'univers lupinesque mise à part, le roman lui-même ne tient pas trop debout. Je ne compte plus les absurdités et les facilités scénaristiques qu'il enfile comme des perles. Celle qui m'a semblé le plus difficile à avaler, quand même, c'est toute l'affaire qui donne lieu à cette aventure : M. de Rossigny dépouillé par trois proches (on n'arrive même pas trop à comprendre comment), ceux-ci conservant les preuves qui les accablent dans un coffre de banque pour pouvoir confondre leurs complices et, surtout, la clé de ce fameux coffre composée d'un rubis, d'une émeraude et d'un diamant. Je n'arrive déjà pas bien à imaginer comment les trois pierres peuvent être ajustées les unes aux autres pour former une clé mais admettons. le simple fait que la clé soit composée de joyaux ne tient absolument pas debout, cela en ferait une clé qui vaudrait pas loin de toute la fortune volée, si ce n'est plus. le penne à lui seul nécessiterait un diamant d'une taille considérable, même pour une toute petite clé de coffre. Et, en plus, deux de ces joyaux se baladent dans la nature, montés sur de simples bijoux portés par la femme ou la fille de deux des malandrins. Bon, je ne vais pas m'étendre : tout le reste de l'intrigue est à l'avenant. Pour la lire sans lever les yeux au ciel, il faut une suspension d'incrédulité XXL.
Bizarrement, j'avais une certaine impatience de continuer ma lecture mais tout en étant chaque fois déçue par les énormités de l'histoire, le style assez moyen et le traitement du personnage de Lupin. Celui-ci n'a plus grand-chose à voir avec le flamboyant héros de
Maurice Leblanc. Tout ce qui lui reste, c'est son haut-de-forme, qu'il porte en toutes circonstances, même chez lui. Il est à peu près inutile à l'histoire, ses trois jeunes apprentis cambrioleurs étant déjà parfaitement opérationnels. Ils semblent n'avoir rien à apprendre de lui et ils ont même parfois tendance à le regarder avec une certaine condescendance. Pour un livre qui s'adresse à des jeunes, cela me laisse songeuse. Qu'est-ce que ce roman jeunesse, comme d'autres au demeurant, dit aux jeunes ? Vous n'avez rien à apprendre des plus âgés. Vous savez déjà tout, vous êtes déjà doués et, eux, ils ont besoin de vous parce qu'ils sont vieux et perclus de rhumatismes. Je trouve cela assez triste.
Je suis un peu désolée de ne pas avoir trouvé quelque chose à apprécier dans ce roman auquel les éditions Poulpe Fictions m'ont donné gracieusement accès sur la plate-forme NetGalley. Alors, certes, je n'ai pas l'âge du lectorat visé (je dois être trop vieille pour ces bêtises, moi aussi) mais j'ai lu et apprécié d'autres romans jeunesse bien mieux écrits et bien plus travaillés que celui-ci. Il y a cependant une chose que j'ai appréciée, ce sont les illustrations style BD, plutôt chouettes. On va au moins sauver ça...
En résumé : si vous cambriolez une librairie, vous pouvez laisser ce Lupin : c'est un faux ! (et n'oubliez pas de passer à la caisse : Lupin n'aurait jamais volé de pauvres libraires !)
Challenge Romans Jeunesse 2023