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4,2

sur 2965 notes
Ça vous dirait d'être conviés à un bal avec Staline ? Sans quoi, n'hésitez pas, Mikhaïl Boulgakov a un petit carton d'invitation à vous donner. Cela s'appelle le Maître Et Marguerite. C'est plaisant à lire, tonique, fantasque et dépaysant.

L'auteur, aux prises avec l'atrocité de la dictature stalinienne, persécuté dans sa propre vie, muselé professionnellement et intellectuellement a essayé, via ce roman, de faire passer en fraude un s.o.s., à glisser un message dans une bouteille... Car comment critiquer ce régime de barbarie et de dénonciation sans tomber sous le joug des autorités ?

C'est le tour de force qu'a réalisé Mikhaïl Boulgakov en imaginant une histoire fantastique, pleine de diables loufoques et de suppôts de Satan risibles mais où, à chaque coin de page, on lit en transparence une critique du système qui sévissait à l'époque.

Alternant des situations quasi burlesques, des scènes de simili science-fiction kafkaïennes, des tableaux tragico-fantastiques, des moments pseudo-mystiques et de nombreux appels du pieds à la tradition démoniaque judéo-chrétienne, Boulgakov parvient à s'évader du réel pour embarquer le lecteur dans son univers à la fois déprimant et gorgé d'espoir (quand le présent est désespérant, l'imaginaire et l'espoir surnaturel sont le seul refuge de l'écrivain persécuté).

Vous aurez compris qu'il est difficile de lire ce roman sans rien connaître des éléments biographiques de l'auteur et des conditions de sa gestation et pourtant, pourtant, si l'on choisit de se laisser bercer par les seules forces de l'imaginaire, il y a moyen de trouver également beaucoup de plaisir à sa lecture sans forcément s'encombrer de trop de sens politique ou autobiographique.

L'ouvrage est d'une construction assez bizarre mais fort maîtrisée où rien n'est laissé au hasard et où les destins des différents protagonistes se croisent et s'enchevêtrent pour former une trame insolite où les méchants ne font pas peur et les gentils ne sont pas si gentils que cela. On y rencontre, dans une sorte de mascarade vénitienne, une foule de personnages dont fatalement, le maître, mais aussi un chat, un géant, des êtres avec ou sans tête, Ponce Pilate, — le Diable en personne — et, bien entendu, une certaine Marguerite...

Mais je m'en voudrais de vous en dire beaucoup plus. Laissez-vous embarqué dans ce " pays des merveilles " pour adulte et un tantinet cauchemardesque. Évidemment, comme tout écrit très typé, il ne peut pas plaire à tout le monde. Certains le trouveront génial, d'autres s'y ennuieront et certains encore trouveront que cela n'a ni queue ni tête. Personnellement, j'ai bien aimé sans toutefois adorer, mais, bien entendu, ce n'est là que mon petit diable d'avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

N. B. : Gros bémol concernant l'édition Pocket, que je qualifierais d'assez mauvaise pour trois raisons : 1°) nombreuses coquilles, 2°) notes souvent utiles mais qui dévoilent des pans à venir de l'histoire (notamment au début) en les déflorant fatalement un peu au moment où on les rencontre dans la lecture, 3°) reliure de très mauvaise qualité où les pages prennent rapidement la poudre d'escampette. Donc, si vous avez l'occasion, essayez une autre édition.
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Titre original : Мастер и Маргарита
Traduction : Claude Ligny

"Le Maître et Marguerite", que Mikhaïl Boulgakov commença à rédiger en 1928, sous le titre de "Le Sabot de l'Ingénieur", ne devait être publié pour la première fois qu'en 1966. Pourtant, cette oeuvre, achevée le 13 février 1940, un peu plus de trois semaines avant le décès de son auteur, est assurément l'un des "romans-phares" de la littérature russe du XXème siècle et c'est elle qui contient, entre autres phrases inoubliables, le fameux "Les manuscrits ne brûlent pas !" que l'on peut considérer comme un symbole de la victoire de la liberté de penser face à l'acharnement totalitaire.

Résumer l'intrigue de ce roman onirique et fiévreux, cynique autant que merveilleux, est chose trop réductrice pour que je m'y essaie. Disons essentiellement qu'il fait alterner deux actions, l'une moderne et qui se déroule dans le Moscou de l'ère stalinienne, l'autre "antique" et ayant pour cadre la Judée pré-chrétienne qu'Hadrien n'a pas encore rebaptisée Palestine.

La deuxième intrigue est la vision gnostique de la rencontre de Jésus de Nazareth, appelé Yeshoua Ha-Nozri par Boulgakov, avec Ponce Pilate, procurateur romain de la région, et aussi de son supplice - Boulgakov délaisse la crucifixion traditionnelle pour le pilori - sur le Mont Chauve - ou Mont du Crâne-Golgotha. Yeshoua y apparaît comme un illuminé mais au sens bouddhique du terme, un homme paisible et doux, capable de deceler la Bonté dans le coeur du plus cruel des centurions et suivi depuis le début de ses errances par un certain Matthieu Lévy qui, selon Yeshoua lui-même, déforme pour les recopier les propos qu'il tient[/b]. Juda de Kairoth et Caïphe, le Grand Prêtre du Sanhedrin, sont évidemment de la partie avec un Bar-rabbas qui ne fait que croiser bien fugitivement celui qui deviendra le Christ.

Comme Boulgakov aurait pu éviter d'accepter l'aide que lui fournit Staline pour survivre à l'interdiction de ses oeuvres au début des années 30 , Pilate aurait pu sauver Yeshoua. Mais si l'un n'eut pas le courage d'affronter le goulag ou le procès après tortures si chers au successeur de Lénine, le second, dans un instant de faiblesse, préféra préserver sa carrière en laissant supprimer la vie d'un innocent.

