Un Patron modèle… Vous ne pouvez avoir une petite idée de ce dont parle le roman de
Seth Greenland qu'en en voyant la couverture. Couverture qui attire l'oeil de tout le monde, même des récalcitrants à la lecture. Il faut dire qu'une couverture montrant une fille en mini-robe rose pailletée avec un décolleté plongeant et des bas résilles… Si ce n'est pas vendeur auprès d'un certain lectorat masculin…
Pour faire bref, c'est l'histoire d'un Américain, un certain Marcus Ripps, qui commence à avoir des problèmes d'argent. Son entreprise délocalise en Chine, mais il ne veut pas suivre. Il parvient tant bien que mal à faire vivre sa famille, mais cela oblige tout le monde à se serrer la ceinture. Arrive par-dessus tout cela la mort de son frère Julian, qu'il n'avait pas vu depuis des années. Il lègue à Marcus une blanchisserie qui, espère ce dernier, parviendra à lui faire redresser la barre. Seulement il s'avère que la blanchisserie n'est pas une blanchisserie… et Marcus se retrouve ainsi, sans l'avoir voulu, à la tête d'un réseau de prostitution, monté par son frère quelques années plus tôt. D'abord réticent à l'idée d'exercer une activité illicite, Marcus voit cependant dans ce business l'opportunité de se refaire une santé financière. Il décide alors de relever le défi en quelque sorte lancé par son frère, mais se jure de mettre la clef sous la porte dès qu'il aura suffisamment renfloué ses caisses. Seulement les choses se compliquent lorsque l'un des clients de l'agence décède d'une crise cardiaque lors d'un rendez-vous avec une des filles…
Vous allez me dire, c'est bien gentil tout ça, mais où est l'intérêt ? Eh bien il se trouve dans cette écriture franche grâce à laquelle
Seth Greenland croque avec dérision et jubilation la société consommatrice américaine, consommatrice de tout, même de sexe. Mais cette histoire qui se déroule chez nos amis de l'autre côté de l'Atlantique aurait tout aussi bien pu se passer chez nous.
La justesse de l'écriture de Greenland réside dans l'usage d'un vocabulaire très varié, aussi bien précis et choisi avec soin dans les passages narratifs que d'une vulgarité nécessaire dans la bouche de certains personnages. Un roman se déroulant dans le milieu de la prostitution sans employer de langage vulgaire ne présenterait pas le moindre intérêt, car il serait totalement irréaliste. Ici, la trivialité n'est pas déplacée ni excessive, au contraire. Les mots font mouche, et le lecteur n'est pas choqué car il ne peut que s'y attendre.
Enfin, des traits d'humour, présents de diverses manières, ponctuent le roman d'un fond agréable et le lecteur se prend à sourire, parfois même à rire, devant un détail insolite, et l'incongruité de certaines situations ou personnages, par exemple la belle-mère de Marcus qui pratique le pole dancing et demande à faire partie du business de la « blanchisserie »…
Cependant, si la lecture du récit est une partie de plaisir pour le lecteur, le personnage, lui, se débat dans les fils inextricables de sa conscience. Et si l'on peut par moments regretter que la narration ne se fasse pas à la première personne, on a tout de même accès à une bonne partie de la psychologie de Marcus, ce qui nous fait réfléchir nous aussi. Jusqu'où est-on prêt à aller pour faire vivre ceux qu'on aime ? Car si Marcus décide de reprendre l'affaire de son frère, c'est avant tout pour faire vivre sa femme et son fils, ainsi que sa belle-mère, qui loge sous leur toit, et qui commence à avoir des problèmes de santé qui nécessitent de l'argent.
Autre question qui se pose : peut-on gérer de manière altruiste une entreprise illégale ? Car Marcus, ce « patron modèle », propose entre autres à ses salariées (lui-même ne sait pas s'il peut les nommer ainsi) un plan d'épargne-retraite, ce qui paraît totalement incongru pour un proxénète… C'est aussi cela qui fait le délice de la lecture de
Seth Greenland : le goût du détail qui montre le décalage entre la vie bien rangée dont vient Marcus et ce monde aux frontières floues dans lequel il pénètre en acceptant de devenir un mac.
La conclusion se tire d'elle-même : un livre délicieux et plaisant, sans faux-semblants, d'une finesse mordante qui fait parfois frissonner mais qui est la juste transcription du monde réel.