En ces temps de grande morosité, ces temps sinistres où toutes sortes de menaces nous envisagent comme les consommateurs potentiels de tragique que, pour beaucoup, nous finissons par être ou par devenir, en ces temps où une pandémie nous accompagne sournoisement depuis deux ans, poursuivant son parcours infectant à bas bruit, où une guerre d'invasion aussi brutale que criminelle, aussi absurde que stupide, rythme le quotidien d'hommes, de femmes, de vieillards et d'enfants innocents de ses cruautés les plus abjectes, où la France est prête à se donner aux héritiers de Maurras et de Pétain, où le GIEK nous rapporte que l'espèce humaine n'a plus que deux ou trois ans avant d'atteindre le point de non-retour dans sa relation à son environnement et dans celle de sa survie... je voulais souffler, m'offrir un break spirituel, trouver la sérénité auprès de ceux qui la pratiquent, qui en ont fait un étendard de vie.
Quelle meilleure invitation dans ce cas que celle d'
Alexandre Jollien et de son dernier livre intitulé - Carnets d'insouciance - ? !!!
De cet ami de
Matthieu Ricard, de Christophe André, j'avais auparavant lu - Trois amis en quête de sagesse -, - Petit traité de l'abandon -, -
le métier d'homme -... soit quelques excellents bouquins dont deux d'entre eux m'avaient aidé à surmonter quelques écueils de vie.
Je dois dire que ma confiance était renforcée par les vidéos que poste Alexandre sur son compte Instagram et sur celui de Facebook.
J'avais eu le privilège de pouvoir échanger avec lui par courriels dès son retour de Corée du Sud alors qu'il était en pein emménagement dans sa Suisse d'origine.
De quoi être totalement en confiance.
Or, si l'on retrouve dans ces cahiers tous les thèmes Jolliénistes, philosophiques comme spirituels, tous ses référents dans ces deux domaines... l'homme a changé.
Il a désormais 47 ans, son handicap s'aggrave avec le temps... ce que ne semblait pas lui avoir fait comprendre les médecins.
Il fatigue de plus en plus, est de moins en moins mobile, ne peut quasiment plus écrire ou taper sur un clavier, lit de moins en moins, perd en autonomie et si j'ai bien compris, utilise un dictaphone en guise de substitut de plume.
Je disais précédemment que les thèmes chers à A.
Jollien sont là, et c'est vrai... mais le doute a remplacé cette sérénité qui faisait tant bien que mal rempart à ses incommensurables angoisses.
L'homme est plus à vif, infiniment plus vulnérable.
" Au cinquième étage d'un immeuble, j'ai eu peur de vouloir en finir définitivement avec mes tiraillements. Craignant de me payer un irréparable vol plané, j'ai eu le réflexe de déposer sur le rebord de la fenêtre un livre de Trungpa Rinpoché. Sacré parachute qui devait me dissuader de sauter ! Entre mes affres et le vide, un rempart, un filet de sécurité, un immense guide pour me dépêtrer des psychodrames..."
Prêt donc à passer à l'acte.
Alors entre les maux et les onguents, entre les plaies jamais refermées et les soutiens que sont ses maîtres à penser, il y a un hiatus de plus en plus béant.
Il a beau essayer de trouver des parades telles le CCL ( couldnt care less = rien à battre ), ou le SFCDT ( se foutre complètement de tout ), il est hanté ( et qui ne le serait pas ? ! ) par ses 17 ans d'institution, dix-sept ans d'isolement, d'incarcération d'où est né son syndrome d'abandon, d'où ont surgi ses angoisses liées à la mort omniprésente, à la maladie bien sûr, la prise de conscience de sa "différence" ou de ses différences.
Physiques, bien entendu... mais sexuelles.
En assistant à la projection d'un de ses films préférés - le nom de la rose -,il est fasciné par la scène dans laquelle le jeune moine Adso de Melk étreint une jeune paysanne.
Contrairement à ses camarades, de ces deux corps nus, ce n'est pas celui de la belle sauvageonne qui l'émeut mais celui d'Adso...
C'est la révélation ou la confirmation !
Mais comment ajouter à un handicap un autre handicap ?
Comment, alors que le regard des autres vous lorgne et vous juge sans pitié à cause de vos différences, courir le risque d'avouer une homosexualité qui va rajouter un jugement au jugement ?
Par le CCL et le SFCDT ?
C'est ce que fait Alexandre dans cet ouvrage.
Un coming out assumé.
Il est homosexuel, a des amants qu'il retrouve dans des hôtels ici ou là, en Suisse ou à Londres ou ailleurs... qu'importe ?
Ce coming out se doit d'être justifié.
Alors Alexandre nous explique naïvement qu'une étude a montré que 90% des hommes se masturbent 15 fois par mois.
Il fréquente les sites de rencontres. Après tout, pourquoi s'user les fesses sur un coussin de méditation alors que " je suis de plus en plus convaincu qu'à travers les plaisirs de la chair nous recherchons la paix, la mort de l'ego, l'éveil".
Et les fesses, il préfère finalement accepter de dire qu'il vaut mieux les mater.
Ces courts chapitres qu'ouvre une citation, un extrait de texte de ses référents, sont le prétexte à philosopher dans la posture du méditant, non repentant, mais pragmatique... à l'écoute d'un corps dont la dictée s'est emparé, et j'en comprends les raisons et la juste nécessité, de ce dictaphone.
Pour les inconditionnels d'Alexandre, n'ayez aucune crainte, vous retrouverez le phrasé caractéristique et joliment fleuri du philosophe.
Vous ne serez pas perdu grâce aux retrouvailles avec quelques-uns de ses meilleurs amis, l'incontournable
Nietzsche,
Maître Eckhart,
Saint Augustin,
Kant,
Spinoza, quelques Rinpoché etc etc sans oublier les Bodhisattva... comme de bien tendu.
Plus que des carnets d'insouciance, je suis ressorti de cette lecture... tout aussi intranquille que j'y étais entré.
Au final, pas de réel break spirituelle, mais une bonne nouvelle :
Alexandre Jollien est un homme comme les autres...