Pour Boulgakov, le prix à payer sera une existence désormais hantée par la conscience de sa veulerie et l'avortement systématique de tous ses essais de publication. En silence cependant, en cachette aussi, inlassablement, il reprend et remanie ce qu'il nomme son "manuscrit sur le Diable" - on ne comptera pas moins de cinq remaniements en douze ans. Tourmenté par ses angoisses, et aussi par un corps qui, peu à peu, l'abandonne, l'écrivain gribouille dès 1931, au bas d'un extrait que vous pourrez lire dans l'édition POCKET du "Maître et Marguerite", ces mots qui émeuvent encore singulièrement le lecteur par delà les années : "Seigneur, aide-moi à terminer mon roman."

Pour le Pilate qu'il recrée, Boulgakov façonne un châtiment qui perdure au-dela les siècles, une espèce de Purgatoire hors du temps où le puissant fonctionnaire romain, "qu'il fasse sombre ou que luise la lune", ne peut connaître la paix bien qu'il soit mort depuis près de deux mille ans. Invariablement, Pilate rêve qu'il annonce au peuple juif sa décision de laisser la vie sauve à Yeshoua. Invariablement, il se réveille et se rend compte que Yeshoua est mort et que lui, Pilate, n'a pas reçu son pardon.

Et, inlassablement, ce fantôme pose et repose cette question qui dut bien souvent torturer Boulgakov :"La Lâcheté n'est-elle pas le plus grand crime qui soit ?"

A la fin du roman, bien sûr, Pilate sera enfin libéré et, dans une très belle image onirique, rejoindra Yeshoua sur un rayon de lune et s'en ira avec lui vers l'Eternité.

Entretemps, l'intrigue moderne aura laissé le champ libre à un Satan là encore plus proche de l'interprétation gnostique que de l'interprétation traditionnelle, et à qui Boulgakov a donné le nom de Woland.

L'accompagnent et le servent trois démons familiers, l'inénarrable Koroviev, Azazello le courtaud aux vilains crocs jaunes qui nasille sur tous les tons, et le non moins extraordinaire Béhémoth, lequel se présente sous l'aspect d'un énorme chat noir capable de s'habiller comme un homme et de jouer aux échecs.

Les trois compères s'en donnent à coeur joie dans un Moscou diurne et surtout nocturne, règlent au passage les comptes de l'écrivain Boulgakov avec les critiques stalinistes, causent mille et un accidents, acculent plusieurs malheureux à l'asile psychiatrique, décapitent un homme, en poignardent un autre, tranchent, taillent, tourbillonnent ... démontent en un mot l'implacable machine totalitaire avec une vigueur en effet démoniaque et ce sens de l'humour propre à l'âme slave.

Au coeur du cyclone diabolique, le Maître, écrivain enfermé parmi les fous après la dénonciation d'un voisin désireux d'accaparer son appartement (les appartements, la convoitise qu'ils inspirent aux pauvres Moscovites obligés de se contenter des "maisons communautaires", les déboires que Boulgakov lui-même connut avec le sien occupent dans le livre une place bien révélatrice du mode de vie imposé à la majorité par le régime bolchevique) et son hégérie, Marguerite, qui quitte tout pour le rejoindre et le suivre au-delà la Mort. Un couple d'amoureux, par conséquent, où la femme prédomine - elle prend l'initiative de suivre les directives de Woland et d'assister au Grand Bal donné par Satan - mais où c'est elle également qui se montre la plus accessible à la pitié.

Ce livre fascinant, qui n'est pas sans rappeler parfois les meilleurs moments du nonsense d'un Lewis Carroll et qui mêle avec génie le fantastique, la poésie, la religion, l'histoire et la philosophie, est irracontable. Il faut donc le lire et ne pas hésiter à le placer bien haut dans votre Panthéon livresque car, né de la souffrance et de la révolte d'un homme qui désespérait d'écrire, il nous prouve avec panache que, quelque sombres que puissent être les tourmentes de l'Histoire, le Génie survit toujours à leurs ténèbres.

Lisez Boulgakov ! Jamais vous ne regretterez d'avoir fait sa connaissance ... ;o)
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"Mais cette nuit est une nuit de règlement de compte."
(p. 507)

On peut le dire comme ça...
Il est très tard quand je referme enfin "Le maître et Marguerite" de Boulgakov. La fenêtre est ouverte, et quelque part au fond du jardin un hibou hulule d'une voix plaintive qu'il était un mauvais poète, et qu'il n'écrira plus jamais de la poésie. Et même si la lune n'est pas pleine, le cercle brumeux qui l'entoure crée une sorte de magie étrange...
Je ne serais pas surprise de voir y passer une sorcière sur un balai. Ou sur un cochon, si vous préférez.

Et mon souvenir va à mes potes russophiles de la fac, qui m'ont tellement assommée avec ce livre que j'avais des sueurs froides rien qu'à l'idée d'y jeter un coup d'oeil : d'abord je vais buter sur les niveaux narratifs qui superposent le Moscou des années 30 avec une histoire biblique, après je vais rencontrer des personnages au noms aussi fous que Woland, Azazello et Yeshoua Ha-Nozri; Ponce Pilate et le gros chat noir avec un samovar vont arriver dans la foulée, et à la fin je ne comprendrai rien du tout ! Qui peut trouver ça génial ? Les pensionnaires dans le sanatorium du Dr. Stravinski pendant ce sacré printemps moscovite ?
Ce n'est donc qu'après de longues années que j'ai décidé d'ouvrir prudemment cet ouvrage douteux.

Ha ! La rencontre avec Woland près de l'Etang du Patriarche m'a fait l'effet d'un seau d'eau glacée dans la figure, et je me suis enfin réveillée. Il est tout aussi possible que c'était le contraire et que je me suis laissée envoûter, mais avec Woland, on ne sait jamais... Il n'est pas étonnant que le livre a inspiré Mick Jagger pour écrire "Sympathy for the Devil". Mais c'est loin d'être la seule chose qu'il a inspiré, et réciproquement, les sources dans lesquelles puise Boulgakov sont innombrables. Rien n'est laissé au hasard, et le moindre nom, le moindre endroit fait une référence politique ou culturelle. Boulgakov s'amuse, montre, dénonce. La lecture est fluide, mais elle est loin d'être facile.

