Le roman de Carpentier est en trois sections. La première a lieu au Vatican en 1864, le jour où le pape
Pie IX signe un document qui, espère-t-il, sera le premier pas vers la canonisation de
Christophe Colomb. Les motifs de Pie pour lancer la procédure se révèlent être politiques plutôt que religieux, faisant partie des intrigues constantes de l'Église pour renforcer son pouvoir en Amérique latine. le mythe de Colomb découvreur d'un nouveau monde, peut devenir une métaphore qui favorisera l'illusion d'un colosse à cheval sur les continents : l'Église elle-même. le mythe dépend, bien sûr, d'une connaissance limitée de la vie de
Christophe Colomb. Mais le problème est que sa canonisation est peu probable à moins que l'on en sache plus sur lui. Cette section du roman se termine avec Pie imaginant l'excitation d'être le prètre qui avait entendu la confession finale de Colomb.
La seconde partie du roman nous présente donc Colomb, parlant de sa propre voix, sur son lit de mort en 1506. Ce que l'on surprend, c'est tout ce qu'il finit par décider de ne pas dire à son confesseur, la réalité plutôt que le mythe. Ainsi, nous apprenons qu'il est, dans l'ensemble, un escroc, un lubrique, un raciste et un meurtrier. C'est un rêveur ivre, un navigateur indifférent et un marchand d'esclaves vicieux. Comme
Pie IX, ses prétentions au pouvoir sont couvertes d'un vernis de religion. La réussite du livre étant de montrer comment de telles stratégies politiques se sont poursuivies longtemps après
Christophe Colomb. En fin de compte, cependant, la narration de l'histoire à la fin de la vie de Columbus révèle la chose la plus surprenante à son sujet : que tout était né d'un échec incroyable dont les petites réalisations se sont produites par accident plutôt que par dessein.
La troisième section du roman se déroule à l'approche du tricentenaire du premier voyage de
Christophe Colomb. Pie est mort et il y a peu d'enthousiasme pour la cause de Colomb. le fantôme de Colomb lui-même hante le Vatican dans l'attente illusoire de son succès. Il est témoin de l'avocat du diable, un démagogue flagrant, l'exposant comme l'instigateur de l'esclavage dans les Amériques et (comiquement vu comme un délit équivalent) le père d'un bâtard. Ses chances de sainteté anéanties, nous assistons à la disparition de l'ombre de
Christophe Colomb dans l'air de la place Saint-Pierre. La richesse verbale et le mordant satirique de ce roman sont tout autant à recommander que la manière dont il raconte un récit familier. le style de Carpentier est souvent décrit comme baroque mais
La Harpe et l'Ombre (160 pages) est composé avec une soigneuse économie qui n'est pas suggérée par ce mot. le lecteur a l'impression que Carpentier, décédé peu de temps après avoir terminé le livre, savait tout ce qu'il y avait à savoir sur Colomb, et le savait à l'envers. Mais son érudition est loin d'être voyante et est souvent plus évidente dans des phrases apparemment futiles. Traiter avec humour un chapitre aussi ignoble de l'histoire du monde était à la fois difficile et risqué, mais Carpentier a réussi, peut-être parce qu'il avait lui-même une assise solide sur les deux continents, ayant partagé sa vie principalement entre Cuba et Paris.
Mais
La Harpe et l'Ombre n'a pas été écrite pour mettre fin au mythe de
Christophe Colomb. En Europe, la coïncidence de l' anniversaire de
Christophe Colomb et du marché unique fut délibérément exploitée pour renouveler la foi en l'Europe en tant que berceau de la civilisation mondiale et leader naturel de la culture mondiale.
Un très salutaire et très beau livre d'
Alejo Carpentier, un des très grands écrivains du 20° siècle...
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