Ce n'est pas un livre facile et bien qu'on y trouve d'excellentes descriptions tant des caractères que des évènements, le plus souvent tragiques, l'ensemble m'a paru un peu décousu, comme s'il manquait un peu de liant entre les chapitres et surtout de conclusion. Je l'ai lu dans une édition de 1991, la date de première publication mentionnée étant 1967. Aucune information complémentaire n'était donnée ce qui contribuait à épaissir le mystère de ce livre bizarrement construit: une oeuvre de jeunesse, publiée de surcroît près de trente ans après la mort de son auteur. Wikipédia nous apprend en effet que ce livre date de 1923. Publié alors sous forme de feuilleton, il n'aurait peut-être pas été achevé. Jacques Durand dans le roman d'actualité sous la République de Weimar, donne un peu plus de détails sur le fait que ce feuilleton n'a, à l'époque, pas été édité sous une autre forme et que sa réédition relativement récente tient un peu au hasard de la découverte d'une collection de journaux anciens.
Ces choses étant mises au point, le livre est remarquable en tant que témoignage froid et lucide de la montée du nazisme en Allemagne entre les deux guerres. Roth y décrit l'ascension sociale de Theodor Lohse, un jeune homme opportuniste, cynique, profitant du soutien du gouvernement envers les mouvements d'extrême droite. "National-socialisme était un mot comme un autre. Il n'impliquait pas nécessairement de conviction." (page 103) Cette phrase résume assez bien l'état d'esprit de notre anti-héros, pour qui le national-socialisme est un levier pour satisfaire son ambition personnelle. Le roman regorge de personnages : ceux sur lesquels s'appuie Lohse pour parvenir à ses fins, ceux qu'il n'hésite pas à éliminer... Bref, on reconnaît dans cette oeuvre à la fois le talent d'un véritable écrivain et la lucidité quasi prophétique du journaliste Roth dès les années 20; mais le roman est dur, à tous les sens du terme, et il n'a pas réussi à m'enthousiasmer. Peut-être est-ce une lecture de spécialiste (de cette époque ou de cet auteur) et je ne suis qu'un amateur un peu déconcerté.
Commenter  J’apprécie         62
Je viens de lire ce livre que j'ai trouvé très intéressant. Je le considère comme un témoignage remarquable sur l'Allemagne au lendemain de la guerre de 14, dans les milirux nationalistes. Mais je l'ai lu dans une version Gallimard , L'étrangère de 1991 sans la moindre note informative, ce qui, à mes yeux, pour un tel bouquin, est scandaleux. La date de première publication donnée est 1967 !
En cherchant des infos sur Wikipedia, il en est vaguement question. Ce livre aurait été publié en 1923 , sous forme de feuilleton et n'aurait pas été achevé.
D'autre part, il semblerait qu'il y ait pas mal d'éléments autobiogaphiques dans ce récit, mais jusqu'à quel point. Wiki pedia le dit de manière générale : la question peut se poser pour toute son oeuvre.
Si quelqu'un a des infos sur la question, merci de les diffuser. Inversement, inutile d'écrire pour des banalités.
Commenter  J’apprécie         11
La mère était égrotante, les sœurs jaunissaient, elles se faisaient vieilles et ne pouvaient pardonner à Theodor de n'avoir pas accompli son devoir, de n'être pas tombé au champ d'honneur, sous-lieutenant et deux fois cités à l'ordre de l'armée. Un fils mort serait resté à jamais l'orgueil de la famille. Mais un sous-lieutenant démobilisé et victime de la révolution, les femmes le trouvaient encombrant. Theodor vivait parmi les siens comme un vieux grand-père que l'on aurait vénéré s'il avait été mort, mais que l'on méprisait parce qu'il restait en vie.
Théodore écoutait de toutes ses oreilles. Il aurait voulu avoir mille bras. Il se rappelait cette araignée pendant les grandes vacances, du temps de son jeune âge; il l'avait nourrie chaque jour de mouches qu'il attrapait; il attendait en retenant sa respiration le moment où la bête approcherait à petits pas rapides et regarderait tout autour d'elle pendant quelques secondes avant la charge fatale qui était élan, saut et chute dans un seul mouvement.
Les étrangers étaient conspués. Des chiens fidèles égorgés. Des chevaux de fiacre dévorés. Les employés de bureau étaient assis derrière des guichets, derrière des grilles, inaccessibles, à l'abri de la colère, ils souriaient et donnaient des ordres. Les maîtres, rendus furieux par la faim, distribuaient des corrections. Les journaux inventaient les atrocités commises par l'ennemi. Les officiers aiguisaient leur sabre. Les lycéens tiraient. Les étudiants tiraient. Les petits garçons tiraient. C'était une nation qui tirait.
Benjamin n'entendait pas, le profond regard de Benjamin se perdait quelque part, au loin, il pensait à Lodz, à l'échoppe crasseuse de son père et voyait l'unique miroir du magasin, terni par les ans. Comme les paroles des vieux Juifs de Lodz étaient simples et sages, leur esprit juste, leurs rires mesurés, leur nourriture savoureuse - la nourriture des Juifs méprisés, battus, barbares, des Juifs qui ne portaient pas de casque et ne pouvaient ni étinceler ni faire de bruit.
Theodor avait toujours reconnu l'autorité étrangère, toute autorité qui se dressait face à lui. Il n'y avait qu'à l'armée qu'il était heureux. Il était obligé de croire ce qu'on lui disait, et quand c'était lui qui parlait, les autres aussi devaient le croire. Theodor serait bien resté à l'armée pendant toute sa vie.
Après avoir parcouru l'Ukraine pour y exhumer les grandes mémoires enfouies de l'autre Europe, Marc Sagnol y est retourné au milieu des bombardements pour en contempler les ruines.
Les images et les mots, comme une invitation au voyage, nous plongent dans des mondes évanouis, sur les traces des grands penseurs d'autrefois. Avec lui, on arpente la terre noire de l'Est à travers villes et villages, aux côtés De Balzac, de Joseph Roth en Galicie et Bucovine, de Leopold von Sacher-Masoch à Lemberg-Lviv, de Paul Celan à Czernowitz…
C'est en connaisseur de la philosophie et de la littérature que Marc Sagnol traverse les « terres de sang » abîmées par tous les chaos. Terres qui furent celles de la plus haute civilisation et des plus grands malheurs. Quelle fut la culture juive, jadis florissante en ces lieux, et qu'en a-t-il été de sa disparition dans la Shoah ? Qu'est-il advenu de ces mondes révolus ? Comment penser la tragédie d'hier au regard du drame d'aujourd'hui ? Une plongée dans les siècles pour dire que notre destin se joue d'abord là-bas. Actuelle parce que inactuelle, une grande fresque littéraire. Un récit d'exception.
Germaniste, philosophe, Marc Sagnol est l'auteur de nombreux ouvrages dont Tragique et tristesse. Walter Benjamin, archéologue de la modernité, primé par l'Académie française, ainsi que d'un film sur Paul Celan, Les eaux du Boug.
+ Lire la suite