Peut-on définir objectivement le Bien et le Mal ?
Woland n'est pas un représentant du "mal" dans le sens biblique du terme, mais plutôt en élément qui dévoile la véritable nature humaine. D'où l'enchaînement d'épisodes burlesques lors de son passage à Moscou : il est comme une tornade qui sème la pagaille dans la bureaucratie communiste bien rodée. Les agissements de sa petite bande sont, certes, "diaboliques", mais ils ne font que pointer le doigt sur le rationalisme imposé par l'époque, et sur cette large âme russe qui reste pleine de mysticisme, fatalisme, et la foi naturelle en quelque chose qui dépasse les frontières du monde physique.
"Est-ce que la lâcheté est le pire défaut de l'humanité ?" se demande Ponce Pilate en condamnant malgré lui le prophète Ha-Nozri. Cette histoire contenue dans le livre du Maître est, paradoxalement, la plus réaliste de toutes, et elle a aussi une grande importance pour le dénouement de l'ensemble.
Le Maître est anéanti après le refus de son manuscrit, et c'est l'amour de Marguerite, qui n'hésite pas à faire n'importe quoi, même de signer un pacte avec le Diable et servir d'hôtesse à son bal, qui va le sauver.
Même Woland doit s'incliner - la dichotomie classique entre le Bien et le Mal disparaît, pour laisser la place à quelque chose en dehors de ces notions - l'Amour pur. Mais Woland est le Diable. Est-ce vraiment son rôle de veiller à ce que tout se finisse bien ? La réalité dans "Le Maître et Marguerite" est différente : Woland ne fait pas que "punir les méchants", il est aussi un exécuteur du Destin, et en quelque sorte, il est là pour maintenir l'équilibre sur la terre et récompenser ceux qui le méritent. Tous les niveaux du livre convergent vers cet état de grâce final.

Ce qui est étonnant, c'est que l'histoire fantastique de Boulgakov est écrite si posément que parfois je me demandais pourquoi, Diable, devrait-il me sembler bizarre que Marguerite s'élève dans les airs pour casser les fenêtres de l'appartement de l'homme qui est à l'origine des malheurs de son Maître. Elle prend tout simplement un marteau et... et alors ?! J'ai avalé l'histoire de la pommade magique, Pilate, Judas et Yeshoua sans hésiter, comme si Boulgakov avait été là pour consigner tout simplement sur papier ce qu'il a vu.

Il est très probable qu'il reste beaucoup de choses que je n'ai pas comprises, ou comprises de travers. La prochaine fois, je serai peut-être interpellée par quelque chose que je n'ai même pas remarqué, ou surprise que j'ai pu m'attarder sur des choses qui ne le valent pas vraiment. Qui sait ? Ca fait longtemps que je ne suis pas tombée sur un livre qui me laisse des impressions pareilles. C'est fou, ou c'est génial ? Ou les deux ? Est-il seulement possible que ce soit les deux ?

... j'ai presque fini de rêver, quand dans la nuit, au fond du jardin, un chat a affreusement hurlé.
Je me penche dehors, et d'une voix pas rassurée, je demande : "B..bb..Béhémoth ?
Et c'est la dernière goutte à la perfection du roman de Boulgakov.
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Editions Inculte - Traduction : André Markowicz / Françoise Morvan

La seule question qui vaille est :
À quel moment lirez-vous ce monument ? (si ce n'est pas déjà fait…)
(non, non, lâchez ce machin aux couleurs criardes et plongez vers votre destin… ou ne dîtes plus que vous aimez la littérature… mais la lecture…)

Mais alors : quelle traduction devrez-vous choisir ?
Cette dernière question se pose naturellement dès qu'il s'agit d'aborder l'une de ces pierres blanches que les éditeurs, à tort ou à raison, aiment à « dépoussiérer », surtout quand elles sont libres de droits ( * )… diluant dans la masse mercantile les exemples où une nouvelle traduction est en effet pertinente… Alors que des chefs-d'oeuvre comme « 1984 » ou « Abattoir 5 », parmi quelques autres, ont largement bénéficié d'une nouvelle mouture, leurs versions précédentes souffrant de certaines coquilles, on ne compte plus les exemples où elles ne font que semer la confusion.
Si Babelio n'était pas principalement un site à vocation commerciale ( ne leur jetons pas la pierre, leurs services seraient payant sinon…) il aurait tout intérêt à héberger des comparatifs entre versions ; c'est d'ailleurs à cette occasion — ne sachant quelle traduction choisir du classique de Laurence Sterne, « Tristram Shandy » — que j'ai adhéré : la critique que l'auteur Stéphane Malandrin en a faite ( tristement reléguée en seconde page, mécanisme des « like / copinage » oblige ) s'attache à mettre en parallèle quatre versions, concluant par l'exemple que celle de Léon de Wailly (1842) demeure la plus fidèle à l'original… disponible gratuitement, elle devrait envoyer à la poubelle toutes ses descendantes tarifées…

( * ) ( ce qui n'était pas le cas avec ce livre, ce qui a achevé de dévoiler le jeu d'Actes Sud, clamant à tout vent son intention de « dépoussiérer » la grande littérature russe, avec ces nombreuses nouvelles traductions d'André Markowicz : Dostoïevski, Gogol, Isaac Babel, Tchekhov… surtout quand ça ne leur coûte pas un rond en ayants-droits…
Le traducteur ayant été obligé de s'adresser à un « petit » éditeur pour cette publication non libre de droits… les risques financiers semblant dérisoires pour un tel livre, achevant l'incompréhension face à cette opportuniste, ventrue, et politiquement douteuse maison arlésienne… ) ( / * )

Tout ceci pour en arriver à notre chef-d'oeuvre, dont cette deuxième relecture m'a permis de passer d'une version à l'autre afin d'essayer de vous y faire voir un peu plus clair, vous chanceux qui n'avaient pas encore arpenté ce déchainement de superlatifs fait livre.
La traduction originale par Claude Ligny a été reprise de nombreuses fois ; version de référence, ici au « Livre de Poche - Biblio », du temps de leurs couvertures beiges-grises au graphisme inspiré, âge d'or esthétique de cette collection.
Trêve de bavardages, c'est cette version qui semble la plus indiquée pour apprécier ce mégalithe ; vous la trouverez également chez Robert Laffont ( avec un gros chat angora couronné… pas du meilleur effet ), ou bien encore, pour les masochistes, chez Pocket, et leurs habituelles maquettes et illustrations neurasthéniques ( et selon Nastasia-B, jamais avare d'euphémismes : « assez mauvaise » ).
Toutes ré-imprimées des millions de fois, toujours avec succès.

