un flux, forme souple, l'idée même rêvée du théâtre se diluant au fil du texte, malgré la présence, comme des noeuds, de brides de dialogues
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FAUST
…
Le Soupir du Monde
Vie, mort,
Rire, pleurs,
Voilà le manteau
Qui me couvre.
Nature
Amour, beauté,
Voilà tout ce que
L'âme découvre.
Le Mystère
De ce monde
A déchiffré
Ton regard ;
D'épouvante
Ferme ton âme ! —
Je viens.
Rien, plus rien
Ne calme
Ta douleur.
Tu sais bien
Que ma voix est
Plus atroce
Dans la muette horreur
De ce qu'elle ne dit point,
Car toi seul peut sentir
Et comprendre.
Ferme, malheureux,
Ferme ton âme
À ma grande épouvante !
*
p.39-40
La conscience d'exister est le tourment
Premier et dernier du raisonnement;
Qui, bien qu'étant son fils, ne l'atteint pas.
La conscience d'exister m'écrase
de Tout son mystère et de sa force
D'incompréhension profonde mais comprise
Et circonscrite, irréparablement.
Tant d'autres êtres, dans l'inconscience
Démesurée de leur inconscience !
Ce n'est pas en moi une horreur moindre
Que cette conscience de mon inconscience
Du mécanisme surnaturel
Que je suis, cercle de sensations
Roulant sans cesse, mais tujours à égale distance
Du sens inacessible de mon être.
PREMIER ACTE : le mystère du monde
Ah, tout est symbole et analogie !
Le vent qui passe, la nuit qui fraîchit
Sont autre chose que le vent et la nuit —
Seulement des ombres de pensée et de vie.
Tout ce que nous voyons est autre.
La marée vaste, la marée anxieuse
Est l'écho d'une autre marée qui demeure là
Où est réel le monde tel qu'il est.
Tout ce que nous possédons est oubli.
La nuit froide, le passage du vent
Sont des mains d'ombre dont les gestes
sont la réalité-mère de cette illusion.
*
Tout transcende tout —
Voilà qui est plus réel,
Et moins que ce qui est.
*
p.33
FAUST
…
Le mystère suprême de l'Univers
L'unique mystère de tout et de partout
C'est qu'il y ait un mystère de l'univers,
Qu'il y ait un univers, qu'il y ait quelque chose,
Qu'il y ait un « qu'il y ait ». Ô forme abstraite et vague
Qui pousse une telle formule à demeurer en moi ;
Penser à cela est dans mon corps un froid glacial
Qui souffle d'outre-terre et d'outre-tombe
Et va de l'âme à Dieu.
*
Le mystère de tout
S'approche tant de mon être,
Touche si près au regard de mon âme
Qu'en ténèbres je me dissous, et immergé
Dans les ténèbres je m'épouvante obscurément.
p.40-41
En chaque Conscience la Grande Horreur
Donne à voir ses yeux derrière le masque.
Et le charnel,
Dans toute son excroissance nue
De chair et d'âme, dessèche
on âme par l'épouvante qu'il y a
De mettre la main, dans l'obscurité,
Sur le front du Mystère.
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.