Stephen , le Héros. Qu'est ce qui forge la pensée de l'homme ? Ses amours ? Ses révoltes ? Son enfance ? Sa jeunesse ?
Deux années à Dublin. Irlande. Dubh Linn , « l'étang noir ».. Sombre, opaque et suffocante, étroite, James Joyce n'aura de cesse que d'échapper à l'emprise d'une société empêtrée dans une pudibonde morale catholique , emprunte d'un post-colonialisme à l'envergure étriquée.
On l'entend bien. Il étouffe. Il provoque, expose, pousse cette société à se regarder elle-même.
« En classe, dans le calme de la bibliothèque, en compagnie d'autres étudiants, il lui arrivait parfois d'entendre un ordre lui enjoignant de partir, de demeurer seul, une voix qui faisait vibrer jusqu'au tympan de son oreille, une flamme qui d'un bond pénétrait dans la vie divine du cerveau. Pour obéir à cet ordre, il s'en aller rôder dans les rues, solitaire, entretenant par des éjaculations la ferveur de son espérance, jusqu'à ce qu'il sentit avec certitude l'inutilité prolonger de ce vagabondage ; alors rentrant chez lui d'un pas ferme et décidé, avec une gravité ferme et décidée, il assemblait des mots et des phrases qui n'avaient pas de sens ».
Stephen se heurte à l'opacité d'un vitrail qui se dresse contre lui.
Il est étrange, on le trouve suspect, suspect lui qui « s'intéressait à la moindre chose en dehors de ses examens et de sa situation future. ». Il parle de l'Art, on lui répond « de la blague », « Ils ne voulaient pas de ça dans leur pays ». « Parler de beauté, parler de ruthmes, parler d'esthétique, ils savaient ce qui se cachait sous tous ces beaux discours. »
Stephen écrit. Lit. Stephen comprend Bacon : « le souci de la postérité se montre surtout chez ceux qui n'ont pas de postérité ».
Stephen résiste.
« Je me dresse, voué à moi même, sans peur,
sans compagnon, sans ami, solitaire. »
« Il devenait une figure énigmatique au sein d'une société tremblotante ».
Srephen sait. Sait en lui-même.
« L'artiste, il l'imaginait occupant une position de médiateur entre le monde de son expérience et le monde de ses rêves, médiateur doué par conséquent de deux faculté jumelles : faculté de sélection, faculté de reproduction. Résoudre l'équation de ces deux facultés constituait le secret de la réussite artistique : celui qui est capable de dégager dans toute sa précision l'âme subtile de l'image d'entre les mailles des conditions qui la déterminent et de la réincarner selon les conditions artistiques, choisies comme les plus conformes à son nouvel office- celui-là est l'artiste suprême ».
Stephen ne laisse rien passer. Il a l'exigence en esprit. Voilà sa condition.
Il sait qu'il doit se libérer. Il se libère de ces « choses profanes ».
Pas de morale , pas de limites, liberté de son instant, de ses choix.
Face à l'absurdité, à la futilité, il affirme. Il sait la force de vie, il voit leur instinct de mort.
« l'art est une expression centrale de la vie . L'artiste n'est pas un individu qui suspend sur la foule un ciel mécanique.C'est le prêtre qui fait cela. L'artiste tire ses affirmations de la plénitude de sa propre vie, il crée...Comprends tu ? »
Il ne leur concède rien . Rien à cette « classe sociale qui, en littérature comme en tout le reste, pose toujours ses quatre pieds par terre en marchant . »
Contre l'Église, contre cette morale , contre leur nationalisme , contre leur servitude, contre leur bon droit.
« Il maudissait cette farce qu'est le catholicisme d'Irlande : île dont les habitants remettent leur volonté et leur entendement entre les mains d'autrui pour s'assurer une existence de paralysie spirituelle, île où tout le pouvoir, toutes les ressources sont confiés à ceux dont le royaume n'est pas de ce monde, île où César reconnaît le Christ, où le Christ reconnaît César afin qu'ensemble ils soient libres de s'engraisser aux dépens de la populace affamée à laquelle on propose ironiquement cette consolation dans sa misère : « le Royaume de Dieu est au-devant de vous ».