Car, avec cette traduction du stakhanoviste babélien Markowicz, on a surtout droit à une version faite pour ceux qui ont déjà lu ce roman, au moins deux fois !
En cause : les notes de bas de page ; nombreuses, souvent pertinentes, surtout pour saisir au plus juste la multitude de références à la littérature classique, de Pouchkine à Schiller, de Goethe à Shakespeare, mais beaucoup trop envahissantes pour une première lecture exaltée…
Pis, certaines bafouent carrément le rythme du texte, telle cette toute fin du premier chapitre qui, sous prétexte d'une petite précision se vautrant dans la pédanterie, anticipe en détruisant la transition menant le texte vers l'époque de Ponce Pilate, tout cela pour disserter sur la couleur de sa toge…

Concernant la langue en elle-même, adressez-vous à un russophone… bien que la comparaison entre de nombreux passages plaide pour celle de Ligny… l'autre est peut-être plus fidèle… reste qu'aucun élément d'importance ne marque leur différence ( contrairement à « 1984 » ou bien « Abattoir 5 », justement… ).

Entretemps, Mikhaïl Boulgakov est entré au Panthéon-Gallimard avec la parution de son oeuvre en deux volumes Pléiade, donnant lieu à une autre nouvelle traduction par Françoise Flamant, alors que la collection de Robert Laffont « Bouquins », également du type « oeuvre complète d'importance », s'était contenté d'une révision de l'originale.
Après avoir épluché pas mal de critiques ici et là, aucune trace de ces deux dernières versions ( il nous manque un Malandrin sur ce coup… ), le doute plaidant donc pour la première, de préférence en version non-annotée pour profiter au mieux de toute cette magie…
( en fin de critique, lien vers la couverture de la version à privilégier )

Voilà, contrairement au « 1984 » de Célia Izoard aux éditions Agone — dont on ne cessera de répéter, n'ayant jamais le niveau de décibel d'une grande maison d'édition, l'objective supériorité sur toutes les autres, faisant de cette récente sortie un réel événement — cet Inculte est à réserver aux amoureux de Marguerite et de gros chats farceurs… joli objet, évident cadeau… ne vous étonnez pas si l'on vient vous appeler « Maitre » par la suite…
( encore mieux si c'est « Marguerite », seule à même de donner de vraies leçons de vol sur balai… pas comme Mona, Isabelle ou autre Sandrine…)
Lien : https://www.babelio.com/couv..
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Voila mon second voyage avec la littérature russe, mon compagnon de route est Mikhaïl Boulgakov.
"Le petit père des peuples" alias Staline gouverne d'une poigne de fer sur l'union soviétique, quand on est écrivain à cette époque il vaut mieux surveiller son langage et ces écrits. Boulgakov le sait il fera même partie de ces écrivains censurés. Voila pour la petite histoire.
" le maître et Marguerite" est un roman qui résume assez bien la folie des années trente; un savoureux mélange d'allégories à la façon de Murakami avec la folie douce de Brautigan.
Tout commence dans un parc de Moscou, Mikhaïl Berlioz est rédacteur en chef d'une revue littéraire et Ivan Ponyriev est poète.
Le premier demande au second de revoir son travail; le thème: l'existence
réelle ou imaginaire de Jésus Christ. Un troisième personnage prend part à la conversation, un certain Woland.
Il va résulter de cette rencontre un immense capharnaüm dans Moscou.
Des billets de 10 roubles vont tomber du ciel, des évènements étranges au n°302 rue Sadovaïa appartement 50. J'allais oublier un certain Ponce Pilate.
Enfin je vous invite grand au bal que donne Satan avec la belle Marguerite comme maitresse de maison.
Ce billet peut vous paraitre confus, ce sont peut-être les effets secondaires de la lecture.
Si jamais vous rencontrez un gros chat tenant un verre de Cognac passez votre chemin car Woland et ses suppôts ne sont pas loin.
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S'il existe des livres qui donnent l'impression de ressembler à beaucoup d'autres, il en existe aussi, plus rares, qui donnent celle de ne ressembler à aucun autre. de ce fait en découle naturellement un autre : les premiers ne laisseront guère de traces dans notre mémoire quand les seconds la marqueront durablement. Vous l'aurez compris, "Le Maître et Marguerite", le grande roman de Boulgakov, fait partie de ces derniers.

Depuis des années, ce grand classique du XXème siècle me faisait de l'oeil sur l'étagère et le chat noir de la couverture m'intriguait. Désormais, je connais bien ce chat et je comprend pourquoi ce roman a toute sa place parmi les grands classiques de la littérature. Assez inclassable, le récit oscille entre fiction et satire, oeuvre fantastique et roman social ; très vite le lecteur comprend qu'il doit lire entre les lignes pour une meilleure compréhension et appréciation de l'oeuvre.

Avant toute chose, je conseille au lecteur de prendre connaissance du contexte politique et social qui fut celui de son auteur, un écrivain courageux et rebelle, chez qui on perçoit une invincible volonté de témoigner de son temps, le soviétisme.

Je ne dirai rien de la trame du roman ; d'abord cela me semble impossible, ensuite sans intérêt. Découvrir Boulgakov et son chef-d'oeuvre, c'est s'y plonger et le vivre, il fait partie de ces expériences qui ne s'expliquent pas mais se ressentent. La marque du grand art.

