Avertissement : si vous ne connaissez pas encore le
théâtre d'O'Neill, n'ouvrez surtout pas ce livre, car il est fort probable qu'il vous enlèverait toute envie de découvrir ce dramaturge novateur (d'après
Thierry Dubost), dont il semblerait que deux tiers des pièces (d'après Thiery Dubost) n'ont pas d'intérêt. du moins c'est l'impression qui m'est restée en tête depuis que j'ai refermé l'ouvrage dont je vais vous parler. Ca me rappelle bizarrement et furieusement l'intervention de
Dominique Jean sur
France Culture, qui avait dirigé la publication des oeuvres des Brontë en Pléiade et passait son temps à dire à
Matthieu Garrigou-Lagrange que, bon, les Brontë, hein, c'était pas si terrible que ça.
Alors, voyons cela de plus près. J'ai cherché en vain des ouvrages sur O'Neill en français, j'ai cherché à savoir pourquoi ses premières pièces n'avaient pas été traduites en français, et j'en étais réduite à quelques supputations qui sont aujourd'hui confirmées : O'Neill a renié ses premières pièces, et, surtout, il n'existait à ce jour aucun ouvrage en français, essai ou biographie, concernant O'Neill et publié par une maison d'édition française ou francophone. Même pas de traduction d'un ouvrage en anglais. Alors oui, il y avait bien un ou deux articles dans des revues plus ou moins confidentielles, mais allez les trouver ! Et allez savoir pourquoi certaines collections consacrées au
théâtre ou à la littérature américaine l'ont complètement ignoré (en même temps, O'Neill n'a rien fait pour être sympathique aux Français, on y reviendra).
Thierry Dubost avait donc déjà commis un essai sur O'Neill - en anglais. Poussé par des amis chercheurs, selon ses dires - que je n'ai aucune raison de mettre en doute -, il s'est donc attaqué à un ouvrage de vulgarisation pour le public français, qui, semble-t-il, boude O'Neill depuis toujours (on verra que lorsque ledit public français ne l'a pas boudé, il n'en a guère été récompensé). Ce qui paraît à première vue, et même en y regardant à deux fois, une excellente idée. Bon, le petit format choisi fait forcément craindre un survol trop superficiel du sujet. La collection Voix américaines de Belin a certes opté pour un petit format également, mais de 128 pages, donc l'équivalent en gros d'un Que sais-je ?, et pour autant que je m'en souvienne, les titres que j'ai pu lire dans cette collection étaient plutôt bons. Ici, on est sur une cinquantaine de pages, avec une espèce de bonus à la fin, et même avec un texte écrit en tout petits caractères, ça fait peu : nos craintes étaient malheureusement fondées.
La quatrième de couverture annonce que
Thierry Dubost va nous présenter le parcours de dramaturge d'O'Neill. Et c'est le cas, le parcours professionnel étant assorti du parcours biographique. On a donc une idée générale des errances d'O'Neill en tant qu'homme, ainsi que de son évolution en tant qu'auteur. Mais voilà : pour être franche, si vous recherchez une analyse même relativement succincte du
théâtre d'O'Neill - comme c'était mon cas -, vous ne trouverez pas votre bonheur ici. Manque de contexte : on n'a qu'une très vague idée de ce à quoi ressemble le
théâtre américain quand O'Neill débarque (on comprend vaguement que les vaudevilles occupent le devant de la scène). Absence d'étude des influences d'O'Neill, comme
Ibsen (dont il n'est pas question),
Strindberg et le
théâtre antique. Alors évidemment, on va repérer les influences du
théâtre antique ou de
Strindberg dans les résumés des pièces - pour
Strindberg, c'est on ne peut plus simple, il suffit que le sujet de la pièce soit misogyne ou parle d'un conflit au sein d'un couple... Mais ça, c'est le lecteur qui le devine, car
Thierry Dubost n'explore pas la thématique. Il est cependant légèrement plus disert en ce qui concerne la tragédie grecque... et encore. Et pas d'analyse sérieuse, en conséquence, du caractère novateur du
théâtre d'O'Neill. Mince.
Donc, tout ce qu'on va retirer de ce livre, en plus d'avoir appris qu'O'Neill a eu plein de femmes (mais pas plus que
Henry VIII, je pense) , des enfants dont il n'avait que faire et qu'il a beaucoup déménagé ici, et aussi ici, et aussi là, et encore là (je sais pas vous, mais moi je m'en fous, surtout que je sais même pas situer la plupart des endroits où il a vécu...) donc, tout ce qu'on retient, disais-je, c'est d'abord l'adéquation entre la vie d'O'Neill et son
théâtre, et ensuite que seules quelques pièces valent vraiment la peine : En route vers Cardiff, Empereur Jones, Désir sous les ormes, le Deuil sied à Electre, Long voyage vers la nuit. J'ai dû en oublier quelques-unes, mais ça fait quand même pas des masses... Surtout sur une cinquantaine de pièces ! Et sans compter que lorsqu'il est question des "meilleures" oeuvres, leur présentation par
Thierry Dubost ne fait pas plus envie que ça. Pièce expressionniste, pièce complexe, pièce expérimentale : voilà qui reste très vague et, du coup, fait plus peur qu'autre chose - mais bon, c'est peut-être dû à un traumatisme de jeunesse qui n'affecte que moi ; j'ai eu ma dose de mises en scène "expérimentales" et/ou nulles (j'ai déjà dû vous en parler, j'ai bossé dans un festival où j'ai vu certains trucs prétentieux, ennuyeux et inintéressants au possible).
Arrivons-en aux deux dernières choses qui m'ont fâchée : pas de bibliographie du
théâtre d'ONeill (une chronologie de ses pièces n'aurait pourtant pas été de trop!) et vingt pages, oui, vous avez bien lu, VINGT pages consacrées à la correspondance d'O'Neill datant des trois années pendant lesquelles il a vécu en France. Des extraits de lettres qui parlent des maisons qu'il loue (oui, oui, encore, c'est à se demander si l'auteur n'a pas été sponsorisé par une agence immobilière), et de son immense mépris pour le
théâtre français. Les Pittoëf veulent monter ses pièces ? Quelle blague !!! Bon, on avait de toute façon compris qu'O'Neill n'était pas un type sympa (ce qui ne me pose pas de problème pour lire son oeuvre), et qu'il n'ait appris que trois ou quatre mots de français en trois ans ne saurait nous étonner. Bref, vingt pages (je ne m'en remets pas) pour dire pas grand-chose, qui auraient pu être résumées en quelques lignes, et qui par conséquent bouffent de l'espace pour rien. le seul intérêt, mais absolument pas exploité par
Thierry Dubost, c'est qu'on a peut-être là une clé pour comprendre pourquoi O'Neill est peu prisé en France : il a tout fait pour ça !
Donc voilà : 16 euros pour 50 pages d'un texte en format poche qui survole un sujet pourtant passionnant, et qui de plus n'est pas très bien écrit. C'est pas la première fois que je tombe sur un universitaire qui s'exprime assez mal (on a tout de même quelques phrases grammaticalement incorrectes), et ça, ça me gonfle carrément.
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