Stephen le héros, Joyce le magnifique.
« Sa vie commençait à se teinter d'une certaine extravagance.Il se rendait compte, que si, nominalement, il était d'accord avec l'ordre social au sein duquel il avait vu le jour, il ne pourrait le demeurer longtemps. La vie d'un déraciné lui paraissait beaucoup moins ignoble que la vie de celui qui accepte la tyrannie du médiocre sous prétexte que le fait d'être une exception se paie trop cher ».
Stephen le révolté, Joyce le voyant.
« Un petit garçon, les coudes sur la table, bouchait et débouchait ses oreilles et le bruit des dîneurs lui parvenait, rythmique, pareil au caquet sauvage d'une basse-cour ».
Joyce le Magnifique !
C'est le début de l'histoire, celle qui aura donné naissance à toute sa Vie.
Son regard, ses mots, sa lucidité, son intégrité.
Ce fut un plaisir immense pour moi que d'entendre les mots de Stephen prendre flamme sur la plume de Joyce. Un bonheur.
Asrid Shriqui Garain
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Dur dur d'accrocher, entre le style ampoulé, les notes et le maque de structure du texte, il a fallu s'accrocher. Cas classique pour un livre publié posthume. Au delà de ça, on sent tout de même le potentiel, ce qui donne l'envie de continuer avec d'autres romans. Au final, ce n'est pas un choix judicieux en temps que première lecture de l'auteur, mais c'est une lecture intéressante.
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(... ) L'esprit à l'instant de la création est pareil au charbon sur le point de s'éteindre. Lorsque l'on se met à composer, l'inspiration est déjà sur son déclin comme de la braise prête à s'éteindre et que, seul une influence invisible, tel un vent inconstant peut redonner un éclat éphémère.
« Par épiphanie, il entendait (Stephen) une soudaine manifestation spirituelle, se traduisant par la vulgarité de la parole ou du geste ou bien par quelque phrase mémorable de l’esprit même. Il pensait qu’il incombait à l’homme de lettre d’enregistrer ces épiphanies avec un soin extrême, car elles représentent les moments les plus délicats et les plus fugitifs. Il déclara que l’horloge du Bureau du Lest était susceptible d’épiphanie (...) : "Que de fois je passe devant, j’y fais allusion, j’en parle, j’y jette un coup d’œil. Ce n’est qu’un article dans le catalogue mobilier des rues de Dublin. Puis un jour je la regarde et je vois aussitôt ce que c’est une épiphanie... Représente-toi mes regards sur cette horloge comme des essais d’un œil spirituel cherchant à fixer sa vision sur un foyer précis. A l’instant où ce foyer est atteint, l’objet est épiphanisé." »
La liberté qu'ils souhaitaient pour eux-mêmes était surtout une liberté de costume et de vocabulaire; Stephen n'arrivait pas à comprendre comment cette pauvre caricature de la liberté pouvait amener des êtres humains raisonnables à plier les genoux pour l'adorer.
Sa vie commençait à se teinter d'une certaine extravagance. Il se rendait compte que si, nominalement, il était d'accord avec l'ordre social au sein duquel il avait vu le jour, il ne pourrait le demeurer longtemps. La vie d'un déraciné lui paraissait beaucoup moins ignoble que la vie de celui qui accepte la tyrannie du médiocre sous prétexte que le fait d'être une exception se paie trop cher.
- N'empêche que le mariage est une coutume. Se conformer aux coutumes est le fait d'un esprit sensé .
- C'est le fait d'un esprit ordinaire. Je t'accorde que bien des gens ordinaires sont sensés, tout comme je reconnais que bien des gens ordinaires se laissent abuser. Mais la faculté de se laisser abuser par autrui ou de s'abuser soi-même ne constitue pas, que je sache, une partie essentielle de l'esprit sensé. Reste à savoir si l'homme ne favorise pas son propre état d'insanité lorsqu'il s'abuse volontairement ou se laisse abuser par autrui.
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Savez-vous quel livre célèbre la ville de Dublin et ses habitants ? Enfin… quand je dis « célèbre »… il les montrent surtout comme une belle bande d'hypocrites…
« Gens de Dublin », de James Joyce, c'est à lire en poche chez GF.