Pour ma part, j'ai été fascinée par ce livre et par la construction narrative faussement éparpillée et véritablement maîtrisée. Tous les personnages sont les maillons d'une chaîne qui se constitue au fil des pages, par un effet "écroulement de dominos" où chaque nouveau protagoniste chasse le précédent mais pour l'inscrire dans un tout cohérent. Une grande originalité ressort de l'écriture, ainsi qu'une forme de cynisme non dénué d'humour, même si le rire est jaune.

Une belle découverte sur une période que je connais moins bien que le XIXème siècle russe et qui lève un autre coin du voile couvrant l'immense et douloureux patrimoine de ce peuple.


Challenge XXème siècle
Challenge 2014-1968 2017
Challenge Petit Bac 2016 - 2017
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Un livre fascinant. Il se lit très agréablement, ce qui ne l'empêche pas d'être complexe et d'inciter à la réflexion. Après l'avoir terminé, j'ai été à plusieurs reprises amené à le rouvrir pour approfondir certains passages. Sa cohérence globale et ses messages sous-jacents sont en effet peu perceptibles à première lecture. Bien que reliés par des enchaînements de pure forme, les chapitres sont imbriqués sans logique apparente, tels « des éclats de soleil brisé », pour reprendre une image évoquée plusieurs fois par l'auteur.

Je vais donc essayer de mettre de l'ordre dans ce qui pourrait sembler ne pas en avoir, en répondant à la question de base « de quoi le roman le Maître et Marguerite est-il l'histoire ? ».

A Moscou, vers 1930, un écrivain avait travaillé à un roman sur Ponce Pilate et ses rapports vécus ou rêvés, à Jérusalem, avec un vagabond philosophe du nom de Joshua. le sujet avait fortement déplu aux autorités soviétiques, car il allait à l'encontre d'un dogme matérialiste niant l'existence de Jésus. L'écrivain s'était retrouvé au ban de la société. Laissant son livre inachevé, il avait disparu et échoué anonymement dans une clinique psychiatrique, abandonnant Marguerite, l'amour de sa vie, pour ne pas l'entraîner dans sa chute. Désespérée, Marguerite rêve de retrouver celui qu'elle appelle le Maître. le Diable décide de lui venir en aide en contrepartie d'un service. Il débarque alors à Moscou sous l'apparence d'un professeur de magie noire, Woland, assisté de trois démons hauts en couleur. Ils vont se faire un malin plaisir à semer désordre et panique dans les milieux culturels de Moscou.

Les victimes de Woland, de ses assistants et de leur arsenal de sorcellerie fabuleuse sont des citoyens soi-disant exemplaires de l'Union soviétique, des bureaucrates à la mentalité étroite, des apparatchiks de la culture officielle. Les scènes sont proprement délirantes et leur cocasserie est irrésistible. On rit comme un enfant au théâtre de marionnettes, lorsque Guignol bastonne le gendarme. Mais derrière la magie burlesque des disparitions soudaines et des réapparitions en clinique psychiatrique, pointe une évocation du quotidien moscovite de purge politique.

L'auteur, Mikhaïl Boulgakov, reprend le mythe de Faust qui, chez Goethe, avait vendu son âme au Diable pour réussir sa vie. Là, c'est Marguerite qui s'y colle. Elle accepte de jouer le rôle de Reine du Bal de la Pleine Lune, au bras de Satan, dans l'espoir d'obtenir la réhabilitation du Maître et la reprise de leur liaison amoureuse. Débrouillarde, cette Marguerite ! En tout cas, plus que Boulgakov lui-même. Malgré son statut d'intellectuel dissident, il n'avait pas rechigné à quelques compromissions avec le diabolique Staline… sans jamais rien obtenir en échange dans son parcours d'écrivain. le Maitre et Marguerite ne sera publié que dans les années soixante, vingt-cinq ans après sa mort.

Vendre son âme au Diable est une félonie. Mais céder son âme au Diable sans contrepartie est une félonie doublée d'une lâcheté. Dans le roman inachevé du Maître, c'est ce dont s'accuse Ponce Pilate qui, bien que convaincu de l'innocence de Jésus, l'avait laissé supplicier dans le seul but de ne pas compromettre sa carrière. L'Histoire n'a pourtant retenu que son acte de lâcheté. Dans l'univers fantasmagorique de Boulgakov, Pilate aura ruminé cette lâcheté pendant vingt siècles, avant que le Maître ne l'absolve en achevant son roman. Façon pour ce dernier – et pour Boulgakov lui-même – de profiter par procuration de cette absolution.

Où est le bien, où est le mal ? En exergue, Boulgakov reprend une phrase prononcée par Méphistophélès, dans le Faust de Goethe : « Je suis une partie de cette force qui, éternellement, veut le mal, et qui, éternellement, accomplit le bien ». Woland / Satan est-il, comme Staline, un autocrate tout-puissant qui impose sa volonté maléfique dans un univers centré sur sa personne ? Ou est-il au contraire l'elfe facétieux qui vient défier l'ordre établi perverti, en mettant les rieurs de son côté ?

Ce roman, à la fois joyeux et désespéré, paraissant déjanté et pourtant méticuleusement construit, est le chef d'oeuvre d'un écrivain maudit qui lui consacra dix ans de sa vie, avant de mourir en 1940 à l'âge de quarante-neuf ans.

Sa prose légère et poétique – remarquablement traduite – m'a entraîné mine de rien dans son univers onirique, enfer ou paradis, illuminé de lune pour l'éternité. Un univers que j'ai quitté avec regret une fois le livre achevé. Je me console en conservant le Maître et Marguerite à portée de main, persuadé qu'une relecture prochaine sera l'occasion de nouveaux émerveillements.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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J'ai failli "zapper" la critique car il n'est pas aisé d'écrire sur une telle oeuvre. cependant je m'y risque et vous livre mes réflexions.

