Quand on évoque le mot "
Regain", deux noms arrivent simultanément sur les lèvres :
Jean Giono, l'auteur du roman en 1930, et
Marcel Pagnol, l'auteur du film qui en est l'adaptation, en 1937. Ces deux oeuvres - ces deux chefs-d'oeuvre - peuvent être lues, étudiées, analysées et appréciées chacune séparément, mais les associer apporte un plus à la compréhension à la fois des oeuvres et des auteurs.
Mais d'abord le sujet tel que
Giono nous l'a raconté.
Aubignane est un village des Basses-Alpes (aujourd'hui Alpes de Haute-
Provence). Il n'y a plus que trois personnes dans ce patelin perdu : Gaubert, un vieux forgeron qui va s'en aller vivre chez son fils, Panturle, un solide paysan, et la vieille Mamèche. Un jour, la vieille disparaît en disant à Panturle, "je vais te ramener une femme". Un soir Gédémus, un rémouleur, accompagné d'Arsule, une femme qu'il maltraite plus ou moins, s'arrête au village. Arsule ne repart pas et reste avec Panturle. Ils vivent heureux, et à eux deux font revivre le village. Quand Gédémus revient, Panturle lui donne de l'argent et le rémouleur part définitivement. Et voilà que d'autres gens viennent s'installer...
Le roman de
Giono est âpre et réaliste, avec parfois de belles envolées lyriques. La
Provence constitue le décor - magnifique - de cette histoire, tout comme le contour et le nom des personnages. Mais, pour le reste, le thème, le déroulement de l'intrigue et l'ambiance générale du roman, on est plus proche d'une histoire grecque antique - et donc universelle -, où les sentiments des protagonistes tiendraient la place de la Fatalité. (D'ailleurs "
Regain" constitue le dernier volet d'une "Trilogie de Pan" où il vient derrière "Colline" et "Un de Baumugnes"). Et par certains côtés, "
Regain" se rattache aussi à une veine virgilienne (bucolique, bien sûr, et encore plus géorgique).
Marcel Pagnol tourne son film en 1937. Plus qu'une adaptation fidèle (ce qu'il est), le film est une relecture de l'oeuvre écrite : d'une histoire antique,
Pagnol nous fait une histoire de terroir, et pas n'importe quel terroir : la
Provence. Dans le film de
Pagnol, la
Provence est magnifiée, par l'image, par le jeu des comédiens, par "l'assent" (vous me direz, tout ça c'est des effets cinématographiques, j'en conviens, mais lisez le texte du scénario et les didascalies, vous comprendrez ce que je veux dire).
Pagnol a adapté
Giono quatre fois au cinéma : "
Jofroi" (1933), "
Angèle" (1934), "
Regain" (1937) et "
La Femme du boulanger" (1938). le romancier n'a pas beaucoup apprécié, accusant le cinéaste d'avoir tiré les romans vers un côté folklorique et caricatural. Réaction légitime d'amour-propre, il a pu effectivement se sentir trahi, mais avec le recul, il a pu comprendre que ces adaptations donnaient à ses romans un
regain de notoriété, et que, non content de les adapter fidèlement, elles proposaient une autre vision, une autre lecture différente de la première, et finalement complémentaire.
Il faut lire
Giono, pour la beauté et la puissance de son écriture, mais si avez le temps, lisez ensuite le scénario de
Pagnol, vous mesurerez à la fois le respect du cinéaste pour le romancier et le génie de deux géants de la littérature.