J'ai découvert Éric Teyssier avec ses Chroniques Romaines, centrées sur l'antiquité romaine nîmoise. J'ai apprécié son style de conteur de l'Histoire, où son imagination vient combler les trous laissés par des sources malheureusement bien trop incomplètes.
Il faut être imaginatif pour transformer les faibles sources sur
Spartacus en biographie claire, vraisemblable et passionnante. Éric Teyssier use ses sources jusqu'à la moelle : les fragments des Histoires Salluste, l'Abrégé d'histoire romaine de Florus, les
Vies parallèles de
Plutarque et les Guerres civiles d'Appien, plus quelques mentions chez
Tite-Live ou Orose. Hormis Salluste qui est presque contemporain, tous les autres écrivent aux siècles suivants et ont forcément dû se baser eux-mêmes sur des documents. Teyssier questionne parfois la vraisemblabilité d'une phrase source (en particulier chez Appien) mais il est souvent « obligé » de la prendre pour argent comptant, point de départ d'une démarche conjecturale lors de laquelle il essaie de pénétrer les motivations des participants ou le déroulement d'une bataille.
L'auteur le répète à l'envi :
Spartacus est une figure de l'Histoire qui est devenu un mythe, transformé en fonction des besoins. Héros romantique et clément décidé à libérer l'humanité de l'esclavage, révolutionnaire à la
Che Guevara, voire marxiste communiste (pensez au club de foot moscovite « Spartak »), personnage proto-christique aussi (le châtiment de la croix chez
Stanley Kubrick). La « réalité » issue des sources est moins belle ; il fallait s'en douter. Éric Teyssier nous montre un homme qui, au début, ne cherche qu'à fuir avec son petit groupe de gladiateurs. Mais il est rejoint par nombre d'esclaves de Campanie dont la vie est effroyable et qui l'idéalisent déjà, puis au fil des victoires par des hommes libres qui n'ont acquis aucun bénéfice au gouvernement romain. Il prend presque forcé ce rôle de chef de guerre. Il n'est pas spécialement clément, autorisant le pillage et le viol (allez donc empêcher une foule d'ex-esclaves en colère de se venger). Il n'hésite pas à crucifier ses prisonniers devant les troupes romaines qui lui font face. Et surtout, il n'est pas opposé à la notion d'esclavage. L'auteur le dit : l'esclavage n'est pas l'exclusivité de Rome ; il est partagé par toutes les civilisations de la Méditerranée. Mais la bravoure, l'intelligence tactique, la forte personnalité sont bien là.
La Rome du temps est l'autre grand sujet de ce livre. Comment parler de
Spartacus sans la décrire ? le Ier siècle avant J.-C., c'est le temps des guerres civiles dans la République. L'auteur nous explique comment fonctionne Rome, pourquoi elle doit croître aux dépens de ses voisins (une nécessite économique). Il nous explique le « cursus honorum » – la gradation des postes politiques qu'un ambitieux doit occuper pour développer son pouvoir – questeur, édile, prêteur, et enfin consul. Il nous montre que la « guerre servile » est avant tout une occasion pour les prêteurs et consuls de briller politiquement (nombre d'entre eux sous-estimeront la menace et se casseront les dents). Il décrit aussi l'opposition entre partis populaire (populares) et aristocratique (optimates), alors qu'à l'époque de
Spartacus le premier a pratiquement disparu (même les tribuns de la plèbe n'existent plus). le jeu politique mène aussi les actions de Crassus et de Pompée dans les dernières phases de la révolte des esclaves. Crassus lui-même apparaît différent de la figure représentée par Laurence Oliver dans le film de Kubrick, moins méprisant, profitant plus de son énorme fortune que de son charisme.
La gladiature est également bien décrite. Elle ne ressemble pas encore à celle que l'on nous montre à l'écran. Son rôle est encore « sacrificiel » et pas encore « sportif ». Rome fait se battre entre eux des peuples qu'elle vient de vaincre, pour l'écraser encore plus. le rétiaire, avec son trident et son filet, n'existait pas encore.
J'ai été particulièrement frappé par l'absence d'objectif clair de la révolte. L'armée de
Spartacus atteint jusqu'à 100000 hommes grossièrement divisés en deux « clans » : les Thraces, et les Gaulois qui auront toujours du mal à s'accorder, se sépareront et seront anéantis l'un après l'autre. Que voulait faire
Spartacus ? Quitter l'Italie pour « un monde meilleur » ? Mais où aller alors que Rome est presque partout. Rejoindre leurs familles ? Ils les ont oubliés, et de nombreux membres de l'armée sont italiens ; qu'iraient-ils faire au-delà du Pô que
Spartacus ne franchit pas, ou en Sicile que
Spartacus souhaite traverser grâce aux pirates Ciliciens qui le blousent dans les grandes largeurs (les pirates infestent la Méditerranée à l'époque) ? On sent l'armée « tourner en rond », pourchassée par Rome, faisant parfois face, parfois avec succès.
Bon ce billet est déjà trop long. J'espère qu'il reflète bien le plaisir que j'ai eu à lire ce livre. Mais gardez à l'esprit qu'il est surtout le fruit de l'imagination de l'auteur, très vraisemblable mais qui ne peut accéder à ce qui s'est réellement passé sur le terrain et dans l'esprit des acteurs.