Pas d'unité de temps pour ce roman qui se déroule à Moscou mais aussi en Judée sous Ponce Pilate par le biais d'un écrit du Maître.
Dans ce récit Boulgakov nous entraine dans une ambiance surréaliste, loufoque et diablement rocambolesque, la lecture est facile, vivante, fluide, le ton est enjoué, plaisantin et farceur. Boulgakov nous bouscule et sait nous accrocher, nous intéresser dans ce fatras farfelu, il nous divertit avec son humour décalé, mais pas seulement, Boulgakov nous happe dans sa diabolique aventure, on est fascinée et éblouit, car, dans ces récits déjantés, il fait passer mille messages, religieux, politiques littéraires… L'action se passe à Moscou sous les terribles années Staliniennes, c'est sans nulle doute une satire de la toute puissance de l'état despotique et tyrannique qu'il dénonce. Il dénonce aussi, les bassesses, les mesquineries, la lâcheté, la cupidité par le truchement de scènes extravagantes mais toujours cohérentes. Ce récit fantaisiste, tous ces « amusements sadiques » cachent une cruelle réalité. Boulgakov éveille les consciences et assène des vérités : il hait lâcheté, la cupidité et les faux-semblants.
le personnage de Marguerite est étonnant, sa conduite crédule parfois naïve est dominée par son amour passion pour le Maître. le récit devient alors touchant et émouvant : l'amante veut sauver l'écrivain et son oeuvre ! Etonnant « ce diable » qui nous assène cette belle phrase : « Les manuscrits ne brulent pas » ! Dans ce récit rocambolesque Dieu et Satan se croisent et interagissent, seraient-ils si proches ?
Au final le feu de l'enfer se déchaine, c'est la rage de l'impuissance qui entraine Boulgakov à une destruction « de tout ce qui doit l'être », la maison du critique, la maison de l'écrivain, et par l'orage toute la ville de Moscou, les palais, les ponts… si jamais une telle ville a existé !
Cependant Marguerite et le Maître seront sauvés par Yeshoua qui envoie Matthieu Levi en messager vers Woland « l'esprit du mal, le seigneur des ombres ». La scène est ici magnifique, Levi demande à Woland de prendre le Maître et Marguerite avec lui et de leur accorder le repos car ils n'ont pas mérité la lumière ? Marguerite et le Maître sont réunis et bien sûr, dit le Maître « quand des gens, comme toi et moi, sont dépouillés de tout, quand on leur a tout pris, ils cherchent leur salut auprès des forces de l'au-delà ! » Ainsi donc le bien triomphe du mal ou alors peut-on sauver avec les forces du mal ?
Dans ce fou récit Boulgakov nous fait souvent festoyer, au menu, esturgeon, caviar, saumon, les plats défilent succulents ! Nous buvons du vin de l'ancienne Rome, le « Cécube » et le « falerne », nous sirotons du Cognac qui « fait bourdonner les oreilles ». Des choeurs chantent, des voix alto, baryton, graves, aigus scandent ce récit hallucinant. On est entrainé dans une lecture criblée de références littéraires et musicales (les notes aident) le tout est assez gouleyant !
Un autre élément, la lune a une présence obsédante, élément de poésie ainsi « Les rennes de rayon de lune tressés en chaînes » elle participe aussi à la beauté des paysages, au décor de mise en scène qu'elle révèle et met en valeur. Pleine, la lune devient inquiétante, elle orchestre le bal de Satan, où rodent des fantômes coupables. Mais aussi elle est ce chemin qui mène à Ha-Nozri, ce symbole du passage des ténèbres à la lumière. Ce chemin que Ponce Pilate emprunte libéré par le Maître qui lui crie : « Tu es libre ! Libre ! Il t'attend ! »
N'en doutons pas, cette oeuvre est un monument, non seulement par le temps qu'il a fallu à Boulgakov pour l'écrire mais aussi par le foisonnement d'images, de symboles, de références d'interrogations qu'elle nous livre et l'effervescence intellectuelle qu'elle fait jaillir en nous.




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"Cet engouement débauché pour la force maligne, cette parenté avec Gogol par tant de traits et de parti pris du talent : ça venait d'où ? Ça s'expliquait comment ? Et quel étonnant traitement du récit évangélique avec cet abaissement du Christ, les yeux de Satan ! A quelle fin ? Comment le comprendre ?"
Alexandre Soljénitsyne

Cet engouement débauché pour le diable, cette parenté avec Gogol et aussi avec Molière que Boulgakov admirait passionnément et auquel il consacra un roman autobiographique, ça vient d'où, en effet ? de son goût immodéré pour le comique? Lui-même sorte de réflexe d'auto-défense face à l'absurdité totale dans laquelle plongea son existence à compter de 1917, date à laquelle sa ville natale, Kiev, devint le théâtre de sanglants combats pour finalement tomber, trois ans plus tard, entre les mains des soviétiques? Obligeant Boulgakov, non seulement à quitter Kiev, mais à tourner définitivement le dos à la médecine ainsi qu'à un passé hautement suspicieux de « blanc »? le fait est qu'il s'installa à Moscou où il devint journaliste satirique, puis dramaturge, tout en se mettant à écrire des nouvelles qui, très vite, lui valurent une pluie d'injures de la part des critiques inféodés au régime, maille à partir avec la censure et bien entendu, de graves ennuis avec les autorités.

Quand, exactement, prit forme dans l'esprit de Boulgakov l'idée d'un « roman sur le diable »? Nul ne le sait vraiment. Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'il commença à l'écrire à la toute fin des années vingt, et qu'au terme de dix années d'écriture et de remaniements, considérablement affaibli, malade et alité, il expira peu de temps après avoir écrit le mot Fin. Il avait quarante-huit ans. Ce qu'on sait également, c'est qu'à l'instar de tous les grands artistes de son temps et de tous les libre-penseurs, il fut harcelé, vilipendé, maltraité, espionné, menacé, empêché de travailler et d'écrire, et nul doute que dans un tel monde, les forces conjuguées de l'esprit malin et du rire lui furent d'une grande aide.

Son chef-d'oeuvre le Maître et Marguerite est au moins aussi fou que le régime, démoniaque et pervers, sous lequel Boulgakov eut la malchance de vivre, mais c'est une folie hautement cocasse et divertissante, et c'est là ce qui la différencie profondément du cauchemar bureaucratique au milieu duquel se débattaient les citoyens de l'Union soviétique.

Qu'est-ce au juste que ce livre? Difficile à dire tant il foisonne d'intrigues toutes plus extravagantes les unes que les autres dissimulant plusieurs niveaux de lecture, tant il recèle de références innombrables à la littérature, à la musique, au théâtre et au mythe (l'Évangile de Matthieu, Faust, la reine Margot…). Un roman inclassable dans lequel toutes les formes de comique, du burlesque à l'autodérision, côtoient le tragique, dans lequel le fantastique le plus débridé prend toujours appui sur une observation précise et rigoureuse du réel. Un roman allègre, jubilatoire qui procure un indicible plaisir à son lecteur, et aussi un roman profondément bouleversant qui lui broie le coeur. Satire politique et roman d'amour fou, méditation sur la création et sur l'Histoire, mise en abyme avec le roman dans le roman écrit par le Maître mettant en scène le dernier jour du Christ vu par les yeux de Ponce Pilate, c'est un livre qui manifeste une liberté absolue de la part d'un homme pourtant contraint de toutes parts et cerné par la mort.
C'est, à mon avis, cette liberté explosive qui, en se communiquant au lecteur, fait de cette lecture un moment extraordinaire et mémorable. Extraordinaire pour moi en tout cas, qui plaçai ce roman au sommet de mon Panthéon personnel, en compagnie des Mandarins de Simone de Beauvoir et de Quatre soeurs de Tanizaki. J'avais alors une vingtaine d'années et quand je rencontrai quelques années plus tard celui avec lequel j'allais partager le reste de ma vie, ce fut le livre que je lui remis entre les mains. Lui, en échange, m'offrit Hyperion de Dan Simmons, et je crois pouvoir dire que notre amour avait toutes les chances de s'épanouir joyeusement avec de pareils personnages comme parrains : le diable d'un côté, le Gritch de l'autre. Bien entendu, je mentirais en vous disant que, vingt-cinq ans plus tard, je me souvenais du Maître et Marguerite. Des flashes m'étaient restés : la belle Marguerite entièrement nue survolant Moscou sur son balai brosse, la séance inénarrable de magie noire au Théâtre des Variétés, le bal de Satan, dont l'iconographie semble emprunter à la fois à la légende de Dracula et à la reine Margot… Mais par-dessus tout, ce qui m'était resté en mémoire, c'est cette liberté incroyable, exubérante, dont j'ai parlé plus haut, et qui m'a de nouveau frappée lors de ma relecture.

Liberté exubérante, donc. Rien de très étonnant au fond quand le personnage principal est le diable en personne, à peine déguisé sous les traits d'un étranger nommé Woland « professeur de magie noire », quand un tel personnage ne se déplace pas sans sa suite, un aréopage baroque et fantasque comprenant un ancien chef de choeur à carreaux portant lorgnon, un chat noir énorme « aussi gros qu'un pourceau », un individu « petit mais de carrure athlétique, aux cheveux rouges comme le feu, une taie sur un oeil, une canine saillante », enfin une servante perpétuellement nue répondant au doux nom d'Ella, provoquant toutes sortes de prodiges plus ou moins néfastes, bousculant la morne existence des moscovites et mettant la milice sur les dents.
Car « il suffit, comme on le sait, que la sorcellerie commence pour que plus rien ne l'arrête. »
Les prodiges de Woland/Satan et de sa suite, pour drôles et cocasses qu'ils soient, sont surchargés de sens. Cela dit, il n'est pas nécessaire d'en comprendre tous les sens cachés pour se régaler à la lecture d'un livre qui reste avant tout terriblement divertissant et incroyablement drôle.
Ces prodiges, donc, peuvent être vus comme l'instrument de vengeance poétique de l'auteur, puisqu'ils s'exercent en premier lieu sur ses persécuteurs dans la vraie vie, les critiques vouant aux gémonies ses écrits (ces « tâcherons de l'écriture » comme les désignait Proust), et autres apparatchiks de la culture vendus au régime. Mais ils peuvent être également perçus comme une parodie des agissements du pouvoir stalinien, les disparitions inexplicables se succédant à un train d'enfer dans le roman.
Et pour complexifier encore les choses, Boulgakov fait de Satan l'intercesseur suprême dans l'amour qui lie le Maître à Marguerite, un amour passionné directement inspiré de celui qu'il voua jusqu'à sa mort à sa troisième épouse Elena Sergueïevna.
Mais cela n'est pas encore suffisant, et c'est comme si l'auteur avait voulu soustraire Satan à toute tentative d'interprétation, inévitablement réductrice, en faisant de Lui le protecteur ultime du roman dans le roman qu'il ressuscite de ses cendres devant les yeux ébahis du Maître en prononçant ces paroles inoubliables : « les manuscrits ne brûlent pas. » du reste, il en fait plus qu'un protecteur du roman écrit par le Maître, il en fait le garant de l'histoire qu'il contient, sorte d'évangile apocryphe centré sur le personnage de Ponce Pilate et sur les tourments de celui-ci après qu'il a, par lâcheté, ordonné l'exécution du philosophe vagabond Yeshua Ha-Nozri. C'est donc le diable qui certifie que l'histoire du dernier jour du Christ telle qu'elle figure dans le manuscrit du Maître est bien conforme à la réalité historique, car lui y était.

À l'interrogation de Soljénitsyne citée en préambule (« Et quel étonnant traitement du récit évangélique avec cet abaissement du Christ, les yeux de Satan ! A quelle fin ? Comment le comprendre ? »), je risquerais une explication : en rapprochant le créateur, l'artiste, du Christ qu'il désacralise au passage, Boulgakov en fait à la fois le sauveur du monde et la victime de la lâcheté ordinaire des hommes. Car si Boulgakov croit jusqu'à son dernier souffle au pouvoir rédempteur de l'Art, il sait aussi que l'artiste, le véritable artiste, sera toujours persécuté, maltraité, assassiné. Et s'il a insufflé une énergie galvanisante dans son roman, celui-ci est également empreint d'une immense fatigue, d'une lassitude personnelle et historique qui font doucement pencher le livre du côté de la tragédie. le Christ en son dernier jour est décrit comme un personnage au bord de l'épuisement, qui, du reste, ne tente rien, même pas d'attraper la main que lui tend Pilate pour inverser le cours de son destin. Pilate lui-même, en proie à une migraine atroce, abruti par la chaleur écrasante et par l'impitoyable soleil de Judée, est tellement las qu'il doit prodiguer des efforts surhumains pour articuler une parole audible. Si la suite de Woland, en particulier les deux infatigables compères Koroviev (l'ancien chef de choeur) et Béhémoth (le chat) regorgent de trouvailles pour semer la panique dans Moscou, le diable, lui, exhale le plus souvent un air d'ennui tenace. Quant au Maître, il est, à l'instar de son créateur, au bout du rouleau : persécuté, épuisé, au bord de la folie, bien que passionnément épris de Marguerite qui tente absolument tout pour ranimer en lui la flamme, il n'aspire qu'à une chose : le repos.

« Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait ! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c'est sans regret, alors, qu'il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu'il s'abandonne d'un coeur léger entre les mains de la mort, sachant qu'elle — et elle seule — lui apportera la paix. »
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Avec sa tignasse flamboyante, sous sa très large casquette aux énormes carreaux, il était probablement le plus grand. Oleg Popov, surnommé le clown soleil, s'est éclipsé ce jeudi à 86 ans en cette nuit du 3 novembre,

Une fois le spectacle achevé
Finalement arrêté
Le tic-tac de son coeur
A Rostov-sur-le-Don
Et toi mon cher Raymond *
Tu ne chanteras plus le clown se meurt
Popov et son imaginaire
N'ont pas passé l'hiver
Ces clowns qui par leur poésie
Transmutaient la vie
En scintillante comédie

C'est quoi ce cirque ? Une 96ème critique ? Totalement absurde [96^^] !!! ;)

Viens, viens voir sous le manteau, le grand chapiteau qu'a monté Mikhaïl Boulgakov. Le spectacle est permanent, véritable piste aux étoiles. Cinq au moins. Difficile de tout suivre en même temps. Là de la magie, là de la bonimenterie, ici du tir de précision, et là des numéros aériens, des voltigeurs, au centre toute une ménagerie des tigres, des perroquets, des ... et bien sûr en Russie ...des ours ^^ ! Attention de ne pas perdre la tête !!! C'est si vite arrivé. Pouf ! le temps et l'espace prennent une autre dimension. Merveilleux. Magique. Fantasmagorique. [Une vraie jouissance^^] Et puis que de ripailles, que de festins dans cette société où l'on trouve de tout, [sauf des avocats par définition pour un vrai régime... totalitaire]

Boulgakov écrivit surtout du théâtre et de l'opéra, je l'ai bien ressenti dans ce roman. Claquements de porte, paires de claques, cours et jardins, rebondissements en tout genre, qui pro quos et ... en avant la musique dans la grande scène du bal. Mais sous le nez rouge, sous le maquillage, bref sous le manteau ah, ah, ah que se déroule t-il sous le tapis... rouge en Russie ???
Boulgakov c'est un imaginaire foisonnant qui pique dans la vie quotidienne des petits riens, des situations pour en faire apparaître par magie, tout le burlesque. Boulgakov, c'est un grand esprit : la preuve il a fait un séjour dans un hôpital psychiatrique ! Déclarons fou tout esprit bien plus grand que le nôtre.

Et d'abord ce titre sur lequel un bel esprit joueur attira mon attention. le Maître et Marguerite. [Evocation d'un univers de soumission et domination ? Est-ce dont cela qui ravi tant toutes ces coquines ? Chuuut, elles n'en parlent pas. Et pourtant il y a des passages d'une suggestion. Mon Dieu ! Oui mais justement, c'est peut-être ce dont on parle le plus qu'on pratique le moins et inversement ou vice-versa^^] Cependant comme tout bon belge à qui l'on lisait Tintin en donnant le sein ou le biberon, il n'y a pour moi qu'une Marguerite : celle que chante la Castafiore

Ah ! je ris me voir
si belle en ce miroir,
Ah! je ris de me voir
si belle en ce miroir,
Est-ce toi, Marguerite, est-ce toi?
Réponds-moi, réponds-moi,
Réponds, réponds, réponds vite!
Non! Non! ce n'est plus toi!
Non...non, ce n'est plus ton visage;

Faust^^ de Charles Gounod 3ème acte : l'air des bijoux (**)

Il n'est donc pas si étonnant que face à la sainte trinité de l'église catholique, Boulgakov invente, lui, en surenchère, le satanique quartet ! Et dans la foulée revisite entièrement la scène de la crucifixion pour donner une autre version basée sur le point de vue du procurateur Ponce Pilate. Est-ce absurde pour autant ? [Pas plus, à mon avis, que quand l'on me répond qu'on a entendu une trop grande queue pour aller voir Hergé au grand palais. Ce à quoi je rétorque : ça m'étonnerait tu vois pourtant bien que Tintin a un petit nez ! Et placer une citation "Natacha ! Vous n'avez pas honte ? Vous, une jeune fille instruite et intelligente... dans les queues, les gens inventent le diable sait quelles sottises, et vous allez le répéter !" p.308 Je voudrais tant m'étendre sur le sujet...^^]

J'aurais aimé souligner le fait pas anodin que Satan sauve le roman (dans le roman) que brûla son auteur sous les pressions de la censure. Il y a tant dans ce roman d'initiation et d'affranchissement ; mais comme il est écrit : "Moins on en raconte, mieux cela vaut !" p.150 Ce serait donc pure mauvaise langue que reprocher quelques longueurs. LOL

(*) Raymond Devos
(**) Voir ma citation si vous aviez encore un doute
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